Qu’est-ce qui différencie le libéralisme du conservatisme ? Petite réflexion à partir d’un texte classique de Friedrich Hayek.
Parmi les reproches faits au libéralisme par le grand public, revient souvent l’idée qu’il serait conservateur, qu’il souhaite freiner le progrès, notamment social. En bref, qu’il défendrait les intérêts du statu quo.
Pour répondre à cette accusation, il s’avère nécessaire d’en comprendre les fondements. Dans Pourquoi je ne suis pas un conservateur, Friedrich Hayek identifiait déjà parfaitement le problème :
En une époque où presque tous les mouvements réputés progressistes recommandent des empiétements supplémentaires sur la liberté individuelle, ceux qui chérissent la liberté consacrent logiquement leur énergie à l’opposition. En cela, ils se trouvent la plupart du temps dans le même camp que ceux qui d’habitude résistent aux changements.
Il serait de fait simpliste de réfuter sans autre argument ce reproche, car il s’appuie sur une part de vérité incontestable. Rappelons d’abord qu’un libéral ne se positionne pas pour ou contre le conservatisme : il peut à la fois être conservateur sous un certain plan, ce qui peut être résumé par l’affirmation de Mathieu Laine selon laquelle « le libéralisme est la seule idéologie qui n’aspire pas à changer l’Homme mais à le respecter », et progressiste sous un autre, car comme le rappelle Hayek « le libéralisme n’est hostile ni à l’évolution ni au changement ; et là où l’évolution spontanée a été étouffée par des contrôles gouvernementaux, il réclame une profonde révision des mesures prises ».
Ce qui unit les libéraux, c’est d’abord le primat de la liberté et de l’ordre spontané qui en jaillit. Tant les conservateurs que les socialistes abhorrent les conséquences de cette spontanéité et tentent d’y remédier.
CONSERVATISME VERSUS LIBÉRALISME
Le premier point qui différencie les libéraux et les conservateurs est leur approche du changement.
Selon Hayek :
L’un des traits fondamentaux de l’attitude conservatrice est la peur du changement, la méfiance envers la nouveauté en tant que telle, alors que l’attitude libérale est imprégnée d’audace et de confiance, disposée à laisser les évolutions suivre leur cours même si on ne peut prévoir où elles conduisent.
Dans son analyse, il admet volontiers que cette prudence face au changement, notamment des institutions, peut parfois être légitime. L’opposition devient problématique quand elle justifie un usage des pouvoirs politiques pour y remédier. Les conservateurs souhaitent mettre les institutions au service de leur vision sociétale.
L’usage de la force est un deuxième élément qui oppose libéraux et conservateurs.
Pour Hayek :
[Il existe]une complaisance typique du conservateur envers l’action de l’autorité établie, et sa préférence pour le fait que celle-ci ne soit pas affaiblie par le traçage de limites définies. Cela est difficilement compatible avec la protection de la liberté. En général, on peut sans doute dire que le conservateur ne voit rien à redire à l’usage de la contrainte ou au recours à l’arbitraire, dès lors que l’intention est de servir ce qu’il considère comme des buts louables.
Ce penchant indique que comme les socialistes, les conservateurs combattent en premier lieu pour le pouvoir et non pour le limiter.
Hayek ajoute :
Comme le socialiste, le conservateur se considère autorisé à imposer aux autres par la force les valeurs qu’il révère.
Cette réalité permet de mettre en lumière ce qui différencie fondamentalement le libéralisme du conservatisme mais aussi du socialisme : son humilité.
Cette dernière se révèle dans le fait que pour Hayek :
Le libéral admet son ignorance et reconnaît que nous savons bien peu de choses sans pour autant invoquer l’autorité de sources surnaturelles de connaissance lorsque sa raison se révèle impuissante.
En décidant de laisser faire, le libéral fait preuve de tolérance, car il prend un risque, contrairement aux autres, qui souhaitent tordre la nature humaine par la loi, pour atteindre leur but sociétal.
De fait, toujours selon Hayek :
On pourrait dire qu’il lui faut un certain degré d’humilité pour laisser les autres chercher leur bonheur à leur guise, et pour adhérer de façon constante à cette tolérance qui caractérise essentiellement le libéralisme.
Certes, certains conservateurs reconnaissent en partie des mérites au libéralisme, comme le fait Roger Scruton dans son livre De l’urgence d’être conservateur, où il affirme que « le grand cadeau du libéralisme politique à la civilisation occidentale est d’avoir trouvé les conditions dans lesquelles le dissident est protégé et l’unité religieuse remplacée par une discussion rationnelle entre adversaires ».
Mais rapidement, ils prennent leurs distances, en rappelant que « le rôle de l’État doit être à la fois moins que ce que les socialistes requièrent et plus que ce que les libéraux classiques acceptent. » Car, toujours selon Scruton, « l’État a un rôle, celui de protéger la société civile de ses premiers ennemis externes et de ses désordres internes ».
Cette affirmation nous ramène à la bienveillance pour l’autorité et à l’acceptation de l’ingérence politique dans la vie des individus, dénoncée par Hayek.
On voit ainsi que leur différence avec les collectivistes de gauche n’est qu’une différence de degré et non de principe. Ils tirent sur la même corde, juste pas dans le même sens. Ce qui irrite le conservateur dans le changement n’est bien souvent pas le fond, mais le rythme. On peut ainsi dire que le conservateur est un socialiste qui roule moins vite sur l’autoroute du progrès. Il croit, comme lui, à l’utilité de l’État et au primat du collectif sur l’individu. Les deux sont dangereux pour la liberté.
Le libéral, lui, souhaite dépolitiser les relations humaines en assumant les conséquences et les tensions que cette liberté peut créer.
Hayek en conclut :
La caractéristique la plus frappante du libéralisme, celle qui le distingue tout autant du conservatisme que du socialisme, est l’idée que les convictions morales qui concernent des aspects du comportement personnel n’affectant pas directement la sphère protégée des autres personnes, ne justifient aucune intervention coercitive.
De son côté, Deirdre McCloskey présente le libéralisme comme étant un autre mot pour « l’adultisme », car ce courant de pensée affirme qu’il faut traiter tout le monde comme des adultes libres, à égalité en termes de droits.
À la lecture traditionnelle gauche-droite de l’échiquier politique, il faudrait opposer un système à trois pôles, car le libéralisme évolue en dehors de cette grille de lecture.
Pendant que les conservateurs et les socialistes s’engagent pour la liberté économique ou sociétale, les libéraux font la jonction entre les deux, jugeant que toutes les libertés sont à défendre, et qu’elles n’ont pas à faire l’objet d’arbitrage politique. Au lieu de se battre pour restreindre partiellement la liberté selon leurs envies, les libéraux s’engagent pour lui donner un maximum de place pour respirer.
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