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31 mars, 2021

La Terre s’est déjà réchauffée plusieurs fois

par Jean-Philippe Delsol

La découverte d’anciens carottages de glace arctique très profonds ont fait apparaitre que la calotte glaciaire aurait déjà disparu une ou plusieurs fois au cours du dernier million d’années. Sous un climat à peine plus chaud que l’actuel, le Groenland a ainsi fondu, quasi totalement, Il y a un million d’années tandis que le niveau des mers aurait alors grimpé de 10 mètres. Le Monde rapporte les propos de Jean-Louis Tison, glaciologue à l’Université libre de Bruxelles et l’un des auteurs de l’étude réalisée sur ce sujet selon lesquels « Il est possible que le Groenland ait aussi en partie disparu il y a quatre cent mille ans », alors que la température globale était entre 1,5 °C et 2 °C plus élevée qu’à l’ère préindustrielle.




Ce phénomène est inquiétant pour beaucoup de sites côtiers s’il conduit à envisager que le niveau des mers puisse monter de 10 mètres, même s’il ne s’agit que d’une supposition projetée dans un avenir indéterminé. Mais c’est aussi la démonstration que l’activité anthropique n’est pas nécessairement la cause du réchauffement actuel. La prudence doit donc conduire à limiter les mesures contraignantes à l’encontre des sociétés humaines au nom d’une lutte à l’efficacité plus qu’incertaine contre une hausse des températures dont l’origine continue de faire débat. 

30 mars, 2021

Terres rares indispensables aux nouvelles technologies… et pas très écologiques

 Les écolos férus de moteurs électriques ou hybrides devraient s’intéresser au bilan écologique total de ces merveilles prétendument propres avant de condamner les moteurs à combustion. Les plus pollueurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Dans la compétition mondiale pour la suprématie technologique, les semi- conducteurs sont essentiels. L’Asie est leader sur le marché, ce qui promet de faire basculer le monde du côté de la Chine plus rapidement.

Pour faire face à cette menace géopolitique, la relance de la conquête spatiale ne prendrait-elle pas tout son sens avec la présence de terres rares sur certains astéroïdes pour rattraper notre retard en Occident ?

Les terres rares (15 métaux de la famille des lanthanides auxquels ajoutés le scandium et l’yttrium) sont devenues un problème en même temps qu’elles sont devenues cruciales pour la vie moderne. Il y en a un peu partout à la surface de la Terre, en Chine surtout mais aussi au Brésil, au Vietnam, en Russie, en Inde, en Australie, en Malaisie, aux États-Unis ou même en Bretagne ou en Guyane.

Mais partout elles sont en quantités très faibles et toujours combinées à d’autres éléments aussi bien qu’entre elles. Il est très difficile de les purifier et de les séparer.

Leur raffinage est extrêmement polluant et il n’y a guère que la Chine qui se permet de les exploiter (en Mongolie intérieure) parce qu’elle se soucie assez peu (euphémisme) des dégâts collatéraux, fussent-ils humains et aussi parce qu’elle a « cassé les prix » pour conquérir les marchés (technique employée dans d’autres industries !).

Malheureusement dans notre environnement moderne, nous avons absolument besoin de ces terres rares pour leurs propriétés magnétiques, catalytiques et électrochimiques. Il nous en faut pour les véhicules électriques ou hybrides, les batteries, les panneaux solaires, les éoliennes, les téléphones portables, les téléviseurs…

Depuis quelques temps, certains esprits audacieux ont l’idée d’aller les chercher en dehors de la Terre. Pour le réalisateur David Cameron, c’était sur Pandora, cette grosse lune supposée très riche en unobtanium, orbitant l’hypothétique planète géante gazeuse Polyphème dans le système d’Alpha Centauri ; que nos télescopes n’ont pu encore percevoir bien qu’Alpha Centauri appartienne au système stellaire le plus proche !

Pour d’autres, ce serait sur les astéroïdes. Le raisonnement doit venir de ce que ces derniers contiennent tous les éléments chimiques dont nous sommes faits. En pensant cela, ces esprits fertiles se voient déjà engagés dans une nouvelle ruée vers l’or, chevauchant leur monture volante. Ce n’est pas si simple.

Il faudrait d’abord trouver le bon astéroïde. Le moins que l’on puisse dire c’est que dans notre voisinage, les astéroïdes ne courent pas les rues. Il y a bien ce qu’on appelle les géocroiseurs ou NEA (Near Earth Asteroids) mais ils sont peu nombreux et il n’est pas du tout sûr que l’on ait la chance d’en croiser un qui soit suffisamment riche en terres rares.

Parmi eux, il faudrait accéder à l’un des astéroïdes M supposés être métalliques (en fait des noyaux de planétoïdes, débarrassés de leurs manteaux et non fusionnés avec leurs congénères au cours des vicissitudes de l’histoire) qui sont encore plus rares que rares.

Il y a une région de l’espace pas trop lointain à l’échelle du système solaire où il y a beaucoup plus d’astéroïdes et sans doute davantage d’astéroïdes-M, la Ceinture du même nom mais cette Ceinture est quand même lointaine selon nos critères (surtout en raison de nos capacités limitées de propulsion), entre Mars et Jupiter, au moins une année de voyage avec nos vaisseaux actuels.

À une époque où nous n’avons pas encore de vaisseaux aptes à transporter de lourds équipements dans l’espace profond (le Starship d’Elon Musk n’a pas encore franchi ses premiers 100 km en altitude pour accéder à ce qu’on appelle officiellement l’espace) c’est un peu tôt pour penser y aller pour chercher des terres rares.

Surtout que celles-ci ne se ramassent pas à la pelle comme les feuilles mortes en automne. Il faut se saisir des minéraux intéressants (bastnäsite, monazite, xénotime), les broyer et en extraire la substantifique moëlle (enrichissement), quelques tout petits pourcentages des minéraux d’origine, les traiter par flottation avec produits chimiques déprimants et produits chimiques collecteurs tous très toxiques.

Ensuite on déshydrate les boues et on obtient un mélange comprenant 90 % de terres rares… dans le désordre, c’est-à-dire qu’on est au milieu du processus et que le traitement donc la pollution ne sont pas terminés. Il faut encore traiter les poussières avec d’autres produits chimiques très toxiques (comme les acides sulfurique,  chlorhydrique, nitrique, la soude caustique) pour obtenir ces fameuses terres rares… et en cadeau pas mal de déchets radioactifs, très radioactifs, notamment des composés de thorium et d’uranium.

Cerise sur le gâteau, le traitement de la bastnäsite par l’acide sulfurique donne des composés fluorés comme l’acide fluorhydrique extrêmement agressif pour tout ce qui contient du calcium…

Bon, j’imagine que les petits futés qui veulent se procurer les terres rares dans les astéroïdes, rapporteraient sur Terre les minéraux après broyage et tri et avant traitement chimique. Mais rien qu’effectuer cette manipulation suppose une installation industrielle lourde et de la gravité (artificielle ?).

Ce serait très difficile à faire dans un vaisseau spatial et qui plus est dans un vaisseau spatial robotisé sans aucune présence humaine ; car n’oublions pas que la distance qui nous sépare de la Ceinture d’astéroïdes induit un décalage de temps qui empêcherait toute commande en direct de nos robots.

L’alternative serait de rapporter des minéraux très mal dégrossis et un autre facteur entrerait en compte, le coût du transport. Il faudrait que le coût des terres rares vendues par la Chine devienne totalement prohibitif pour que ces terres rares  célestes soient compétitives. Cela ne serait pas du tout dans l’intérêt de la Chine car les ventes de produits les incorporant deviendraient totalement prohibitifs pour les clients espérés.

À noter en passant que le traitement de ces terres rares, qui devrait toujours se faire sur Terre, serait toujours aussi polluant pour les sols et pour les personnes où et avec lesquelles ce traitement se pratiquerait.

Nous n’avons ni les vaisseaux spatiaux, ni les lanceurs de ces vaisseaux, ni les robots pour grignoter les astéroïdes et nous ne savons même pas précisément où aller les chercher car nous ne pouvons pas nous permettre de partir à l’aventure sans destination précise, dans un espace aussi vaste.

Il vaut mieux oublier pour le moment ces idées totalement du domaine de la science-fiction et rechercher d’abord à limiter autant que possible la pollution inhérente à l’obtention de ces terres et ensuite plutôt à recycler les produits industriels les incorporant. Ce n’est pas du tout évident non plus mais plus réaliste que d’aller à la chasse aux astéroïdes qui est purement et simplement une fuite en avant, quand elle sera possible et si elle l’est un jour.

En tout cas les écolos qui nous bassinent avec les moteurs électriques et/ou hybrides, devraient s’intéresser au bilan écologique total de ces merveilles soi-disant propres avant de condamner les moteurs fonctionnant avec la combustion de matière organique. Les plus pollueurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit. La solution est comme toujours la recherche, le contrôle de ce que l’on fait et la durabilité des produits finis, couplée avec leur recyclage.

29 mars, 2021

Grands penseurs du libéralisme : Ludwig von Mises

 Que ce soit par ses écrits en philosophie politique ou en économie, l’influence de Ludwig von Mises sur notre société est considérable.

Un article de l’Institut économique de Montréal

Nous célébrions récemment les 135 ans de Ludwig von Mises, l’un des leaders intellectuels de l’école de pensée économique autrichienne. L’influence de Mises sur la promotion des idées libérales classiques au cours du XXe siècle est impressionnante.

Né dans une famille aisée dans une province de l’empire austro-hongrois qui fait maintenant partie de l’Ukraine, Mises a démontré son intelligence très jeune : il maîtrisait le français, l’allemand et le polonais et lisait le latin dès l’âge de 12 ans.

LUDWIG VON MISES, PÈRE FONDATEUR DE L’ÉCONOMIE AUTRICHIENNE

Mises partageait les idées socialistes quand il a commencé ses études universitaires. Son point de vue sur le monde et sur l’économie a rapidement évolué lorsqu’il a pris connaissance des écrits de Carl Menger et Friedrich von Wieser, les pères fondateurs de l’école autrichienne d’économie.

Dans son premier ouvrage (en allemand) publié en 1912, The Theory of Money and Credit, Mises développe son explication des fluctuations de l’économie. À partir de ce moment, sa réputation ne cesse de prendre de l’ampleur grâce à la qualité de ses travaux.

Sa carrière a été très mouvementée. Après avoir fondé son propre institut de recherche à Vienne, il doit fuir le pays dans les années 1930 avec la montée du nazisme. Il s’enfuit d’abord en Suisse puis aux États-Unis, plus précisément à New York. Cinq ans après son arrivée, il commence à enseigner à l’Université de New York en tant que professeur invité. Il y restera jusqu’à sa retraite en 1969. Il meurt à l’âge avancé de 92 ans en 1973.

COORDINATION ÉCONOMIQUE ET THÉORIE DES FLUCTUATIONS ÉCONOMIQUES

Parmi les contributions importantes de Mises à la théorie économique, il faut mentionner en particulier la notion de coordination économique par les prix et sa théorie sur les fluctuations économiques.

Les ressources étant limitées et les besoins illimités, il faut trouver les meilleures façons de produire ce dont nous avons besoin. Comment s’y prendre ? Pour répondre à cette question, prenons un exemple, celui de la construction de voies ferrées. Il est possible de construire des voies ferrées avec de l’or, du moins théoriquement. Bien sûr, on peut voir des milliers d’autres utilités à l’or : les bijoux, les pièces d’ordinateurs, etc. Alors, comment savoir si on doit préférer l’or à l’acier ?

Selon Mises, seuls les prix nous informent de la valeur relative des ressources et de leurs utilisations optimales pour le bien de notre société. C’est pourquoi le législateur doit s’assurer que l’information issue des prix ne soit pas « contaminée » par des réglementations inadéquates qui les feraient monter ou baisser pour des raisons qui ne découlent pas de l’échange volontaire entre les individus.

CONTRE LA MANIPULATION DES PRIX

Mises n’analysait pas l’économie à travers les lentilles traditionnelles de l’offre et de la demande. Il postulait que les marchés sont généralement stables, mais sont sujets aux récessions, voire aux dépressions, lorsqu’il y a une expansion artificielle du crédit par les banques centrales. Selon lui, ceci crée des pressions inflationnistes et incite les individus et les entreprises à faire des mauvais choix. C’est en manipulant les prix que le gouvernement perturbe les activités économiques normales.

Son travail a influencé celui de plusieurs autres, tels que Friedrich von Hayek (Nobel 1974), Robert Lucas (Nobel 1995) et Leonid Hurwicz (Nobel 2007). Son influence va bien au-delà de l’école autrichienne d’économie.

Les prix Nobel en sciences économiques ayant été introduits seulement vers la fin de la vie de Mises, il n’en a jamais reçu. Cependant, le fameux économiste du MIT et lui-même un lauréat, Paul Samuelson, a écrit que si le prix avait été décerné plus tôt, Mises l’aurait certainement gagné. Ceci est une reconnaissance importante puisque les idées de Samuelson étaient diamétralement opposées à celles de Mises.

Que ce soit par ses écrits en philosophie politique ou en économie, l’influence que Ludwig von Mises a eue sur notre société est considérable. Il a réussi à consolider les fondations d’une des plus importantes écoles de pensée en économie et son œuvre est aujourd’hui plus vivante et actuelle que jamais. Le jour de son anniversaire est un bon moment pour le rappeler.

28 mars, 2021

Les analogies pour comprendre le développement – Économie du développement (5)

 La cinquième session du cours d’Emmanuel martin sur les moteurs du développement économique, qui est une « digression » sur le potentiel et les limites des analogies pour mieux cerner le processus de développement économique.

 

27 mars, 2021

Culture woke : les guerres culturelles continuent

 La cancel culture, culture de l’annulation, déboulonne en meute les statues de grands hommes ne respectant pas nos valeurs. C’est un anachronisme iconoclaste, qui, d’intimidation en émotion, parvient à faire accepter une occultation pour une libération.

Avant nos guerres culturelles, a sévi la « guerre froide culturelle » formule de G. Orwell en 1945 : Moscou est vainqueur, son réalisme socialiste a défait le réalisme rival nazi ; l’autre géant, les USA, est un pays neuf réputé sans culture.

Au milieu, l’École de Paris, internationale, croit à la libre coopération des cultures. L’État s’étant alors désengagé de la direction de l’art, elle se soucie peu de géostratégie. La guerre nouvelle est d’abord sémantique : au « pour la paix contre le fascisme » des Russes, répond « pour la liberté de la culture » aux États-Unis.

Ce slogan plus consensuel et positif sera vainqueur et le demeure.

COLOMBE DE PICASSO CONTRE DRIPPING DE POLLOCK

Les Étas-Unis appliquent avec retard la stratégie communiste : eux aussi auront leurs publications, colloques, institutions apparemment indépendantes, donc crédibles, comme le Congrès pour la liberté de la culture, fondé en 1950 à Paris financé en sous-main par la CIA qui travaille avec des fondations ou musées privés, tel le Moma organisant à partir de 1952 des expositions d’art moderne américain, itinérantes en Europe.

Le choix américain s’est porté sur l’expressionnisme abstrait né en Europe : aucune narration ou figuration, nulle référence à un passé national, adoptable par tous car exprimant des états intérieurs universels. La grandeur et l’énergie de Pollock riment avec modernité. Ironie du sort, les peintres américains promus sont de gauche tout comme leurs soutiens critiques Greenberg et Rosenberg et, maccarthysme oblige, soupçonnés de communisme. Or, à l’étranger, ce sont eux que la CIA met en avant pour détourner les gauches européennes du communisme.

Détourner les plasticiens du voyage à Moscou a été facile : le réalisme socialiste, taxé d’académisme, a fait peu d’émules parmi les avant-gardes occidentales et surtout pas Picasso, pourtant encarté.

Dissuader du voyage à Paris s’appuiera sur un mixte de Pop art et d’art issu de Duchamp, ce que pratique Robert Rauschenberg vainqueur (peu loyal) de la biennale de Venise en 1964. Ainsi New-York « vola l’idée d’Art moderne à Paris ». L’art duchampien, de ready-made en performances, a une teneur conceptuelle : l’idée, l’intention, le discours priment sur la forme. L’art qui exprime le sens et vise la beauté grâce au métier devient archaïque voire risible : détruire en démodant est une constante d’une guerre culturelle.

Les discours progressistes vont pouvoir se diffuser via la mouvance duchampienne, dont la transgression inhérente rejoint la préoccupation américaine de repousser les frontières : conquête de l’Ouest, de la Lune puis transgression des limites du sexe et du genre humain (LGBT, spécisme…).

Ce dernier but s’inscrit dans une contestation de la civilisation occidentale dominée par l’homme blanc et débutée sur les campus tel Stanford, poursuivie par la french théorie, mère des études de genre.

La culture revue à l’aune de la classe, de l’ethnie ou du genre se mue en multiculturalisme, de concert avec la fin de la modernité (Lyotard et Fukuyama) et l’avènement de l’ère post-moderne : les « grands récits » mythiques (la Révolution, le progrès…) sont remplacés par un storytelling conditionnant électeurs, acheteurs ou spectateurs. L’identité n’est tolérée qu’à l’état de folklore ou disneylandisée au profit du tourisme culturel.

C’est justement au milieu des années 1970 que s’impose le terme « Art contemporain », passe-partout, plus vendeur que celui d’« avant-garde », militaire et engagé. Sa figure tutélaire est Marcel Duchamp, Français émigré aux États-Unis, dandy apolitique et blagueur, inventeur du ready-made, pionnier de performances où, déguisé en femme, il « questionne » le genre : un as des jeux de mots et du jeu d’échecs ; or la guerre culturelle vit de stratégies sémantiques.

Ses principes de détournement, d’appropriation, de re-contextualisation (en fonction du contexte, le sens d’une œuvre change) font de ses pratiques un cheval de Troie, apte à mettre en crise leur lieu d’accueil : l’urinoir est un précurseur. Duchamp ne crée plus, il décrète l’art, échange un savoir-faire (le métier) contre un faire-savoir qui construit la croyance que « c’est bien de l’art », celui du monde contemporain.

HOSTILITÉS NOUVELLES

Si la CIA s’occupe du travail d’influence à l’étranger, à l’intérieur œuvre la NEA créée en 1965, subventionnée par l’État mais relativement indépendante. Elle ne donne la priorité ni à la high-culture menacée pourtant par la culture de masse, ni à l’avant-garde qui se pique de duchampisme mais à une culture plus démocratique et populaire (folklore, puis dans les années 1970, graffiti, hip hop, rap…) intervenant dans les prisons, écoles, ghettos. En 1980 le Congrès lui impose « la diversité culturelle » : la mise en valeurs des arts et cultures des minorités ethniques et sociales (Blacks, Latinos, Indiens).

Rapidement, féministes, gays et lesbiennes, s’identifient comme communautés et « minorités sexuelles » : avec eux, l’Art contemporain1, dans sa composante duchampienne transgressive, revient en force. « Les guerres culturelles » proprement dites commencent, le mot culture renvoyant moins à une excellence intellectuelle ou artistique qu’à un mode de vie.

La crise éclate en mai 1989 quand des associations religieuses protestent contre une photo d’André Serrano, un crucifix baignant dans une « belle » lumière orangée, en fait un bocal d’urine : Piss Christ. Le culturel s’origine dans un culte et le christianisme, surtout le catholicisme avec 2000 ans d’images à détourner, est un terrain de jeu pour cette mouvance artistique. Des sénateurs et membres de la Chambre des représentants protestent auprès de la NEA qui a financé l’œuvre.

En juin 1989 une exposition du sulfureux Mapplethorpe subventionnée par la NEA est annulée par peur de troubles, mais le photographe est mort du sida en mars : l’émotion mobilise artistes et intellectuels contre la censure jusqu’au boycott du musée.

D’autres œuvres consacrées aux malades du sida retourneront le directeur de la NEA, qui, éploré, finit piégé dans le cycle infernal subversion/subvention : chaque scandale faisant monter la cote des artistes transgresseurs. Mais ce jeu ambigu, rétribuer l’art transgresseur pour (tenter de) le circonvenir, a servi de modèle à de nombreuses politiques culturelles à travers le monde.

Tous les coups sont permis : Serrano, qui nie tout blasphème, a attaqué en justice un pasteur qui, pour dénoncer le Piss christ, l’a diffusé par photocopies sans payer les droits. Les culture wars commencées à Washington s’étendent à toute l’Amérique et à nombre d’institutions, universités, bibliothèques, fondations, etc. : dix ans de manifestations (et contre-manifs), pétitions (et contre-pétitions) et moult procès dont celui des « NEAfour » (quatre artistes queer et militants gays privés de subvention pour cause d’obscénité).

Vainqueurs en première instance, ils seront déboutés devant la Cour suprême en 1998 : la décence, le respect des croyances et valeurs du public américain peuvent compter pour l’attribution d’argent public. Si l’argent privé est libre, dans une société multiculturelle, l’État doit pouvoir ménager les susceptibilités de ses citoyens.

Globalisation aidant, des sociétés s’américanisent, les migrations installent une diversité dont New York est la plaque tournante : taggers, rappeurs, danseurs, etc. multiplient les tournées à l’étranger grâce aux ambassades. Ce soft power aboutit à une uniformisation des cultures, une mosaïque où l’AC protéiforme (du gore de McCarthy au glamour de Koons) est une référence, sa visibilité étant relancée à chaque scandale ou record financier du haut marché, la masse étant atteinte par les produits dérivés. Désormais le Parisien connaît davantage les artistes new-yorkais que locaux.

Officiellement, la diversité est facteur de créativité, d’atténuation des identités suspectes de nationalisme donc de guerre. En fait, l’Art non duchampien est un empêcheur de globaliser car porteur de sens, valeurs, identité, frictions néfastes pour le mercantilisme éliminant tout frein à la mobilité des hommes et des produits. Quand, après et à côté d’un cochon, Wim Delvoye tatoue le dos d’un homme, qui par contrat sera dépecé à sa mort pour être exposé, il signifie que l’Homme est une marchandise comme une autre.

Cette culture globale, mainstream, inexorable sens de l’histoire, démode toute tradition : le musée national des Arts et Traditions populaires parisien a fermé en 2005 lâché par le ministère. Un musée d’ethnologie consacré à la France rurale et artisanale passée ne peut être que populiste et rétrograde.

Aujourd’hui les bâtiments dépendent de la Fondation Vuitton, dirigée par un grand collectionneur d’Art contemporain international : tout un symbole. En soutenant l’AC, les réseaux économiques-financiers-médiatiques internationaux ont pris la relève des agents américains. L’économie transfrontière vit en rhizomes interconnectés gorgés d’argent nourricier, inutile de chercher un chef d’orchestre.

De froides, les guerres culturelles sont devenues gazeuses, leur circonférence est partout, leur centre nulle part.

Le soft power du cabinet Portland classe 30 pays selon leur docilité aux idéaux globaux. En 2019 les mauvais élèves sont la Chine 27ème et la Russie 30ème qui utilisent leur local pour résister au global ou jouent double jeu, conservant leur culture tout en adoptant l’AC. La Pologne est 23ème, la France première2.

Une grande carrière artistique est portée par des réseaux : postcoloniaux (Kader Attia) ou féministe (Kiki Smith) etc. L’engagement est plus important que l’œuvre, mieux, C’EST l’œuvre. Le militantisme n’est plus politique mais sociétal : féminisme, racisme, discrimination, études de genres, crise climatique et migratoire etc. monopolisent l’attention aux dépens d’urgences vitales (le délabrement hospitalier ne sera révélé en France que par la Covid).

Outre le contenu, les guerres culturelles sont dangereuses par leurs cibles récurrentes : au culte (à la Biennale de Venise 2015 un artiste suisse a transformé une église en mosquée) s’ajoute le patrimoine. Ces guerres sont rétroactives : les artistes d’AC adorent « dialoguer » avec l’art du passé. Il suffit de rapprocher l’ambigu Matthew Barney (né en 1967) de Girodet (1767-1824) pour en déduire que le trouble de sa toile Endymion ne vient plus du romantisme mais de l’homosexualité ou bisexualité supposées de l’artiste (sans autre preuve), les grands hommes devant actualiser leurs mœurs.

La notion de mémoire, avant tout émotionnelle et communautaire, supplante celle de l’histoire, discipline rationnelle basée sur des preuves universellement recevables. Dans une société travaillée par les guerres culturelles, la vérité disparaît, remplacée par le consensus ou la « vérité alternative ».

On ne peut parler que de sujets insignifiants ou faire la fête : d’où le succès du terme arty mélangeant art et sexy ; les guerres culturelles sont festives, elles attirent les jeunes, leur troisième cible préférée. Les scolaires sont envoyés voir des expositions les initiant, dans la bonne humeur, au relativisme, à la déconstruction des valeurs, aux plaisirs des inversions : l’expo Infamilles (FRAC Lorraine, institution publique) conjuguait, comme son titre, infamie et famille ; la justice saisie fut tétanisée par la sacrosainte « liberté d’expression ». Celle-ci protégea longtemps des artistes pour qui la pédophilie était une louable rébellion contre l’ordre moral, telle la star de l’Art contemporain Claude Lévêque, récemment accusé de viols sur mineurs.

QUE FAIRE ?

Ne jamais attaquer de front.

L’indignation sera retournée en censure, atteinte à la dignité de l’artiste, de l’art etc. Quand le Vagin de la Reine a été vandalisé à Versailles, Kapoor s’est rentablement victimisé. Dans une guerre culturelle, concepts et slogans sont des armes dont les réseaux sociaux sont friands. Mais sous peine d’échanger une aliénation contre une autre, il faut auparavant déconstruire la déconstruction, la prendre à ses propres pièges, non-dits et contradictions3.

L’AC se targue de féminisme : pourquoi les femmes, majoritaires dans les écoles d’art, ne sont que sept sur les 100 artistes les plus cotés en 2020 ?

Pourquoi, après MeToo et les propos de Duchamp « nous n’avons que pour femelle la pissotière et on en vit », son phallocratique Urinoir reste une icône mondiale ? Des blocs de banquise à Paris pour plaider la cause du climat ? Demandons-en l’empreinte carbone. Le chalutier où moururent 800 migrants, renfloué à prix d’or, exposé à la 58e Biennale de Venise, symbole culpabilisateur d’une Europe défaillante : face à l’épave, des visiteurs buvaient des Spritz. Les associations d’aide aux migrants ne sont-elles pas sceptiques du cocktail art, divertissement, finances, droits de l’Homme ?

Eduardo Kac combat les manipulations génétiques en créant un lapin fluo, l’AC adorant pratiquer ce qu’il dénonce : alors seul le mal peut combattre le mal ? Orlan sculpte son visage avec bosses frontales implantées par un chirurgien : « je suis un femme et une homme » dit l’artiste.

Face au malaise actuel du masculin/féminin, plus l’art flirte avec le clone, l’homme augmenté, le cyborg, moins la responsabilité des perturbateurs endocriniens de l’industrie (malgré l’inflation des pubertés précoces) sera pointée : car les résultats sont déjà culturellement intégrés, et transgenre, genderfluid, transhumanisme, présentés comme un épanouissement de l’humanité.

Enfin, dénoncer l’appropriation culturelle comme spoliation d’une autre culture (interdire aux Blancs le sujet de l’esclavage etc.) dynamite la notion de culture qui est autant emprunts qu’héritage.

La cancel culture, culture de l’annulation, déboulonne en meute les statues de grands hommes ne respectant pas nos valeurs. C’est un anachronisme iconoclaste, qui, d’intimidation en émotion, parvient à faire accepter une occultation pour une libération. Ces derniers avatars des guerres culturelles mènent à un monde kafkaïen, sinon aux guerres civiles.

Sur le web

  1. « Art contemporain » devrait désigner lart de tous nos contemporains ;  trop souvent ce terme ne désigne que lart conceptualisant dascendance duchampienne (appelé ici AC pour sortir de la confusion) ; lAC, dominant, sest financiarisé. ↩
  2. Les USA de Trump sont cinquième. ↩
  3. Ch. Sourgins, Les mirages de l’Art contemporain, La Table Ronde, 2018. ↩

26 mars, 2021

Adam Smith a combattu l’esclavage, mais la cancel culture veut l’abattre

Comment sommes-nous passés d’Adam Smith figure de l’abolitionnisme au XIXe siècle à celui d’Adam Smith « problématique » au XXIe ?

Le père de l’économie moderne va-t-il être banni au nom de l’idéologie décoloniale ?

Selon un article du Daily Telegraph, un document provenant du « Slavery and Colonialism Legacy Review Group » un groupe d’observation créé par la mairie d’Edimbourg en Écosse, ferait de la tombe et de la statue de l’auteur de la Richesse des nations (1776) une cible critique potentielle pour la nouvelle extrême gauche woke. La raison ? Adam Smith aurait considéré l’esclavage comme « inévitable ». L’article du Daily Telegraph explique le lien qui serait fait entre Smith, l’esclavage et le colonialisme.

Seulement, il suffit d’ouvrir les différents ouvrages du philosophe écossais pour s’apercevoir que sur le sujet, il dit exactement le contraire de ce qui est suggéré par ses détracteurs.

DES « DÉCHETS DES PRISONS DE L’EUROPE »

Dans la Théorie des sentiments moraux (1759), Adam Smith décrit les marchands d’esclaves comme les « déchets des prisons de l’Europe […] qui ne possèdent les vertus ni des pays d’où ils viennent, ni de ceux où ils vont, et dont la légèreté, la brutalité et la bassesse les exposent si justement au mépris des vaincus. »

Il considère également qu’il est « presque inutile de prouver que l’esclavage est une mauvaise institution même pour les hommes libres ».

Lors des cours de philosophie morale qu’il enseignait à Glasgow, et qui ont été regroupés sous le titre Lectures on jurisprudence (1762-1766), Adam Smith décrit l’esclavage comme présent au début de toutes les sociétés, parce que certaines personnes aiment dominer les autres.

L’esclavage « procède de cette disposition tyrannique dont on peut presque dire qu’elle est naturelle à l’humanité. »

Dans un cours qu’il a donné le 16 février 1763, un élève d’Adam Smith relève que son professeur pense que l’esclavage est né de « l’amour de la domination et de la tyrannie », ce qui explique pourquoi les esclavagistes s’y accrochent. La Richesse des nations explique noir sur blanc que l’esclavage était un modèle économique non rentable.

D’ADAM SMITH ABOLITIONNISTE À ADAM SMITH PROBLÉMATIQUE ?

Comment sommes-nous passés d’Adam Smith figure de l’abolitionnisme au XIXe siècle à Adam Smith « problématique » au XXIe siècle ? L’entreprise de justice raciale poussée par l’extrême gauche radicale aujourd’hui instrumentalise la question coloniale pour la mettre au service de l’anticapitalisme.

Son principal théoricien doit être déconsidéré, quitte à falsifier l’histoire en s’appuyant sur les passions basses d’aujourd’hui. Ne laissons pas le mensonge prendre le pas sur la vérité, et la liberté disparaître sous les couches d’ignorance sectaire.