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31 juillet, 2021

Isaiah Berlin : liberté négative v. liberté positive, deux visions de la société

 Pour Isaiah Berlin, 2 définitions de la liberté s’opposent. Ces 2 définitions induisent deux conceptions rivales de l’État et de la société. La mini-série philo de l’été avec le Podcast Conflits en companie de D. Theillier et JB Noé.

 

La liberté est un concept confus que tout le monde aime revendiquer sans savoir de quoi on parle vraiment. Il suffit d’observer le débat sur le pass sanitaire en France. Pour les uns c’est un dispositif qui permet la liberté, pour d’autres c’est une nouvelle forme d’oppression (voir mon article ici).

Pourtant tous revendiquent la liberté. Alors qui a raison, qui a tort ?

En réalité, nous dit Isaiah Berlin, deux définitions de la liberté s’opposent et ne sont pas toujours compatibles entre elles. Et ces deux définitions induisent deux conceptions rivales de l’État et de la société.

LA LIBERTÉ NÉGATIVE COMME LIMITE AUX ACTIONS HUMAINES

Dans la tradition classique des Lumières anglo-françaises, la liberté négative s’énonce en termes de limites à l’ingérence d’autrui. Je suis libre si personne ne m’empêche de faire mes choix.

Elle répond à la question suivante : dans quelles limites une personne peut-elle faire ses propres choix, sans être soumise à la contrainte des autres ou de la loi ?

En ce sens, je suis libre si je ne suis pas sujet à l’ingérence et à la coercition d’autrui. La liberté c’est le fait d’avoir une vie privée protégée, c’est aussi le fait de pouvoir agir et s’exprimer librement dans la sphère publique sans interférence de la part du pouvoir.

La liberté consiste alors dans la préservation d’un domaine dans lequel la personne doit avoir la possibilité de faire ses choix, à sa façon, sans en être empêchée par autrui.

Bien entendu, cette liberté n’est pas absolue. Elle est limitée par l’existence des autres. « Nul n’a le droit de porter préjudice à autrui », comme l’explique bien John Stuart Mill. Et la contrainte est légitime dans ce cas précis, lorsqu’un individu cause du tort à autrui, porte atteinte à sa personne ou à ses biens. La liberté négative n’a donc de valeur que dans la mesure où elle s’exerce avec une responsabilité morale et politique.

En termes de droits, on parlera de droits de faire quelque chose, de droits individuels, constitutionnels.

Exemples : le droit de propriété (ne pas être spolié), le droit de religion (ne pas être empêché de pratiquer un culte), le droit d’expression (ne pas être censuré)…

Exemple : la Déclaration des droit de l’Homme de 1789, la Déclaration d’indépendance américaine (liberté de recherche le bonheur sans être entravé) ou les amendements de la Constitution américaine.

Les libéraux, les conservateurs anglo-américains, parlent de liberté en ce sens négatif.

LA LIBERTÉ POSITIVE COMME EXTENSION DES MOYENS D’ACTION

Un second sens de la liberté apparait chez des auteurs pré-romantiques comme Rousseau et chez les socialistes : la liberté positive. Elle s’énonce en termes de capacités, de moyens.

Cette liberté répond à la question de savoir comment je peux étendre mon pouvoir d’action et atteindre mes objectifs. Dès lors je suis libre si je peux maîtriser mon action, si j’ai la capacité, à la fois morale, intellectuelle et matérielle, de réaliser mes choix.

On trouvait cette liberté chez les Anciens, au sens moral d’une volonté libre d’accomplir ce que la raison m’indique comme étant le bien. On est libre quand on maîtrise ses passions, quand on obéit à la raison. Mais à l’époque moderne, la liberté positive prend un sens plus politique et elle devient synonyme de justice sociale, dans le cadre d’un processus collectif.

En ce sens, un homme n’est pas libre s’il ne dispose pas d’un accès à l’éducation gratuite, à la santé gratuite, à un salaire minimum, etc. En termes de droits, on parlera de droits à, de droits matériels ou de droits sociaux, comme le droit au travail, le droit au bonheur, le droit à l’éducation, à la santé, au logement.

Isaiah Berlin suggère que cette liberté est celle que défend le marxisme. Quand les marxistes opposent la liberté matérielle (ou liberté réelle) à la liberté formelle (ou liberté abstraite), ils veulent dire que la vraie liberté est celle qui donne un pouvoir d’agir.

Bien évidemment cette liberté positive a un coût et ce coût doit reposer sur la collectivité. La propriété privée étant inégalement répartie, il faudra la taxer et redistribuer les revenus. Dès lors une société libre ne peut être qu’une société collectivisée, planifiée par un État central.

En termes de droits, on parlera de « droits à », de droits matériels ou de droits sociaux, comme le droit au travail, le droit au bonheur, le droit à l’éducation, à la santé, au logement. Étendre le domaine de la liberté positive consiste donc à élargir le champ des droits économiques et sociaux, les « droits à » quelque chose.

DEUX CONCEPTIONS DU RÔLE ET DE L’ACTION DE L’ÉTAT

La liberté négative fonde la critique du pouvoir et la revendication d’une frontière entre l’espace public et l’espace privé.

Ainsi selon Benjamin Constant, John Stuart Mill ou Alexis de Tocqueville, loin d’accroître la liberté, le transfert du pouvoir à la volonté générale souveraine ne fait que déplacer le fardeau de l’esclavage. Pour un individu, il n’y a guère de différence entre être écrasé par un gouvernement populaire, un monarque ou des lois répressives. Une doctrine de la souveraineté absolue, même au nom du peuple, est une doctrine de la tyrannie. Car les lois peuvent aussi opprimer.

Pour être libre, au sens négatif, je dois édifier une société dans laquelle il existera des limites que personne ne sera autorisé à transgresser, ce que permet le droit en général.

Comme l’écrit Benjamin Constant :

Il y a une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale.

En revanche, la liberté positive fonde la revendication d’un pouvoir tutélaire. Le rôle de l’État est de donner à chacun la capacité d’exercer sa liberté, en combattant ce qui fait obstacle à celle-ci : l’inégalité, l’ignorance, la misère et la maladie.

Le risque, selon Isaiah Berlin, est qu’au nom de la liberté positive (assimilée de nos jours à la justice sociale), la puissance publique soit habilitée à s’immiscer dans tous les aspects de la vie du citoyen. En effet, le pouvoir de faire toujours plus (la liberté positive) séduit davantage les masses que l’imposition de limites sur l’action humaine (la liberté négative). Beaucoup préfèrent payer le prix de l’ingérence de l’État dans leur vie privée, plutôt que la responsabilité individuelle et le libre marché.

En conséquence, les libertés négative et positive sont donc généralement incompatibles : plus un parlement légifère pour faire progresser la liberté positive, plus la liberté négative se réduit.

L’HÉRITAGE CONTROVERSÉ DES LUMIÈRES

Selon Isaiah Berlin, cet héritage est ambigu, mélangé et trouble. Tous les grands systèmes philosophiques de l’époque moderne vont reposer sur certaines idées des Lumières mais vont les pousser à l’extrême, au point d’aboutir à l’exact opposé de ce que ces idées suggèrent au départ.

Certaines idées, bonnes en soi, comme la raison ou l’universel, vont être absolutisées et devenir les pierres angulaires de systèmes abstraits et totalisants.

C’est le cas de cet universalisme rationaliste et optimiste qui voit dans l’histoire un progrès nécessaire et indéfini vers une société juste, pacifique et heureuse ou l’homme serait réconcilié avec lui-même, ou le mal et l’ignorance auraient disparu (Hegel et Marx). Le progressisme est un avatar de cette croyance dans la nécessité historique et dans la perfectibilité indéfinie de l’Homme.

Pourtant, nous rappelle Isaiah Berlin, l’histoire est tragique. Elle est traversée de conflits entre des valeurs qui ne sont pas toujours compatibles entre elles. C’est pourquoi la réaction romantique au XIXe siècle, dans les arts, la culture mais aussi la philosophie politique, va prendre le contre-pied des Lumières pour exalter le pessimisme, l’irrationnel, l’émotion, la passion.

DEUX GRANDES CATÉGORIES DE PENSEURS : LES MONISTES ET LES PLURALISTES

Le monisme c’est l’idée que l’histoire a une cause unique et qu’une solution unique et définitive existe à tous les problèmes de l’humanité. Toutes les valeurs politiques – liberté, égalité, justice, prospérité, sécurité, etc. – sont compatibles. Une société idéale harmonieuse est possible.

Le pluralisme affirme qu’une société idéale et sans conflit n’est pas possible car les valeurs ne sont pas toutes compatibles entre elles. Davantage de justice peut conduire à moins de liberté ; davantage de sécurité peut conduire à moins de justice. Des compromis imparfaits sont donc inévitables.

IL EN RÉSULTE DEUX CONCEPTIONS RIVALES DE LA SOCIÉTÉ

D’un côté se trouvent les avocats du pluralisme, de la variété, d’un marché ouvert aux idées, un ordre des choses qui implique des conflits et le besoin constant de conciliation, un ordre qui est toujours dans une situation d’équilibre imparfait.

De l’autre côté se trouvent ceux qui croient que cette situation précaire est une forme de maladie chronique et provisoire puisque la santé consiste en l’unité, la paix, l’élimination de la possibilité même de désaccord, la reconnaissance d’une seule fin ou d’une série de fins non conflictuelles, seules rationnelles, avec le corollaire que le désaccord rationnel ne peut affecter que les moyens.

La conclusion de Berlin est claire : tout système de pensée totalisant est une prison qui aveugle.

30 juillet, 2021

Marx et Bastiat : protectionnisme versus libre-échange

 Mini série de l’été : Damien Theillier nous invite à la réflexion philosophique en présentant le Podcast ‘Conflits’ animé par Jean-Baptiste Noé. Aujourd’hui, Marx versus Bastiat, le protectionnisme et sa critique.

L’un des événements qui marqua à tout jamais Frédéric Bastiat, fut sa rencontre avec l’industriel et économiste anglais Richard Cobden (1804-1865), qui défendait le libre-échange et contribua à l’abolition des lois protectionnistes en Grande-Bretagne (1848-1851).

Par ailleurs, on ne le sait pas, mais Karl Marx fut un lecteur de Frédéric Bastiat. Il reprocha à Bastiat son manque de scientificité (postface de la deuxième édition du Capital). En réalité Bastiat refusait de penser l’économie sur le modèle des sciences positives. Il rejetait également le déterminisme historique. Mais leur désaccord portait avant tout sur le libre-échange.

Exposons leurs arguments.

LA CRITIQUE DU LIBRE-ÉCHANGE PAR KARL MARX

Marx a formulé une critique, reprise à droite comme à gauche, des effets néfastes de l’économie de marché sur l’ensemble de la vie sociale. Malheureusement, il est victime de qu’on appelle aujourd’hui le biais de négativité : il n’a vu que les effets négatifs du capitalisme sans voir que ses effets positifs les surpassent largement.

Il a cru aussi découvrir, scientifiquement, la loi d’évolution des sociétés humaines, le sens de l’histoire. Sa théorie du matérialisme scientifique, donne, selon lui, la garantie scientifique du succès du socialisme comme nouvelle organisation économique capable de remplacer le capitalisme.

Marx fait valoir deux arguments contre le libre-échange :

Le libre-échange exacerbe la lutte des classes

C’est-à-dire la domination de la classe industrielle sur la classe ouvrière et donc l’exploitation.

Selon Marx :

Ce ne sont pas les individus qui sont posés comme libres dans la libre concurrence, seul le capital est posé comme libre. Aussi longtemps que la production procédant du capital est la forme nécessaire et par suite la plus appropriée au développement de la force productive sociale, le mouvement des individus à l’intérieur des pures conditions du capital apparaît comme leur liberté, une liberté affirmée dogmatiquement comme telle par une réflexion constante sur les barrières renversées par la libre concurrence. La libre concurrence est le développement réel du capital. […] D’où l’absurdité de considérer la libre concurrence comme l’ultime développement de la liberté humaine, et la négation de la libre concurrence comme la négation de la liberté individuelle et de la production sociale fondée sur la liberté individuelle. Ce n’est là que le libre développement d’un fondement borné – la domination du capital. Ce type de liberté individuelle est par conséquent en même temps l’abolition la plus complète de toute liberté individuelle et le complet assujettissement de l’individualité aux conditions sociales, qui prennent la forme de puissances chosiques, et même de choses toutes puissantes – de choses indépendantes des individus eux-mêmes. Karl Marx – Fondements d’une critique des politiques économiques (1857-1858)

Si on laisse les marchandises s’échanger librement, cela ne peut que profiter à la classe dominante. Donc libérer le capital, c’est libérer l’exploitation, la marchandisation du prolétariat.

Le libre-échange est destructeur 

De l’emploi, des traditions, mais aussi du capitalisme lui-même car il réduit tout le monde à la pauvreté.

Ce pourquoi, ironiquement, Marx prendra la défense du libre-échange :

En général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange.

Par la suite et logiquement, Marx avance deux arguments en faveur du protectionnisme :

Il entrave l’exploitation capitaliste

De ce fait, mettre en place des mesures protectionnistes, qu’il s’agisse de droit de douanes, de quotas, ou de normes écologiques, revient à prélever les profits et à entraver l’exploitation capitaliste, voire à hâter sa fin !

Il protège l’emploi national

Un gouvernement doit aider ses industries naissantes en les protégeant de la concurrence internationale ainsi qu’en favorisant la production et l’emploi local.

LA CRITIQUE DU PROTECTIONNISME PAR FRÉDÉRIC BASTIAT

La réponse de Bastiat au protectionnisme se fait en deux temps :

L’emploi n’est pas un but en soi, c’est un simple moyen

Le véritable but de l’économie c’est la production de biens et de services dont les gens ont besoin pour sortir de la pauvreté.

La liberté des échanges favorise le consommateur

Le meilleur exemple c’est le fait que partout où le libre-échange s’est installé, les habitants de ces pays sont sortis de la pauvreté.

 

Qu’en est-il alors de la lutte des classes et de l’exploitation ? La lutte des classes est moins économique que politique explique Bastiat. Cette conception des rapports sociaux apparaît très clairement dans son pamphlet le plus connu, La Loi.

Bastiat développe ainsi l’idée que la lutte des classes nait lorsque la loi sort de son rôle. Dans les cas où elle se contente de faire respecter les droits de chacun et de garantir « l’organisation collective du droit individuel de légitime défense », personne n’est dans la possibilité de l’instrumentaliser à son profit au détriment de tous, à tel point que la forme même du gouvernement devient une question secondaire.

Ce n’est que lorsque la loi sort de ses justes bornes que le législateur devient corruptible. Il s’ensuit alors une lutte acharnée entre divers intérêts catégoriels, tous soucieux de capturer l’appareil législatif en vue d’obtenir des privilèges par définition spoliateurs.

Or c’est précisément ce que Bastiat nomme le socialisme :

La chimère du jour est d’enrichir toutes les classes aux dépens les unes des autres ; c’est de généraliser la Spoliation sous prétexte de l’organiser. Or, la spoliation légale peut s’exercer d’une multitude infinie de manières ; de là une multitude infinie de plans d’organisation : tarifs, protection, primes, subventions, encouragements, impôt progressif, instruction gratuite, Droit au travail, Droit au profit, Droit au salaire, Droit à l’assistance, Droit aux instruments de travail, gratuité du crédit, etc.

Et c’est l’ensemble de tous ces plans,  en ce qu’ils ont de commun, la spoliation légale, qui prend le nom de Socialisme. Frédéric Bastiat – La Loi

Selon Bastiat, la lutte des classes est donc le résultat d’une crise institutionnelle qui survient lorsque le pouvoir politique échoue à sa mission de garantir les libertés individuelles en participant lui-même à l’exploitation des uns par les autres.

Or l’intervention de l’État est toujours plus visible que les bienfaits de la liberté. Telle est l’une des grandes contributions de Frédéric Bastiat à la philosophie politique.

On croit souvent que les hommes au pouvoir agissent dans l’intérêt général. Ils seraient au service du peuple, tandis que l’entrepreneur serait au service de son intérêt égoïste.

Mais selon Bastiat, l’intérêt personnel qui motive l’action humaine dans le secteur privé peut s’appliquer aussi bien à la prise de décision dans le secteur public. Les clients de ce marché politique sont les électeurs. Ils recherchent des faveurs et des privilèges du gouvernement. De leur côté les politiciens sont les fournisseurs de ces faveurs et de ces privilèges, dans le but de satisfaire les intérêts de la majorité et de se faire réélire.

En réalité l’homo politicus et l’homo economicus ne sont pas si différents qu’on veut bien le dire. En revanche, là où ils diffèrent, fait remarquer Bastiat, c’est en matière de responsabilité. L’homme politique joue avec l’argent des autres. Il ne paie pas les conséquences des choix publics.

29 juillet, 2021

Impôts sur les revenus du capital (1)

Mini-série sur la nature de l’impôt : une enquête de fond menée par Pascal Salin et Philippe Lacoude. Cinquième volet sur l’effet de l’impôt sur le revenu sur le capital.

Première partie de la série ici
Seconde partie de la série ici
Troisième partie de la série ici
Quatrième partie de la série ici

Les impôts sur les revenus produisent une cascade complexe d’effets sur le système des prix.

Une caractéristique importante de l’impôt sur le revenu, malheureusement ignorée, est qu’il a pour conséquence une sur-imposition de l’épargne.

Prenons en effet le cas d’un individu qui a reçu un revenu au cours d’une année à partir de son travail. L’année suivante il devra payer un impôt sur le revenu sur la base de son revenu de l’année précédente. Son revenu lui permet d’acheter des ressources.

S’il consomme toutes ces ressources, elles ne pourront pas servir d’assiette à une imposition ultérieure puisque la consommation signifie la destruction des ressources. Mais s’il épargne une partie de son revenu il achètera des biens de capital et les revenus de celui-ci seront ultérieurement soumis à l’impôt sur le revenu. Ainsi l’impôt sur le revenu pénalise l’épargne par rapport à la consommation.

Or l’épargne joue un rôle important, précisément en finançant l’accumulation de capital. Cette conséquence de la fiscalité n’existe pas nécessairement pour les impôts sur les revenus du travail autres que l’impôt sur le revenu.

Tel est le cas de la TVA, mais en ce qui concerne les cotisations sociales tout dépend de l’assiette fiscale. Si les cotisations sociales sont prélevées uniquement sur les salaires il n’y a pas de nuisance pour l’épargne. Cela a été le cas en France dans le passé, mais une réforme a été décidée il y a quelques années pour élargir l’assiette des cotisations sociales à d’autres revenus.

Les effets de l’impôt sur le revenu peuvent donc généralement être classés dans deux catégories :

  1. Des effets sur les prix relatifs entre les activités marchandes (par exemple le travail) et les activités non marchandes (par exemple les loisirs).
  2. Des effets sur les prix relatifs entre les biens présents et les biens futurs.

Les variations de coût relatif entre biens présents et biens futurs proviennent du fait que ce type d’impôt est collecté non seulement sur le revenu de l’année (ou période) n mais aussi sur les revenus éventuels de la contrepartie financière de l’épargne (c’est-à-dire l’investissement) obtenus au cours des années (ou périodes) n+1n+2,…

PRIX RELATIF DU PRÉSENT ET DU FUTUR

Supposons, pour simplifier les calculs, que le taux de rendement du capital – taux d’intérêt par exemple – soit de % et les revenus du travail d’un individu soient de 100 euros par période, sur une durée de deux périodes.

En l’absence d’impôt, notre individu disposera de 100 euros de revenus durant la première période. Il pourra en consommer C euros et investir le reste. Durant la seconde période, il aura (100-C)*(1+r) euros (capital et intérêt) plus ses 100 euros de revenus du travail.

Ces (100-C)*r magiquement apparus sont les revenus de ses investissements correspondant à son épargne de (100-C) euros, à savoir l’argent qu’il n’a pas dépensé durant la première période.

Sans mystère, dès que l’on introduit un impôt au taux t sur les revenus du capital, le revenu financier de (100-C)*r est amputé de (100-C)*r*t et il ne reste plus que (100-C)*r*(1-t) à notre individu. Il ne peut alors dépenser que (100-C)*(1-r*(1-t)) + 100 en seconde période.

Plus le taux d’imposition des revenus du capital t est élevé et plus notre contribuable est incité à épargner la somme (100-C) la plus faible possible ou en d’autres termes à consommer une plus grande part C de ses revenus du travail de la première période.

La valeur des biens présents exprimés en termes de biens futurs baisse à mesure que les impôts sur les revenus augmentent.

EFFET COMPOSÉ

Bien évidemment, la vie d’un contribuable comporte plus de deux périodes fiscales mais ceci renforce ce phénomène de distorsion car les impôts sur les revenus sont perçus à chaque période : ses investissements croissent géométriquement au taux de (1+(1-t)r) au lieu de croître au taux (1+r).

En ce sens, il conviendrait de parler de l’impôt sur les revenus – présents et futurs – plutôt que de l’impôt sur le revenu. Ceci n’est pas une simple question de sémantique, c’est une aide mentale précieuse à la compréhension profonde des effets temporels de cet impôt.

Pour éviter de se lancer dans des calculs abscons d’intérêts composés, nous pouvons prendre un exemple simple d’un investissement de 100 euros qui supporte un impôt de 50 % sur les revenus annuels de l’investissement.

Dans le premier tableau, nos 100 euros sont investis dans un monde sans impôt sur les revenus du capital à 5, 10, 15 ou 20 ans et à 5 %, 10 %, 15 % ou 20 % de rendement.

Dans le second tableau, nos 100 euros sont investis de la même manière mais dans un monde avec un impôt de 50 % sur les revenus du capital.

Dans le troisième tableau, nous pouvons voir la différence entre les deux situations, c’est-à-dire la somme totale d’impôt payé au fil du temps. (Cette somme devrait être exprimée en valeur présente actualisée mais gardons les choses simples.)

Sans surprise, plus la durée de l’investissement est longue et plus les gains sont importants. Plus le taux de rendement de l’investissement est élevé et plus les gains sont importants.

La première remarque que nous pouvons faire est que ces gains – même après impôt – ne croissent pas de façon linéaire. En termes simplifiés, lorsque l’on double la durée de l’investissement – par le jeu des intérêts composés – les gains font plus que doubler : dans la situation sans impôt, pour un même placement à 5 %, on gagne 28 euros en 5 ans, 63 euros en 10 ans (2,25 fois plus !), 108 euros en 15 ans (3,85 fois plus !), 165 euros en 20 ans (5,89 fois plus qu’en 5 ans) !

La seconde remarque, analogue à la première, est qu’un doublement du taux de rendement de l’investissement conduit à plus qu’un doublement des profits. Par exemple, dans la situation sans impôt, pour un même placement à 10 ans, on gagne 63 euros à 5 % mais 159 euros à 10 % (soit 2,52 fois plus !).

La troisième remarque est que les impôts sur les revenus du capital affectent bien plus les investissements à forts rendements que ceux à faibles rendements. Or les investissements à forts rendements sont ceux qui comportent le plus de risques et correspondent aux innovations humaines les plus audacieuses, ceteris paribus.

Plus l’impôt est élevé et plus il tue la prise de risque.

La quatrième remarque est que les impôts sur les revenus du capital affectent bien plus les investissements à long terme que ceux à court terme.

Plus l’impôt est élevé et plus il tue les décisions à long terme.

IMPÔTS RÉGRESSIFS, PROPORTIONNELS ET PROGRESSIFS

Évidemment, comme les impôts sur le revenu du travail, les impôts sur les revenus du capital peuvent être régressifs, proportionnels et progressifs. Les impôts progressifs sont évidemment ceux dont le taux augmente avec le revenu imposable.

Plus ils sont progressifs et plus leurs effets sur l’activité humaine sont importants.

Ceci est vrai d’un pur point de vue comptable : par le même raisonnement que ci-dessus, on voit bien que la progressivité de l’impôt renforcerait la différence entre une situation sans impôt et une où les taux seraient plus élevés et progressifs.

Ceci est aussi vrai d’un point de vue économique : les individus prennent leurs décisions à la marge. Toutes les décisions économiques comportent une part d’évaluation de ce que va rapporter une quantité supplémentaire (de travail, d’investissement, de production…)

Parce que l’utilité marginale est décroissante – les quantités supplémentaires d’un bien apportent une moindre augmentation de bien-être psychologique – les impôts progressifs, qui par définition abaissent les quantités nettes d’impôt à la marge, sont antithétiques de l’activité humaine.

Ils sont plus susceptibles d’éliminer les offreurs marginaux, c’est-à-dire ceux dont l’activité est la moins profitable à la marge. Ici, dans le cadre des impôts sur les revenus du capital, la progressivité détruit les investissements marginaux, c’est-à-dire ceux qui, compte-tenu du risque, sont les moins profitables.

Empiriquement, on entend la populace dire que « les banques françaises ne prennent pas de risque » ou que les « industriels français sont frileux ».

Bien sûr ! Mais si on considère qu’Amazon a quasiment fait faillite à la fin 2002 ou que SpaceX a bien failli disparaître en 2008, on voit bien que le succès tient à peu de choses et que l’absurde régime fiscal français aurait tout simplement achevé ces sociétés !

Mettons-nous à la place du monde de la finance : si on perd 100 % de la mise quand tout va mal et qu’on ne récupère que 30 % de la mise – après impôt ! – quand tout va bien, on ne va pas investir dans un projet qui a 50 % de chances de perdre 100 euros et 50 % d’en gagner 300… Simple arithmétique de cours moyen première année.

Ne parlons même pas du fait que dans un régime où les impôts sur les revenus du capital sont progressifs et élevés, le capital tend à manquer pour les mêmes raisons que le pain dans l’ex-URSS.

Ce n’est pas que « les banques françaises ne prennent pas de risque » mais plutôt que le capital est, d’une part, trop rare et, d’autre part, uniquement employé à des investissements sans risque, comme les prêts à l’État et aux collectivités locales, par exemple.

La progressivité accentue les effets négatifs sur la prise de risque et les décisions à long terme.

HÉTÉROGÉNÉITÉ COMPTABLE DES IMPÔTS

Comme nous l’avons vu précédemment, les impôts sur les revenus du travail prennent de multiples formes. Le travail est taxé de nombreuses fois : cotisations de l’assurance maladie, cotisations de l’assurance chômage, CSG, CRDS, impôt sur le revenu et, très certainement, futur impôt Covid-19.

Il en va de même pour les impôts sur les revenus du capital. Ils prennent tour à tour la forme d’un impôt sur les intérêts des prêts, sur les coupons obligataires, sur les dividendes.

Ils ponctionnent aussi les plus-values.

De façon plus subreptice et perverse, ils prennent aussi la forme de l’impôt sur les sociétés : comme les sociétés ne sont finalement qu’un complexe nœud de contrats et comme un contrat ne paie pas d’impôt, il est quasiment impossible de déterminer qui des salariés, des actionnaires, des clients et des fournisseurs s’en acquitte. Mais il est certain que les actionnaires paient une part non négligeable de cet impôt.

Enfin, il y a aussi les impôts sur la « fortune » – tour à tour impôt sur les grandes fortunes (IGF), impôt de solidarité sur la fortune (ISF), impôt sur la fortune immobilière (IFI) – qui est l’expression ultime de l’arbitraire fiscal et que nous laisserons de côté pour l’instant.

DÉTOURS DE PRODUCTION

Un autre problème, plus subtil et donc moins souvent évoqué, des impôts sur les revenus du capital est leur influence sur la structure de production.

Cette dernière est l’état du capital et de ses emplois à un instant donné.

Le capital physique (machines, bâtiments, terrains) ou humain (connaissances, savoir-faire) n’est utile que parce qu’une plus grande quantité de ce dernier permet de produire une plus grande quantité de biens par unité de temps de travail.

Pour expliquer l’existence d’investissements et le rôle du capital, l’économiste autrichien Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914) avait noté que tout bien peut être produit de multiples façons.

Celles, rudimentaires, qui requièrent peu de capital sont peu productives.

D’autres, évoluées, requièrent de larges investissements qui consomment du temps de travail et des moyens qui sont consacrés à la production de machines qui ne relèvent pas immédiatement de la production de biens de consommation. Un des rôles de l’entrepreneur est de détourner des ressources pour rendre le travail le plus productif possible à terme. L’entrepreneur est un créateur de « détours de production » pour utiliser la célèbre expression de Böhm-Bawerk.

Le but visé est une plus grande quantité de biens de consommation à terme. Ce terme est en fait décidé par la rareté du capital et par le prix relatif des biens futurs en termes de biens présent, c’est-à-dire le taux d’intérêt net d’impôt.

C’est la rareté du capital qui limite les détours de production et donc la productivité marginale du travail à un instant donné. À long terme, la croissance économique – qui n’est jamais que l’augmentation de la quantité de biens produite par unité de travail – résulte entièrement de l’allongement des détours de production par l’entrepreneur.

Il n’y a pas de meilleure preuve des théories de Böhm-Bawerk que l’histoire des micro-processeurs : cette histoire n’est qu’une course effrénée vers des usines (fabs ou foundries) toujours plus onéreuses qui produisent des transistors toujours moins chers.

La structure du capital est en fait conditionnée par l’ensemble des détours de production à un instant donné : les impôts sur les revenus du capital, en abaissant la valeur des biens futurs en termes de biens présents, raccourcissent ces détours de production.

Cette structure du capital est fragile : elle est une balance hétérogène entre des projets faiblement capitalistiques et des projets extrêmement capitalistiques, comme, par exemple, les centrales nucléaires ou les fabs de circuits intégrés (qui vont coûter jusqu’à 20 milliards d’euros dans le futur proche).

Lorsque l’on augmente les impôts sur les revenus du capital, on change la structure du capital, rendant de fait les projets capitalistiques relativement moins rentables.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cycles économiques n’affectent pas pareillement tous les secteurs mais c’est une discussion pour un autre jour…

HÉTÉROGÉNÉITÉ DES CONTRIBUABLES

Compte tenu des préférences des individus, les distorsions introduites par l’impôt apparaîtront comme plus ou moins importantes.

Cela s’explique par le fait que même si l’impôt augmente très fortement le coût d’opportunité pour un individu de poursuivre une certaine activité, il est fort possible que la poursuite de cette activité par rapport à d’autres activités possibles reste relativement plus intéressante.

En d’autres termes, même si les réactions de certains individus étaient faibles quant à une modification du niveau de l’impôt cela ne signifierait pas que l’impôt a un faible coût pour eux.

Ceci est vrai parce que l’impôt affecte non seulement les masses comptables mais aussi ce que les économistes appellent le surplus du consommateur et le surplus du producteur : nous ne participons pas à des échanges marchands simplement par goût pour les interactions sociales. Nous échangeons – par exemple deux euros pour du pain – parce que nous préférons certains biens à d’autres dans une quantité donnée à un instant donné.

Par exemple, si nous échangeons deux euros pour un pain, c’est bien parce que ce pain vaut au moins deux euros dans notre esprit. Peut-être 2,40 euros. Si nous avions été prêts à payer un bien 2,40 euros mais que nous l’avons eu pour « seulement » 2 euros, notre surplus du consommateur – notre gain psychologique connu de nous seuls – est de 40 centimes.

De son côté, le boulanger retire de l’échange un surplus du producteur.

EFFETS EMPIRIQUES ?

L’impôt, lorsqu’il pèse sur un échange, entre deux biens (comme la taxe à la valeur ajoutée) ou entre le présent et le futur (comme l’impôt sur les revenus du capital), affecte ces surplus de nature subjective que nous tirons de l’échange.

Nous ne calculerions jamais ces valeurs même si nous y mettions la meilleure volonté : elles sont par essence d’ordre psychologique.

Est-ce à dire qu’il est impossible de constater certains effets des impôts sur les revenus du capital d’un point de vue empirique ? C’est une question à laquelle nous chercherons à répondre par la suite.

28 juillet, 2021

« Il était une fois… L’argent magique » de Jean-Marc Daniel

 Une leçon magistrale en forme de mise en garde contre les illusions destructrices que promeuvent les apprentis sorciers qui jouent avec la dette.

Le titre de l’ouvrage est bien vu. Car en écoutant la plupart de nos politiques et des économistes qui les environnent, nous pouvons avoir vraiment l’impression que l’argent est devenu magique. Et il est un fait que bercer les Français de ce conte pour enfants est extrêmement dangereux. Il fut un temps pas si lointain où – bien que la France fût déjà bien endettée – injecter quelque 17 milliards d’euros dans des mesures destinées à calmer les révoltes paraissait presque insensé, vu la situation de nos finances. Il est à craindre que face à ce que nous avons vu depuis, une telle somme ne représente aujourd’hui plus grand-chose aux yeux de beaucoup.

L’ARGENT MAGIQUE, UNE ILLUSION TRAGIQUE

À travers cet essai, nous retrouvons avec bonheur tout le talent de Jean-Marc Daniel, sa douce ironie et sa bonne humeur, et surtout son érudition et son sens de la pédagogie au service de la connaissance et de la réflexion.

Il était une fois un monde où l’argent coulait enfin en abondance. Telle était la promesse de quelques mages réputés, dont le savoir économique consistait à confondre la richesse et l’endettement. Nous n’étions pourtant pas au temps de Nicolas Flamel, le célèbre alchimiste du XIVe siècle, nous étions en 2021.

Le sujet porte ici sur les politiques mises en place pour tenter de limiter l’impact des mesures prises par les gouvernements en lien avec la pandémie, qui se sont traduites par une fantastique création supplémentaire de dette. Se cumulant avec celle qui se trouvait déjà à des niveaux jugés inquiétants dans de nombreux pays, dont bien sûr la France.

« La France est un pays qui se pense encore riche » écrivait, il y a peu, Claude Goudron dans ces colonnes. L’illusion de richesse, tel est en effet le drame contre lequel met en garde Jean-Marc Daniel. Qui n’est pas sans nous rappeler l’époque de gloire des économistes mercantilistes avant que l’Europe n’en subisse à retardement les effets néfastes et l’appauvrissement dont elle a eu bien du mal à se relever. Mais aussi ce pamphlet riche d’enseignements dont je vous conseille de nouveau la lecture qu’est le « Maudit argent ! » de Frédéric Bastiat.

Jean-Marc Daniel nous explique ainsi, en remontant le fil de l’histoire, les ressorts de la création monétaire à partir de rien. Et les mécanismes fondamentaux qui la motivent. Une leçon essentielle si l’on veut mieux comprendre les conséquences et les enjeux qui en dépendent.

Déjà auteur, entre autres, d’une Histoire vivante de la pensée économique, il nous convie ici encore à une présentation vivante de l’histoire de la monnaie, de l’apparition des banques centrales, de l’évolution de leurs attributions et de la manière dont de fil en aiguille le financement du crédit échappe de plus en plus à la rationalité économique, devenant de plus en plus public et s’orientant de moins en moins vers les investissements productifs. Il montre ainsi comment les Etats sont en train de pervertir le système en s’endettant de manière dangereuse grâce à cet « argent magique » qui, en réalité, correspond pour l’essentiel à de la « mauvaise dette », c’est-à-dire nullement orientée vers le financement de la croissance future.

BONNE DETTE ET MAUVAISE DETTE, UN MAUVAIS TROPISME

Revenant de manière passionnante et instructive sur les problématiques de l’endettement à travers l’histoire, Jean-Marc Daniel en vient aux théories pré et post-keynésiennes et à leurs contestations, à l’épreuve des faits (y compris en France à travers les relances ratées de 1974 et de 1981). Il montre au passage que cette distinction entre bonne et mauvaise dette n’est en réalité qu’un leurre des politiques, qui se voudrait moderne mais n’est pas applicable dans le cas d’un État, qui ne fonctionne pas dans un univers concurrentiel comme c’est le cas d’une entreprise.

… Ils supposent que les dépenses d’investissement préparent l’avenir tandis que celle de fonctionnement le sacrifient. Pourtant, il est facile de voir que le salaire d’un chercheur qui prépare la croissance est comptabilisé en fonctionnement, alors que la construction d’un pont sur une route ne menant nulle part l’est en investissement. Au Japon, cette situation a pris un aspect caricatural. Après avoir construit des ponts sur des petites routes et avoir constaté que ces ponts n’enjambaient aucune rivière, les pouvoirs publics ont entrepris des travaux de terrassement visant à créer des rivières passant sous ces ponts.

En bon théoricien des cycles, Jean-Marc Daniel distingue les déficits conjoncturels, liés à l’évolution des cycles, et les déficits structurels, qui correspondent à la détérioration objective de la situation des finances publiques. C’est pourquoi il préconise de maintenir l’équilibre structurel des finances publiques, le véritable « mauvais déficit » étant le déficit structurel, tandis que le déficit conjoncturel correspond à la simple évolution du cycle et correspond davantage à ce que l’on pourrait appeler le « bon déficit ».

Cela signifie qu’il faut évacuer les discours sur les « dépenses d’avenir » et autre « transition écologique » que l’endettement public pourrait prendre à sa charge. Il convient d’autant plus de les évacuer qu’on a l’impression, à les entendre, que les impôts sont là pour être gaspillés tandis que seuls les emprunts seraient rationnellement utilisés.

Il démontre que le déficit structurel est toujours resté supérieur à 2 % du PIB potentiel en France, même avant 2020, malgré les engagements signés sous le gouvernement Hollande (TSCG, et non Maastricht) ; et que peu de pays ont d’ailleurs respecté, à l’exception des pays dits frugaux essentiellement (ce qui explique bien des choses…).

ROBIN DES BOIS INVERSÉ

Après avoir expliqué les mécanismes des rachats de dettes publiques et de détention de celles-ci par la Banque centrale – qui a pour l’État le même effet qu’une banqueroute et lui permet de verser des intérêts sans se soucier du capital – Jean-Marc Daniel démonte certaines idées reçues, là encore en s’appuyant sur l’Histoire de la pensée économique.

Ainsi, l’idée selon laquelle la dette serait un fardeau pour les générations futures est contestable. Jean-François Melon, repris par Montesquieu, avait montré qu’il s’agit plutôt d’un transfert d’un groupe social – les contribuables – vers un autre – les détenteurs de titres publics, qui perçoivent les intérêts.

Faisant référence à son économiste de prédilection, David Ricardo, il met en avant un paradoxe particulièrement intéressant. L’économiste anglais montrait en effet que le transfert se fait non entre générations, mais entre les pauvres qui doivent payer des impôts et ceux qui peuvent être considérés comme des rentiers, ceux à qui l’État verse des intérêts. Ce qui aboutit en définitive à un mécanisme antiredistributif.

En langage économique moderne, on parle de « Robin Hood reversed », c’est-à-dire d’une situation où l’État joue un rôle inverse de celui de Robin des Bois, puisqu’il prend de l’argent aux pauvres pour le reverser aux riches. C’est pour cela qu’au XIXe siècle les partis de gauche réclamaient l’équilibre budgétaire au nom de la nécessité de protéger les pauvres des générations futures. Paradoxalement, aujourd’hui, ce sont des économistes et des hommes politiques qui se réclament de la gauche qui se font les défenseurs les plus actifs de la relance par la dépense publique et l’endettement.

LES VÉRITABLES ARGUMENTS CONTRE LA DETTE PUBLIQUE

Autre idée reçue ou confusion qui empêche la bonne compréhension des mécanismes en jeu selon Jean-Marc Daniel, et qu’il explique clairement : la confusion entre dette publique et dette extérieure.

Il n’oublie pas également les trois éléments majeurs à ne pas négliger et qui viennent à l’encontre des politiques d’endettement : l’inflation (là encore source de certaines confusions ou erreurs d’interprétation), l’effet d’éviction, qu’expliquent parfaitement bien les anticipations rationnelles et l’équivalence ricardienne, mais aussi la défiance qui se manifeste à l’égard de certaines monnaies et qui viennent elles aussi mettre à mal les politiques de rachat de dettes publiques. Je n’en reprends pas les développements ici pour des raisons de longueur et je renvoie vers le livre.

Plus grave encore, l’endettement public pénalise la politique monétaire, faussant les mécanismes de marché habituels. Face au stock croissant de dette, les principales Banques centrales ont pratiqué une politique monétaire d’assouplissement quantitatif qui a modifié l’équilibre entre l’épargne d’une part et l’investissement privé et le financement des déficits publics d’autre part. Ce qui n’est pas anodin :

Le maintien artificiel de taux d’intérêt bas conduit à une baisse de la croissance potentielle. Pour une raison simple : les taux bas réduisent les exigences des banques sur la rentabilité des projets qu’on leur soumet. Les crédits – qui deviennent, rappelons-le, des dépôts – se dispersent en une multitude d’investissements peu efficaces, amputant d’autant la croissance potentielle.

Les pays les plus développés sont encore à la surface de la planète les pays les plus puissants économiquement et politiquement parlant. Maintenant qu’ils sont devenus les plus endettés, ils se refusent à subir des politiques de redressement des comptes publics utiles du type de celles que subirent naguère les pays du Sud ou plus récemment la Grèce. Ils ont donc besoin de taux bas pour que la charge d’intérêt qu’ils ont à régler ne gonfle pas. On peut ainsi donner une interprétation géopolitique aux taux bas. Leur pérennité traduit le maintien d’une certaine force des pays du G7. Ceux-ci sont en effet capables d’obliger l’ensemble de la planète à accepter une sous-rémunération objective de l’épargne pour éviter d’avoir à remettre de l’ordre dans leurs finances publiques. Avec comme conséquence une baisse de la croissance potentielle dont le monde entier va pâtir.

LA DETTE PERPÉTUELLE

Une tendance bien présente parmi certains économistes ou politiques consiste à préconiser l’émission d’une dette perpétuelle que nous n’aurions donc pas à rembourser. C’est omettre, rappelle Jean-Marc Daniel, que la dette est déjà perpétuelle, dans la mesure où depuis très longtemps les États ne font que verser les intérêts de celle-ci, chaque emprunt arrivant à échéance donnant simplement lieu à l’émission d’un nouvel emprunt.

D’autres proposent d’annuler la part de dette publique détenue par la Banque centrale ou, mieux encore, d’annuler purement et simplement tout ou partie de la dette détenue par le public, à l’image de ce qui a été fait en Grèce en 2011. Dans les deux cas, Jean-Marc Daniel montre en quoi ces propositions sont inadaptées et rappelle, là encore, les leçons à retenir de l’histoire, en l’occurrence dans le second cas, des banqueroutes et de leurs lourdes conséquences. L’inflation est souvent vue aussi comme un remède, mais avec tous les dangers et les excès que cela comporte, là aussi l’histoire en témoigne et montre en quoi il s’agit d’une impasse.

Seul le redressement des finances publiques pour rembourser la dette serait une solution viable, passant par une baisse des dépenses publiques. Les Suédois, eux, y sont parvenus (entre autres). Mais, en France, on sait ce qu’il est advenu du célèbre rapport Pébereau… Et on ne voit que trop dans quel sens œuvre la volonté politique chaque jour.

Pourtant, l’instauration d’une règle d’or, inscrite dans la Constitution comme il en avait été un temps question, serait déjà un pas important permettant de parvenir à l’équilibre voire l’excédent structurel et d’adopter une règle de gestion des finances publiques en stabilisateurs automatiques.