André Dorais
Pour les tenants de l’École autrichienne, la dernière crise économique, comme pour la plupart de celles enregistrées au 20e siècle, est due principalement à l’inflation via le crédit bancaire. Au contraire, pour la plupart des autres économistes l’inflation monétaire est ce qui permettra de sortir de la crise. L’inflation via le crédit bancaire est possible grâce à la politique des réserves fractionnaires, soit un processus qui permet aux banques de prêter plus d’argent qu’elles en ont de disponible dans leurs coffres. Bien que ce processus soit plusieurs fois centenaire, il s’est généralisé au 19e siècle.
À l’époque, au Royaume-Uni, l’or, l’argent métallique et les billets gouvernementaux étaient utilisés comme monnaie. On retrouvait aussi d’autres pièces métalliques, mais celles-ci étaient généralement de moindre valeur. Les billets servaient principalement de substituts aux monnaies métalliques de grande valeur, soit les lingots d’or et d’argent. Principalement mais non entièrement, car déjà à l’époque le gouvernement imprimait davantage de billets qu’il y avait de monnaie métallique en circulation. Dit de manière plus précise, le gouvernement mettait en circulation des billets d’une valeur nominale plus élevée que celle attribuable aux dites monnaies métalliques. Cette information était peu connue du public, de sorte que celui-ci attribuait la même valeur aux substituts (billets) qu’à la monnaie métallique.
La proportion de monnaie métallique (précieuse) par rapport aux billets a diminuée progressivement avec le temps pour complètement disparaître au 20e siècle. Il faut remonter au 17e siècle pour identifier la dernière grande banque honnête, c’est-à-dire une banque qui n’émettait pas plus de substituts qu’elle avait de monnaie métallique dans ses coffres. La banque d’Amsterdam a été profitable plus de cent ans en agissant de cette façon avant de céder aux sirènes de l’argent facile que procure le processus des réserves fractionnaires.
La mécanique des réserves fractionnaires au 19e siècle
Lorsque l’épargnant dépose son or ou son argent de métal à la banque, c’est avant tout pour le mettre en sécurité. Il ne lui prête pas son argent, il l’entrepose en un lieu qu’il juge sécuritaire. Non seulement il n’en reçoit pas d’intérêt, mais il doit payer pour ce service. Il reçoit un intérêt monétaire de son épargne uniquement s’il précise à la banque qu’il s’agit d’un prêt ou d’un investissement. Le dépôt est sous-entendu par l’épargnant comme étant une quête de sécurité, par conséquent il doit être distingué du dépôt comme prêt.
Malheureusement, quelques banquiers, agissant la plupart du temps avec la complicité du gouvernement, émettent plus de substituts qu’il y a de monnaie métallique dans leurs coffres. Il y a inflation du crédit bancaire, c’est-à-dire que les banques offrent plus de prêts qu’il y a d’épargne accumulée. En d’autres mots, les banques offrent de fausses promesses de payer. C’est évidemment illégitime et toujours illégal à l’époque dans plusieurs parties du monde.
Bien que la monnaie métallique soit indéniablement supérieure aux autres formes de monnaie rencontrées jusqu’alors, les substituts de papier sont encore plus faciles à manier. Plusieurs individus les utilisent pour cette raison, mais plusieurs autres les utilisent parce qu’ils soupçonnent le gouvernement d’en avoir trop imprimer, ce qui tend à en réduire la valeur relativement à la monnaie métallique. Vaut mieux se débarrasser au plus vite d’une monnaie qui ne vaut rien et garder celle qui a de la valeur en sécurité, se disent-ils. Leur raisonnement est bon jusqu’au jour où ils réalisent que leur monnaie précieuse n’était pas en sécurité, ce qui les conduit à entamer des procédures judiciaires contre les banquiers.
Ceux-ci se défendent en évoquant les risques inhérents au domaine bancaire. Ils rappellent à la cour qu’un épargnant qui prête son argent aux banques est responsable des risques encourus. Autrement dit, ils tentent d’induire la cour en erreur. Plutôt que de lui avouer qu’il s’agit d’un geste délibéré pour soutirer le fric des épargnants, ils tentent de lui faire croire qu’il s’agit uniquement d’une erreur humaine, à savoir leur incapacité à gérer l’or des épargnants qui leur a été confié. Qu’a été le verdict de la cour?
En 1811, en Angleterre, Sir William Grant, dans l’affaire Carr vs Carr, conclut que si la monnaie déposée à la banque n’est pas identifiée au porteur, alors elle appartient à celle-ci. En d’autres mots, si les épargnants confient leur or à la banque sans exiger d’elle que celui-ci soit séparé des autres dépôts, alors le dépôt d’or est considéré comme un prêt à la banque. Cet arrêt, bien qu’erroné en raison et en droit, sanctionne l’inflation via le crédit bancaire et fait jurisprudence partout dans le monde.
Ce jugement, complètement erroné, n’a jamais été renversé depuis. Il confond deux difficultés, à savoir celle de différencier une somme d’argent d’une autre similaire avec celle d’en identifier les propriétaires. Or, qu’une somme d’argent ne soit pas distinguée d’une autre somme égale parce qu’elles sont toutes deux de même valeur ne répond pas au problème soulevé, à savoir qui en est le propriétaire. L’individu qui dépose son argent à la banque dans le but de le mettre en sécurité en est toujours le propriétaire. C’est uniquement lorsqu’il lui prête son argent qu’il lui transfère son titre de propriété.
D’une injustice à l’autre
Plutôt que de chercher à corriger cette erreur les gouvernements se sont employés à éliminer toute trace de monnaie métallique. Il s’agit d’une grave injustice lorsqu’on réalise que cette monnaie s’est établie de façon volontaire à travers les siècles parce que les gens lui attribuaient une valeur autre que celle strictement monétaire. C’est, en effet, parce que les gens attribuaient une valeur aux bijoux et aux différents articles composés de ces métaux qu’ils ont décidé de les utiliser également comme monnaie. Parmi ses qualités répertoriées, on note la difficulté à la déprécier, en autres raisons, parce qu’elle se trouve en quantité limitée. Ce sont les substituts gouvernementaux qui l’ont tuée.
Étant donné que les hommes de l’État n’aiment pas être limités et qu’ils se croient supérieurs à la population qu’ils dirigent, ils décident que les billets ont dorénavant la valeur qu’ils décrètent. Fort en gueule, ils prétendent garantir à la population la sécurité des dépôts qu’elle effectue. Or, tout ce qu’ils peuvent garantir est la somme nominale des billets. Lorsqu’on peut reproduire un objet à l’infini sa valeur tend à se déprécier. Cette loi économique s’applique aussi à la monnaie. En la produisant à volonté, l’État, via sa banque centrale, rembourse les épargnants avec des billets de même valeur nominale, mais ceux-ci n’achètent plus qu’une fraction de ce qu’ils pouvaient acheter au moment du dépôt.
Le type de monnaie utilisé aujourd’hui rend désuète la distinction autrefois établie entre le dépôt et le prêt en transformant la garantie de sécurité qui peut en être donnée. En effet, lorsque autrefois on déposait son or à la banque, c’était essentiellement pour le mettre en sécurité physique, tandis que lorsqu’on effectue un dépôt aujourd’hui, par l’entremise de billets ou de transfert de titres, c’est davantage pour les services qu’on en retire : payer ses comptes, recevoir son chèque de paie, etc. La monnaie, exception faite des billets qui constituent une infime partie de la masse monétaire, est essentiellement virtuelle, par conséquent il n’y a pas vraiment lieu de la placer dans un coffre-fort. On souhaite surtout en préserver le pouvoir d’achat, mais malheureusement, avec ce type de monnaie, cela n’est pas sous le contrôle de l’individu.
Pour obtenir un certain contrôle sur le pouvoir d’achat, l’homme libre avait choisi l’or et l’argent de métal, car ils sont difficiles à reproduire. Les gouvernements lui ont enlevé ce pouvoir. Ils prétendent avoir comblé ce besoin en établissant la Société d’assurance dépôts, mais celle-ci ne garantit aucunement le pouvoir d’achat. Tout ce qu’elle fait est de remettre aux épargnants de nouveaux billets dont le pouvoir d’achat est réduit.
La Société d’assurance-dépôts du Canada, ou ses équivalents dans le monde, est incapable de garantir le pouvoir d’achat, d’abord parce qu’elle n’a pas les fonds pour ce faire, ensuite et surtout, parce qu’elle n’a aucun contrôle sur ce pouvoir. Celui-ci appartient à la banque centrale. À titre d’exemple, la FDIC (société d’assurance dépôts américaine) est déjà dans le rouge et elle songe à utiliser la ligne de crédit offerte par le gouvernement. À mon avis, non seulement elle l’utilisera, mais le gouvernement américain va l’augmenter. Cela signifie que les pertes des épargnants seront remboursées par les contribuables. Au moment d’écrire ces lignes le nombre de banque ayant déclaré faillite pour l'année en cours dépasse la centaine. En somme, la garantie offerte par ladite société est bidon, car elle repose en dernier lieu sur le pouvoir inflationniste illimité de l’État.
Il y a des limites à prendre les gens pour des imbéciles. S’ils décident de retirer en masse leur argent des institutions financières pour le convertir en quelque chose de plus précieux, alors elles feront faillites et entraîneront probablement avec elles dans leur chute quelques gouvernements. La pauvreté et l’injustice que ce système engendre seront alors frappantes. Si, dans ces circonstances, les gouvernements persistent néanmoins à le maintenir en infligeant aux gens, déjà appauvris, d’autres taxes et impôts, Dieu seul sait ce qui adviendra..
La politique des réserves fractionnaires est foncièrement injuste, car elle a pour but de s’arroger la propriété d’autrui à leur insu. Les autorités prétendent qu’il ne s’agit pas d’appropriation puisqu’elles remettent aux propriétaires, sur demande, la même valeur nominale. Le problème est que ce n’est pas la valeur nominale qui compte, mais la valeur réelle, soit le pouvoir d’achat de l’argent. À cela elles répondent que le pouvoir d’achat est maintenu en montrant à la population des mesures complexes d’inflation. Or, celles-ci ont beau être compliquées, elles ne demeurent pas moins arbitraires et non scientifiques. Malheureusement, elles ont l’appui d’une majorité d’économistes et comme la plupart des journalistes semblent tout aussi incapables de les remettre en question, alors la majorité de la population n’y voit que du feu et l’injustice court.
L’utilisation d’une monnaie reproductible à volonté ne constitue pas une qualité, mais un défaut du système monétaire. Dans le but de l’améliorer non seulement doit-on revenir à une monnaie métallique, mais on doit condamner et la politique des réserves fractionnaires et les banques centrales qui cherchent à la maintenir par tous les moyens. La pire solution qui pourrait être mise de l’avant pour résoudre la crise actuelle serait l’avènement d’une banque centrale mondiale, car cela équivaudrait à remettre le contrôle de l’inflation à une poignée d’individus. Or, la justice n’exige pas une plus grande concentration des pouvoirs. Au contraire, considérant que cette concentration soit déjà trop élevée et à la source de la crise, la justice devrait en exiger moins, beaucoup moins. Saura-t-on le reconnaître à temps?
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