La crise du Covid-19 s’est accompagnée d’un retour à l’exaltation des valeurs collectivistes au détriment des valeurs individuelles.
Un article de l’Iref-Europe
La crise du Covid-19 aura remis au premier plan de nos sociétés les valeurs du tout collectif. Le 15 octobre 2020, Emmanuel Macron déclarait ainsi :
On s’était progressivement habitués à être une société d’individus libres, nous sommes une nation de citoyens solidaires.
Remarquons ici deux choses : la substitution du mot citoyen au mot individu ; l’opposition apparente entre liberté et solidarité.
LA CRISE DU COVID NOUS AURA CONDUITS À PORTER À NOUVEAU AUX NUES LES VALEURS DE LA SEULE COLLECTIVITÉ
Depuis la conférence prononcée en 1819 par Benjamin Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », on sait pourtant que l’individu moderne, s’il est en effet un citoyen, ne se réduit pourtant nullement à celui-ci : sa liberté ne réside en effet pas uniquement dans la possibilité pour lui de participer aux débats de la Cité, mais dans son aptitude à s’affranchir des grands desseins collectifs pour exercer son autonomie propre et se rendre ainsi le plus possible maître de sa propre existence.
Faut-il donc croire que la crise du Covid-19 nous fera revenir plus de 200 ans en arrière en nous conduisant à ne plus pouvoir penser l’être humain autrement que comme simple atome social et politique ?
Quant à la solidarité, celle-ci présuppose au contraire la liberté des individus : ne méritent vraiment d’être qualifiés de solidaires que les comportements d’individus décidant librement de s’entraider, de se porter mutuellement assistance lorsque les circonstances l’imposent.
Nous voyons donc que la crise du Covid-19 s’est accompagnée d’un retour à l’exaltation des valeurs collectivistes au détriment des valeurs individuelles. Elle nous aura ainsi fait oublier la grande leçon qui avait tout d’abord semblé devoir s’imposer à nous après plus de 2500 ans d’histoire de l’Occident : à savoir que la civilisation que nous avons bâtie au fil des siècles, assise sur la démocratie, la science moderne et le capitalisme, avait peut-être principalement pour but la libération de l’individu.
Les totalitarismes, les collectivismes du XXe siècle avaient justement tenté de contrecarrer cette aspiration de l’individu à l’autonomie personnelle, pour la remplacer par un mortifère désir de soumission envers le seul pouvoir politique. Les totalitarismes ayant été à jamais discrédités et balayés par l’histoire du XXe siècle, on avait cru que l’individu allait enfin pouvoir s’épanouir durablement dans une société qui le laisserait être libre de ses propres choix et acteur de sa propre destinée.
Eh bien voilà que la survenue d’une crise sanitaire, certes grave, voilà maintenant un an, semble avoir remis en cause cet héritage essentiel qui est pourtant à la base même de notre civilisation moderne.
« IL INCOMBE À LA POLITIQUE DE DÉBARRASSER L’HOMME DE LA POLITIQUE »
Cette leçon sur le sens de notre civilisation, Jean-François Revel (1924-2006) l’a rappelée dans plusieurs de ses écrits. On peut par exemple lire dans sa préface à la traduction française du livre de Dinesh D’Souza What’s so great about America – Pourquoi il faut aimer l’Amérique en français (Paris, Grasset, 2003) :
Outre le développement économique, scientifique et démocratique, ce qui caractérise la civilisation moderne, c’est la libération de l’individu. (page 17)
Dans Le Regain démocratique (Paris, Fayard, 1992), Revel va même jusqu’à écrire :
Il incombe à la politique de débarrasser l’homme de la politique, ou, pour mieux dire, de lui apprendre à se déterminer par lui-même au lieu d’être déterminé par la collectivité. (pages 473-474)
Cette dernière phrase de Revel, étonnante de perspicacité sur les conditions du bon fonctionnement de la démocratie libérale, aucun commentateur n’oserait aujourd’hui l’écrire, tant la crise du Covid nous aura conduits à porter à nouveau aux nues les valeurs de la seule collectivité.
Ainsi les professionnels de la politique semblent-ils avoir renoué avec leurs rêves ancestraux de définir et de mettre en œuvre un programme régissant le fonctionnement de l’ensemble de la société, société dans laquelle l’individu n’a plus d’autre raison d’être que de se conformer, bon gré mal gré, au rôle social qui lui est imparti par le pouvoir politique.
Nos dirigeants et collectifs médico-sanitaires – ces derniers ayant été omniprésents dans les médias depuis presque un an – nous proposent ainsi un nouvel idéal hygiéniste, à la réalisation duquel les individus sont tenus d’œuvrer collectivement. Entendons-nous bien : par sa gravité, la crise actuelle doit certainement nous conduire à modifier rationnellement, pour une durée déterminée, certains de nos comportements individuels habituels.
Reste qu’elle ne devrait pas permettre aux inconditionnels surmédiatisés du tout-sanitaire d’imposer aussi facilement à la société tout entière leur nouvel idéal de santé publique, pour bien intentionné qu’il se voulût. Car rappelons-nous que vouloir à tout prix faire advenir le Bien peut aussi finir par causer beaucoup de mal.
ILS VEULENT CONFISQUER NOTRE LIBERTÉ, NOTRE AUTONOMIE DE JUGEMENT ET NOTRE CAPACITÉ À NOUS MONTRER RESPONSABLES
Nous touchons ici sans doute à l’une des clefs de l’extraordinaire soumission du politique au médical de par le monde depuis le début de la crise sanitaire : ne pouvant sans doute concevoir qu’il soit possible de faire de la politique sans proposer d’idéaux collectifs, nombre de dirigeants en exercice s’en sont alors remis à une certaine classe médico-sanitaire, qui semble avoir décidé quasiment à elle seule du sort de nos sociétés : confinements, couvre-feux, fermetures de commerces déclarés non essentiels, des restaurants, des théâtres, des cinémas, des musées, autant de mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire, « quoi qu’il en coûte » .
Il fallait en effet écouter les médecins, mais il fallait aussi à l’évidence donner davantage la parole aux autres acteurs de la société civile (économistes, entrepreneurs, innovateurs, commerçants, travailleurs, etc.), et ne pas laisser certains professionnels de la santé confisquer notre liberté, notre autonomie de jugement et notre capacité à savoir nous montrer responsables en tant qu’individus.
La soumission du politique au médical durant la crise du Covid s’explique ainsi peut-être en partie par une certaine incapacité que nous avions déjà depuis longtemps à accepter l’idée que la société ne doit plus s’attacher à dicter à l’individu la conduite que celui-ci devrait adopter.
Ici encore, relisons Revel dans Le Regain démocratique :
C’est une erreur de reprocher à la société libérale de ne plus proposer d’idéal. C’est justement là sa noblesse, et même son but. L’individu a besoin que la société lui propose un idéal lorsqu’il est incapable de s’en proposer un à lui-même. Ce n’est alors pas un adulte, ce n’est même pas un adolescent. (pages 473-474)
Les politiques n’ont pas à proposer un idéal collectif, sanitaire ou autre, aux individus : ils doivent pouvoir leur garantir le respect de leurs droits fondamentaux afin qu’ils soient en mesure de réaliser leur propre idéal.
En d’autres termes, il ne devrait y avoir d’idéaux dans une société moderne que ceux que les individus se proposent à eux-mêmes d’accomplir : la tendance persistante des États à l’infantilisation des individus vient précisément de ce fait qu’il leur est toujours difficile d’accepter une fois pour toutes que seuls les individus sont fondés à tenter de mettre en œuvre les idéaux qu’ils se sont forgés.
Il appartiendrait donc plutôt aux politiques en temps de crise comme celle que nous vivons d’émettre des recommandations et de garantir le libre accès des personnes à l’information, à toute l’information, et non pas uniquement à celle qui relève d’un certain politiquement ou sanitairement correct, qu’il est de bon ton de véhiculer dans la société.
« C’EST LA DÉMOCRATIE QUI PERMET À L’HOMME LIBRE DE NAÎTRE, MAIS C’EST L’HOMME LIBRE QUI PERMET À LA DÉMOCRATIE DE DURER »
La crise sanitaire actuelle ne doit pas non plus nous amener à occulter le caractère déterminant de l’éducation de l’individu, dans le sens d’accès à l’indépendance intellectuelle et culturelle.
C’est encore ce que nous rappelle Revel dans le même passage déjà cité du Regain démocratique :
La condition du bon fonctionnement de la démocratie et de sa solidité, c’est cette accession du citoyen à l’autonomie personnelle, autrement dit à la culture comprise comme capacité de se conduire tout seul… »
Certes, en écrivant ces lignes en 1992, Revel l’exemple d’une pandémie sous les yeux. Reste que la vraie question est de savoir si, au nom de la lutte légitime contre une épidémie aux conséquences indéniables, nous devons accepter d’abdiquer aussi facilement en tant qu’individus nos aspirations et notre autonomie personnelles pour nous fondre dans une nouvelle masse guidée par une sphère politico-médicale qui entend œuvrer au nom d’un même idéal collectif.
Tranchant sur les propos couramment colportés par cette dernière concernant les vertus supposées de l’idéal collectif du tout médical et du sanitairement correct, cette autre citation de Revel semble ainsi retrouver toute sa pertinence dans le contexte mondial actuel :
Ce sont les politiques professionnels qui veulent nous faire croire que seul le collectif importe, parce qu’ils redoutent de perdre leur champ d’action. C’est quand les sociétés s’enfoncent dans les tempêtes et les utopies que l’homme retombe au rang d’atome impersonnel, balloté par des forces qui le noient dans l’uniformité, l’écrasent et décident de son destin à sa place.
Mais quoi de plus ennuyeux que ces grands mélodrames de l’abrutissement grégaire ? Où voit-on davantage les hommes se ressembler entre eux et psalmodier plus de sottises identiques, inventées par d’autres ?
Il n’est pas de démocratie durable sans autonomie culturelle des individus, de chacun des individus. C’est la démocratie qui permet à l’homme libre de naître, mais c’est l’homme libre qui permet à la démocratie de durer. (pages 474-475)
Pour légitime qu’elle puisse donc paraître, la focalisation depuis près d’un an sur la seule santé collective comme nouvel horizon social ne doit donc pas pour autant nous conduire à oublier que notre civilisation se définit avant tout par la place centrale accordée à la liberté et à l’autonomie des individus, lesquelles conditionnent ni plus ni moins la bonne marche de nos démocraties libérales.
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