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Le petit livre de Félix Torrès, Que peut l’entreprise ?, publié à l’initiative et dans le cadre de l’Institut pour l’innovation économique et sociale, est courageux. Universitaire, Félix Torrès connaît néanmoins bien l’entreprise.
Il dénonce avec force et finesse ces nouveaux concepts qui voudraient faire de l’entreprise un instrument des politiques publiques au service exclusif d’un pseudo intérêt général : RSE (responsabilité sociale et environnementale), raison d’être, entreprise à mission… confinant parfois à une forme d’évangélisme laïc alors qu’en réalité ils ne sont que des outils managériaux. Le premier risque est « de dissoudre, du moins d’effriter la fonction première de l’entreprise, à savoir réaliser une production économique assortie au premier chef d’un bénéfice ». Un autre risque d’obliger l’entreprise à accomplir une mission sociétale est d’accompagner ainsi une « défausse de l’État » sur les entreprises chargées « de pallier telle ou telle défaillance de la puissance publique ». Plus généralement, ces nouvelles notions sont susceptibles de dénaturer la gouvernance des entreprises et de les conduire à faire de la morale plutôt que de remplir leur rôle économique.
Certes l’entreprise contribue à l’intérêt général écrit-il, mais « elle ne saurait s’y substituer, déterminer le bien et le mal » (p.105). La finalité de l’entreprise reste de « produire de la valeur et du profit à partir des différentes ressources mobilisées » (p. 101). Il ne minimise pas pour autant l’importance de prendre en compte les externalités, ni le souci que les entreprises doivent avoir de leur environnement et des parties prenantes. Mais le marché y pourvoit mieux que les réglementations que certains voudraient multiplier à cet effet au nom d’un moralisme susceptible d’être dangereux économiquement et politiquement. Le moteur de l’entrepreneur et de l’entreprise reste et doit rester leur intérêt particulier (p. 80).
Les entreprises qui ont une gouvernance solide et qui partagent avec leurs employés les décisions qui les concernent et s’attachent à comprendre leurs clients et fournisseurs n’ont pas besoin de gloser pour faire advenir un mouvement de socialisation de l’entreprise dangereux à bien des égards. Elles le font parce que c’est aussi leur intérêt : généralement, elles sont de ce fait plus profitables que les autres.
Par ailleurs, Félix Torrès vient de publier avec Michel Hau une étude historique approfondie sur les années 1974-1984 au cours desquelles la France a décroché au plan économique. Notre pays n’a pas su s’adapter à la nouvelle donne internationale. Face à la crise de 1974, plutôt que de hâter sa transformation pour se « rapprocher des modes de fonctionnement des autres économies occidentales et de s’adapter au monde du libre-échange et de concurrence en train de voir le jour », la France s’est repliée sur elle-même. Pire, elle a aggravé ses handicaps en socialisant son économie à l’ombre du nationalisme protectionniste de médiocres élites. L’analyse est acerbe, mais elle est réaliste et pertinente. Puissions-nous en profiter pour modifier notre modèle.
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