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Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

31 mai, 2021

Moins d’impôts, de lois, de pauvreté : ces pays européens qui ont réussi

 Comme le montrent le Luxembourg, la Suisse et l’Irlande, ce ne sont pas nécessairement les dépenses sociales et la redistribution qui élèvent le niveau des plus pauvres.

Un article de Mises.org

Les sociaux-démocrates font souvent l’éloge des pays nordiques en tant qu’exemples du succès de l’imposition progressive, des États-providence généreux et des syndicats puissants.

Les partisans du libre échange ont répondu que non seulement ces pays se sont enrichis bien avant que ces politiques soient mises en place, mais qu’ils ont également autant d’agilité réglementaire que les États-Unis, selon les données de la Banque mondiale.

Cependant, nous devrions également tourner nos regards vers les pays qui ont adopté ce que l’on appelle le néo-libéralisme comme moyen de s’enrichir et de réduire la pauvreté. Il s’avère que cette stratégie a fait ses preuves et que certains pays d’Europe ont des niveaux de vie tout aussi élevés, sinon plus, que ceux des pays scandinaves. Nous examinerons ici trois exemples.

LE LUXEMBOURG

Le Forum économique mondial est célèbre pour sa volonté de « remettre à zéro » le capitalisme afin de pouvoir « orienter le marché vers des résultats plus équitables, en tenant compte des risques et des opportunités environnementaux et sociaux et en ne se concentrant pas uniquement sur les profits financiers à court terme ».

Cependant, chaque année, le Forum économique mondial présente l’indice de compétitivité mondiale. Le but est de classer les pays les plus développés économiquement et les plus productifs de la planète en termes d’infrastructures, d’éducation et de santé publique.

Cet indice composite comporte douze indicateurs principaux : les deux plus pertinents pour notre propos sont les premier et septième indicateurs, « institutions » et « efficacité du marché du travail ». Au sein de chaque indicateur, il existe des sections plus petites. Les institutions comprennent des facteurs tels que les « droits de propriété », le « poids de la réglementation gouvernementale » et le « gaspillage des dépenses publiques », tandis que l’efficacité du marché du travail inclut « l’effet de la fiscalité sur les incitations à travailler ».

On peut facilement utiliser les données du Forum économique mondial pour démontrer que les pays les plus prospères du monde sont orientés vers le marché et favorables aux entreprises. Ici, notre exemple est le Luxembourg.

Selon le Pew Research Center, une personne à faible revenu au Luxembourg est plus riche qu’une personne à faible revenu dans n’importe quel autre pays occidental, y compris les pays nordiques.

Le pays peut se vanter d’avoir la deuxième classe moyenne la plus riche au monde et le revenu médian le plus élevé au monde. Malheureusement, le Pew Research Center ne définit pas les limites du percentile de revenu de chaque catégorie. Afin de compléter nos propos, les informations d’Eurostat montrent qu’en 2019, les 10 % les plus pauvres du Luxembourg sont les quatrièmes plus riches d’Europe.

Comment expliquer ce phénomène ? Le gouvernement luxembourgeois consacre-t-il des sommes considérables à l’aide sociale ?

Si les dépenses sociales sont légèrement supérieures à la moyenne de l’OCDE, à 21,6 % du PIB, le Luxembourg reste en dessous de nombre de ses voisins. En fait, les prélèvements fiscaux représentent 33,8 % de l’économie luxembourgeoise, ce qui est très inférieur à la moyenne ; beaucoup considèrent même le Luxembourg comme un paradis fiscal. Grâce à des taux d’imposition favorables sur la propriété, les sociétés et le capital, le Luxembourg se classe cinquième dans l’indice de compétitivité fiscale.

C’est ici que les données du Forum économique mondial prennent sens. Certes, le Luxembourg est mal classé pour la facilité de création d’une entreprise.

Toutefois, il se classe :

  • au neuvième rang pour le poids de la réglementation gouvernementale sur les entreprises, c’est-à-dire le degré de liberté d’une entreprise par rapport à la bureaucratie ;
  • au cinquième rang pour les droits de propriété ;
  • au troisième rang pour la protection de la propriété intellectuelle ;
  • au dixième rang pour les effets de la fiscalité sur les incitations à travailler ;
  • au huitième rang pour les effets de la fiscalité sur les incitations à investir ;
  • au douzième rang pour le total des impôts en pourcentage des bénéfices.

Selon ces critères, le Luxembourg est une véritable économie de marché. Il a une longue histoire d’adhésion à la liberté économique. Entre 1970 et 2001, il a constamment occupé l’une des dix premières places de l’indice de liberté économique de l’Institut Fraser.

Ludwig von Mises nous a enseigné que la productivité marginale du travail, et donc les salaires, sont déterminés par la facilité avec laquelle les entreprises peuvent investir et accumuler du capital, sans paperasserie, sans fiscalité, sans bureaucratie, sans dette publique et sans inflation. L’environnement favorable aux entreprises au Luxembourg explique pourquoi le pays possède les travailleurs les plus productifs au monde. Par conséquent, selon les normes internationales les pauvres au Luxembourg ont un niveau de vie très élevé.

LA SUISSE

La Suisse se situe avec le Luxembourg dans le haut du classement des indicateurs du Forum économique mondial.

Elle se classe :

  • au troisième rang pour les droits de propriété ;
  • au douzième rang pour le poids de la réglementation gouvernementale sur les entreprises ;
  • au dixième rang pour les effets de la fiscalité sur les incitations au travail (elle est très bien classée pour le reste des paramètres que j’ai utilisés. Je ne fais pas de sélection de données) ; 
  • au quatrième rang, juste devant le Luxembourg, sur l’indice de compétitivité fiscale.

Le pays est également connu pour sa discipline budgétaire. En 2001, 85 % des électeurs suisses ont voté en faveur d’un frein à l’endettement qui oblige essentiellement le gouvernement à dépenser en fonction de la croissance des recettes. Depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2003, la dette publique de l’économie suisse est passée de 60 % du PIB à 41 % aujourd’hui.

L’accent mis par la Suisse sur la démocratie directe signifie que l’argent du gouvernement doit être dépensé de manière efficace et prudente. Une étude a révélé que la démocratisation directe dans les cantons suisses (l’équivalent des États ou des districts du Congrès) a réduit les dépenses sociales de 19 % en moyenne. Les électeurs suisses ont clairement un niveau de pragmatisme que la plupart des politiciens d’autres pays détesteraient.

Par exemple, lors d’un référendum en 2012, deux tiers des électeurs ont rejeté une proposition visant à étendre le congé annuel obligatoire du pays, ce qui « aurait pu ajouter 6 milliards de francs suisses (5 milliards d’euros, 6,52 milliards de dollars) aux coûts de main-d’œuvre des employeurs, selon l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qui représente environ 300 000 entreprises ».

Le prélèvement fiscal global de la Suisse (28,5 % du PIB) est l’un des plus faibles de l’OCDE, et ses dépenses sociales sont de 16,7 %, bien en dessous du niveau de ses partenaires.

Pourtant, loin de ce que le modèle économique socialiste aurait prédit, les 10 % les plus pauvres de Suisse sont les troisièmes plus riches d’Europe.

Tout comme au Luxembourg, la productivité du travail en Suisse est incroyablement forte, la troisième plus élevée au monde. Les impôts et les formalités administratives sont faibles et comme la Suisse est le pays le plus ouvert du monde, les capitaux, les technologies et les investissements étrangers ont facilement accès aux marchés suisses.

Ceci dit, l’économie suisse a stagné ces dernières années. En 2020, le chômage a atteint un niveau record – un insupportable taux de 4,85 %Cela suggère clairement que des impôts faibles et une réglementation flexible du marché du travail peuvent atténuer l’impact de la récession/stagnation économique.

L’IRLANDE

L’Irlande n’a pas toujours été une économie de marché enthousiaste. En 1970, en proie à de profonds conflits politiques et religieux, l’Irlande avait une note de 6,55 sur l’indice de liberté économique de l’Institut Fraser, ce qui la plaçait à une quelconque dix-neuvième place. Ainsi, en 1980, le revenu par habitant de l’Irlande était inférieur à celui de tout pays d’Europe occidentale digne de ce nom ; son taux de chômage était supérieur à 12 % ; l’inflation galopait à 20 %.

Cependant, le gouvernement a commencé à faire des réformes : les impôts et les dépenses ont été réduits, et depuis 1980, la note de liberté économique de l’Irlande a augmenté de 22 %.

Aujourd’hui, l’Irlande est célèbre pour son taux d’imposition des sociétés de 12,5 % et son attractivité auprès des entreprises. Les prélèvements fiscaux ne représentent que 22,7 % de l’économie irlandaise, et les dépenses sociales un minuscule 13,4 %. Bien qu’elle se situe en dessous des deux autres pays que nous avons examinés, l’Irlande est dans le haut du panier en termes de protection des droits de propriété, de flexibilité réglementaire et de taux d’imposition sur les bénéfices.

Nombreux sont ceux qui affirment que la prospérité de l’Irlande n’est due qu’aux vastes transferts sociaux de l’Union européenne. Une étude indique toutefois que cette position est erronée.

Elle souligne tout d’abord que ces transferts ont subventionné les entreprises agricoles. S’ils ont augmenté les revenus des communautés rurales, ils ont découragé la migration vers les zones urbaines, où ces personnes auraient inévitablement été plus productives. Les transferts ont donc été un obstacle, et non un atout, pour la croissance économique.

Deuxièmement, l’étude souligne que si les taux de croissance en Irlande ont augmenté, les subventions de l’UE ont en fait diminué : l‘Irlande a commencé à recevoir des subventions après son adhésion à la communauté européenne en 1973. Les recettes nettes provenant de l’UE représentaient en moyenne 3 % du PIB pendant la période de croissance rapide (1995-2000), mais pendant la période de faible croissance (1973-1986), elles représentaient en moyenne 4 % du PIB. En termes absolus, les recettes nettes étaient à peu près au même niveau en 2001 qu’en 1985. Tout au long des années 1990, les paiements de l’Irlande au budget de l’UE ont augmenté régulièrement, passant de 359 millions d’euros en 1990 à 1527 millions d’euros en 2000. Pourtant, en 2000, les recettes en provenance de l’UE étaient de 2488 millions d’euros, soit moins que le niveau de 2798 millions d’euros de 1991.

Troisièmement, l’étude indique que si les subventions pouvaient expliquer la forte croissance de l’Irlande depuis les années 1990, on pourrait s’attendre à ce que d’autres pays qui reçoivent également des paiements importants de l’UE affichent des niveaux de prospérité similaires.

Or, ce n’est tout simplement pas le cas :

« Les fonds structurels et de cohésion de l’UE représentaient 4 % du PIB grec, 2,3 % du PIB espagnol et 3,8 % du PIB portugais. Aucun de ces pays n’a atteint un taux de croissance proche de celui de l’économie irlandaise. L’Espagne a enregistré une croissance moyenne du PIB de 2,5%, tandis que le Portugal a enregistré une croissance moyenne de 2,6 % et la Grèce une croissance moyenne de seulement 2,2 % entre 1990 et 2000. »

Ainsi, ce sont les marchés libres, et non les investissements de l’UE, qui ont stimulé la prospérité de l’Irlande.

Selon les normes américaines, l’Irlande reste un pays relativement pauvre. Toutefois, depuis la libéralisation économique, le pays a fait d’énormes progrès en matière de réduction de la pauvreté et d’augmentation des revenus grâce à la croissance économique. Par exemple, une étude (p. 34) a révélé que la pauvreté absolue est passée de 50 % en 1993 à 20 % en 2000 (une réduction plus importante que dans tous les pays nordiques).

Réduire le taux de pauvreté de 60% en sept ans seulement est vraiment impressionnant. Selon le Pew Research Center, entre 1990 et 2010, les revenus de la catégorie des bas revenus ont augmenté de 73 % (globalement, le revenu médian a augmenté de 70 %). Les données d’Eurostat le corroborent également, car depuis 2011 seulement, les revenus des 10 % d’Irlandais les plus pauvres ont augmenté d’un tiers.

CONCLUSION

Les progressistes utilisent les pays nordiques comme des exemples de systèmes socialistes réussis. Bien que ce ne soit tout simplement pas le cas, les partisans du libre échange devraient utiliser ces trois pays – le Luxembourg, la Suisse et l’Irlande – pour montrer que ce ne sont pas nécessairement les dépenses sociales et la redistribution qui élèvent le niveau des plus pauvres. Ce sont plutôt la croissance économique, les gains de productivité, l’esprit d’entreprise et les droits de propriété qui enrichissent les plus pauvres d’entre nous.

30 mai, 2021

La hiérarchie des libertés selon Milton Friedman

Quelle est la relation entre liberté politique et économique ? Un plongeon dans la réflexion stimulante de Milton Friedman.

Dans Capitalisme et liberté (1962), Milton Friedman propose une hiérarchisation entre deux types de libertés : la liberté économique et la liberté politique. En effet, selon lui :

La liberté économique est elle-même une composante de la liberté au sens large, si bien qu’elle est une fin en soi. D’autre part, la liberté économique est indispensable comme moyen d’obtenir la liberté politique.

Dans cet article, nous allons d’abord nous pencher sur la thèse selon laquelle l’accroissement de la liberté économique implique l’accroissement de la liberté politique et civile. Puis nous aborderons la thèse selon laquelle l’accroissement de la liberté politique n’implique pas nécessairement un accroissement de la liberté économique et civile.

LA THÉORIE FRIEDMANIENNE DE LA BALANCE DES POUVOIRS

Milton Friedman affirme que « l’accroissement de la liberté économique va de pair avec l’accroissement des libertés civiles et politiques. » Pour argumenter en faveur de cette thèse, il développe une théorie du pouvoir et de la balance des pouvoirs. Cette théorie prend la forme suivante :

La menace fondamentale contre la liberté est le pouvoir de contraindre, qu’il soit entre les mains d’un monarque, d’un dictateur, d’une oligarchie ou d’une majorité momentanée. La préservation de la liberté requiert l’élimination la plus complète possible d’une telle concentration du pouvoir, en même temps que la dispersion et le partage de ce qui, du pouvoir, ne peut être éliminé : elle exige donc un système de contrôle et de contrepoids. En ôtant à l’autorité politique le droit de regard sur l’organisation de l’activité économique, le marché supprime cette source de pouvoir coercitif ; il permet que la puissance économique serve de frein plutôt que de renfort au pouvoir politique.

Autrement dit, il existe un pouvoir politique et un pouvoir économique qu’il s’agit de séparer et d’opposer plutôt que de concentrer, comme c’était le cas dans le totalitarisme soviétique où pouvoir économique et pouvoir politique étaient concentrés entre les mêmes mains d’une bureaucratie dirigeante.

LE PROBLÈME DE LA DÉFINITION DU POUVOIR

Cette théorie de l’équilibre des pouvoirs semble faire sens, même si Milton Friedman ne définit pas de manière très rigoureuse ce qu’il entend par pouvoir.

Il semblerait qu’il entende par ce concept de pouvoir la capacité de x à prendre des décisions sans être contraint par y, la contrainte désignant ici non seulement l’usage de la force pour contraindre, mais aussi les incitations économiques pouvant servir à contraindre autrui.

La liberté économique permettrait donc d’équilibrer le pouvoir politique avec le pouvoir économique, ce qui renforcerait la liberté politique puisque les individus seraient davantage libres par rapport à l’autorité politique.

Milton Friedman illustre cet argument par l’exemple de la liberté d’expression : dans une société où le pouvoir politique ne contrôle pas l’économie, les agents économiques sont prêts à vendre, publier et diffuser des propos tenus par des opposants au pouvoir politique, tandis que dans une société où le pouvoir politique contrôle l’économie, par exemple où l’État est propriétaire des moyens de production, les opposants au pouvoir politique ne peuvent s’adresser à personne pour diffuser leurs propos.

LIBERTÉ ÉCONOMIQUE ET LIBERTÉ INDIVIDUELLE

À la lumière de cette argumentation, il semble que Milton Friedman ait raison de penser que l’accroissement de la liberté économique renforce la liberté politique des individus.

Si on conçoit aisément que pour favoriser la liberté politique il convient de fragmenter le pouvoir politique en de multiples centres de pouvoir en concurrence, on pourrait néanmoins se demander si la liberté économique ne va pas aboutir à une concentration du pouvoir économique entre quelques mains.

C’est d’ailleurs là une des critiques récurrentes émises par une partie de la gauche à l’encontre d’une économie de marché libre. Milton Friedman répond à cette critique que :

Le pouvoir économique peut être largement dispersé. Aucune loi de conservation ne veut que la croissance de nouveaux centres de pouvoir économique se fasse aux dépens des centres déjà existants.

En fait, la liberté économique signifie la mise en concurrence entre les individus. Or, celle-ci signifie que chaque individu jouit d’une sphère d’autonomie et d’absence de contrainte.

En effet, Milton Friedman argumente que :

Aussi longtemps que l’on maintient une liberté d’échange effective, le trait central du mécanisme du marché est qu’il empêche une personne de s’immiscer dans les affaires d’une autre en ce qui concerne la plupart des activités de cette dernière. Du fait de la présence d’autres vendeurs avec lesquels il peut traiter, le consommateur est protégé contre la coercition que pourrait exercer sur lui un vendeur ; le vendeur est protégé contre la coercition du consommateur par l’existence d’autres consommateurs auxquels il peut vendre ; l’employé est protégé contre la coercition du patron parce qu’il y a d’autres employeurs pour lesquels il peut travailler, etc. 

C’est donc par la concurrence même que chaque individu peut ne pas dépendre d’un autre individu en particulier, et c’est pourquoi la liberté économique est une force de décentralisation du pouvoir économique et non de concentration de ce pouvoir.

UN ARGUMENT HISTORIQUE

Milton Friedman propose aussi un argument historique en faveur de sa thèse. Il pense possible d’induire de l’observation de l’histoire une corroboration en faveur de sa thèse selon laquelle l’accroissement de la liberté économique implique l’accroissement de la liberté politique et civile :

L’histoire témoigne sans équivoque de la relation qui unit liberté politique et marché libre. Je ne connais, dans le temps ou dans l’espace, aucun exemple de société qui, caractérisée par une large mesure de liberté politique, n’ait pas aussi recouru, pour organiser son activité économique, à quelque chose de comparable au marché libre.

Mais cette induction historique pose le même problème que toute induction de ce type : elle est aisée à infirmer. Ainsi, Milton Friedman affirme ensuite que « [la liberté politique a évidemment accompagné le marché libre] pendant l’âge d’or de la Grèce et aux premiers temps de l’époque romaine ».

LE MODÈLE GREC ?

Or, il semble erroné de parler de liberté politique dans une société comme celle de la Grèce antique où l’esclavage a toujours existé, où les inégalités en droits entre hommes et femmes n’ont jamais pris fin et où, de manière générale, un système d’inégalités en droits stratifiait la société.

C’est pourquoi, même en admettant que la Grèce a incarné un marché libre à un moment de son histoire antique, ce qui me semble aussi matière à controverse, elle ne peut pas avoir incarné un modèle de liberté politique ; bien que remise dans son contexte elle puisse avoir incarné un modèle de liberté politique relativement aux autres modèles de société existant.

L’argumentation historique de Milton Friedman n’est donc pas très convaincante.

Toutefois, il se peut que ce soit simplement l’exemple historique de Milton Friedman qui soit mal choisi. On peut en effet observer que dans plusieurs pays européens une augmentation immense du niveau de vie de la population succédant aux révolutions agricole, industrielle et technologique semble avoir été suivie d’une augmentation des libertés politiques. Il y a donc aussi des observations historiques en faveur de sa thèse.

L’ACCROISSEMENT DE LA LIBERTÉ POLITIQUE IMPLIQUE-T-IL L’ACCROISSEMENT DE LA LIBERTÉ ÉCONOMIQUE ET CIVILE ?

Milton Friedman a ajouté dans sa préface de 2002 à Capitalisme et liberté un élément important à sa conception de la liberté qui n’apparaissait pas dans la version de 1962 :

Alors que j’achevais la rédaction de ce livre, l’exemple de Hong-Kong, avant sa restitution à la Chine, m’a persuadé que, si la liberté économique est la condition nécessaire à la liberté civile et politique, et aussi désirable que puisse être cette dernière, la réciproque n’est pas vraie. […] La liberté politique, […] dans certaines circonstances joue en faveur des libertés économiques et civiques, mais […] dans d’autres les entrave.

Non seulement il pense que la liberté économique implique la liberté politique et civile, mais en outre il pense donc que la liberté politique n’implique pas nécessairement la liberté économique et civile. Par conséquent, il établit ainsi une hiérarchie entre les libertés, la liberté économique l’emportant en importance sur la liberté politique puisque cette dernière peut parfois avoir des conséquences nuisibles pour les individus.

L’EXEMPLE DE HONG KONG

La liberté politique peut-elle vraiment ne pas impliquer la liberté économique et civile, voire, peut-elle lui nuire ? Milton Friedman mentionne l’exemple de Hong-Kong qui était jusqu’en 1997 un territoire britannique, puis un territoire chinois.

Ce que Milton Friedman semble ici avoir observé est que la liberté politique de Hong-Kong jusqu’en 1997 n’a pas amené d’accroissement de la liberté économique et civile.

En fait ce qu’a probablement observé Milton Friedman est que lorsque des individus gagnent en liberté politique, par exemple lorsqu’un régime autoritaire se démocratise, il peut employer ses nouvelles libertés politiques pour élire des dirigeants qui prendront des mesures contre la liberté économique et la liberté civile.

Un exemple criant de ce phénomène peut s’observer avec l’Allemagne dans la première moitié du XXe siècle : d’abord régime autoritaire, puis démocratie, c’est une majorité démocratique jouissant de libertés politiques qui permet l’accession au pouvoir du parti nazi, tandis que par la suite, le régime nazi réduit drastiquement les libertés civiles et économiques.

Il semble donc vrai de dire que, dans certains cas, les libertés politiques peuvent nuire aux libertés civiles et économiques.

Dans la prochaine partie de cette réflexion, nous tâcherons de voir si la liberté économique est réellement plus importante que la liberté politique et civile.

29 mai, 2021

L’entrepreneuriat « à impact » n’est qu’une posture morale

 Plutôt qu’à la recherche du profit personnel, les entrepreneurs à impact affirment mettre leur talent au service de l’intérêt général.

Depuis quelques années a émergé un phénomène qui porte un nom étrange, celui de l’entrepreneuriat « à impact » ou entrepreneuriat social. Plutôt que la recherche du profit personnel, les entrepreneurs à impact affirment mettre leur talent au service de l’intérêt général. C’est là une curieuse présomption, à double titre : d’une part, la recherche du profit a eu historiquement un impact considérable au service de l’intérêt général, et d’autre part, nombre d’entre eux n’auront pas le moindre impact en raison même de leur posture.

L’entrepreneuriat social est généralement défini comme « une manière d’entreprendre qui place l’efficacité économique au service de l’intérêt général. » Cela semble simple, que n’y a-t-on pas pensé avant ? Mais comme souvent, ce qui semble simple ne l’est pas tant que ça.

DES MODÈLES MENTAUX DISCUTABLES

Ici l’ambition de mettre l’efficacité économique au service de l’intérêt général repose sur pas moins de trois modèles mentaux très discutables.

Opposer économique et sociétal

La distinction entre les deux est artificielle et ne correspond pas à la réalité. L’économique et le social sont indissociables. Toute entreprise, par son personnel employé, ceux qu’elle fait vivre (fournisseurs, banquiers, investisseurs), les impôts et charges sociales qu’elle paie, a nécessairement un impact économique et social. Quelqu’un qui a un emploi a beaucoup plus qu’un salaire. Il a un statut, un réseau social, une fierté, un sentiment d’accomplissement, etc. L’économie est affaire de parties prenantes, elle est profondément sociale. Le lien social est le contexte dans lequel l’économique prend place.

Opposer recherche du profit personnel et intérêt général

C’est une vieille opposition, et il faudrait choisir entre les deux. Sans compter que ceux qui choisiraient le premier seraient les méchants se désintéressant de l’intérêt général, tandis que ceux qui choisissent le second seraient les gentils qui se sacrifient pour lui.

Adam Smith et à sa suite 200 ans d’histoire économique ont montré que cette opposition n’avait aucun fondement, et que la recherche du profit et l’efficacité économique qui en résulte servent l’intérêt général par l’enrichissement qu’elles permettent, entre autres. Évidemment cet incroyable paradoxe n’a jamais été admis par nombre d’intellectuels qui continuent d’opposer les deux et qui voudraient que la seule façon de défendre l’intérêt général soit pour l’individu de s’y sacrifier, comme un soldat part à la guerre. Cette notion sacrificielle empreinte de religiosité reste très présente dans la pensée économique actuelle dans les débats sur l’entrepreneuriat social et sur la mission d’entreprise.

Comment définir l’intérêt général

Lorsqu’on l’oppose à l’efficacité économique, on exclut de facto celle-ci. Autrement dit, l’intérêt général est implicitement défini comme quelque chose de purement social. Augmenter la richesse n’y contribuerait pas. On le voit, l’une des difficultés d’un mouvement qui prétend se consacrer à l’intérêt général est que celui-ci est un concept vague.

Qui le définit ? Comment prétendre qu’il est le même pour tous ? Comment penser que dans un monde complexe et incertain, nous serons tous d’accord sur sa définition pour tel ou tel sujet ?

L’ENTREPRENEURIAT À IMPACT, QUEL IMPACT ?

Au-delà des questions posées par ces trois modèles mentaux sur la validité des bases philosophiques de l’entrepreneuriat social, c’est la notion même d’impact qui pose problème.

En effet, en se déclarant entrepreneurs à impact, ces derniers semblent supposer que les autres entrepreneurs en sont dépourvus. Or l’impact profond et massif de l’entrepreneuriat motivé par le profit est pourtant une évidence depuis longtemps.

Pour prendre un exemple actuel parmi d’autres, des startups comme BioNTech ou Moderna sauvent des millions de gens avec leurs vaccins ; elles ont un impact massif sur la santé mondiale et par extension sur l’économie et le social, et servent donc l’intérêt général. Et pourtant elles sont un pur produit du capitalisme entrepreneurial porté en partie par la recherche du profit, et n’entrent donc pas dans la définition d’entreprise à impact. BioNTech et Moderna, pas d’impact ? De qui se moque-t-on ?

Ce qui est en question ici n’est pas la capacité ou non de l’entrepreneuriat à impact à avoir un impact effectif. Ce sera certainement le cas de certaines de ces entreprises. Ce qui est en question, c’est la présomption que seul ce type d’entrepreneuriat peut en avoir un. Cette présomption balaye d’un revers de main les leçons de 200 ans d’histoire économique. Elle permet de s’arroger le terme impact sans la moindre légitimité pour cela. N’importe quelle PME de 500 personnes a davantage d’impact que la plupart des startups sociales en vogue.

L’ENTREPRENEURIAT À IMPACT EST UNE POSTURE MORALE

L’impact n’est donc pas le seul apanage des entrepreneurs qui s’en réclament. Mais alors qu’est-ce qui fait leur spécificité ? Pourquoi BioNTech et Moderna ne sont pas qualifiées comme tel ?

L’explication est simple.

Ce qui distingue l’entrepreneuriat à impact n’est pas le fait qu’il en ait un, c’est qu’il refuse a priori la recherche de profit. C’est le comment qui le distingue, pas le quoi. Si ces entrepreneurs recherchaient vraiment l’impact d’un problème résolu, ils seraient neutres à propos des moyens à mettre en œuvre pour ce faire.

Ils diraient :

« Il faut absolument vacciner les populations contre la Covid-19. C’est l’intérêt général. Comment faire ? Eh bien, si la solution passe par des startups qui lèvent des milliards de dollars auprès de capitaux risqueurs alliés à de grands laboratoires pharmaceutiques, ainsi soit-il. »

Mais ce n’est pas la bonne posture, qui consiste à essayer de résoudre le problème à condition que la réponse ne repose pas sur la génération de profit. Cela revient à courir un marathon en se liant les deux jambes. C’est poser une condition rendant de facto presque impossible le moindre impact. Autrement dit, l’entrepreneuriat à impact est une posture morale, voire idéologique, pas une démarche de résolution de problème. Tout en prétendant subordonner le profit à l’impact, il subordonne surtout ce dernier à l’idéologie.

Sans compter que l’entrepreneur social, sous couvert de sacrifier sa recherche de profit, profite en fait considérablement de cette posture morale.

En effet, en mettant son action au service d’un objectif moralement indiscutable, car rangé sous la bannière fourre-tout de l’intérêt général par lui défini, et en prétendant sacrifier toute ambition personnelle, l’entrepreneur gagne un prestige social important dans certains cercles auxquels il signale sa vertu. C’est une véritable rétribution, car ce prestige est un capital qui peut se monnayer en espèces sonnantes et trébuchantes ou en pouvoir.

À l’extrême, l’entrepreneur peut même justifier la médiocrité de sa performance économique par ce sacrifice, voire que celle-ci constitue la preuve de son engagement sociétal. Il fera vivoter une structure semi-sociale sans véritable impact, mais se paiera sur le prestige social obtenu par l’affichage de sa vertu, et ce qu’il peut en retirer. En ce sens, son entrepreneuriat social n’est qu’un moyen au service de son ambition personnelle, le contraire de ce qui est affiché. Autrement dit, l’entrepreneuriat social est tout sauf désintéressé, c’est un entrepreneuriat comme un autre mais avec une constitution de capital un peu différente.

Cette approche n’a rien de nouveau : créer une structure sociale, se consacrer aux bonnes œuvres et en tirer parti pour construire un capital social monnayé ensuite en argent ou en pouvoir est un jeu aussi vieux que l’humanité, mais simplement habillé de nouveaux mots. C’est un jeu légitime. Il s’agit seulement de ne pas en être dupe et de ne pas laisser ceux qui le jouent acquérir une supériorité morale sur ceux qui ne le jouent pas et qui font œuvre tout aussi utile dans leur propre projet entrepreneurial.

28 mai, 2021

Comment la blockchain a profondément transformé la rareté

 La blockchain est une technologie qui compte bien remettre de la rareté dans nos sociétés. Elle réalise l’exploit de rendre des actifs numériques rares, c’est-à-dire de forcer leur existence en quantité limitée.

Des monnaies entièrement numériques valent 1000 milliards de dollars comme Bitcoin. Des oeuvres d’art que n’importe qui peut copier à l’identique se vendent pourtant 69 millions de dollars. Au-delà des possibles bulles, les cryptoactifs (actifs existant sur une blockchain) ont bien une valeur, car ils ont bien une rareté. Nous allons voir comment la rareté a évolué au cours des derniers siècles pour arriver jusqu’aux blockchains avec leur rareté toute particulière.

LA RARETÉ À L’ÈRE PRÉ-INDUSTRIELLE

Selon wikipedia, la rareté « exprime la difficulté de trouver une chose particulière, du fait qu’elle existe en faibles quantités ou sous forme d’exemplaires en nombre limité.. »

Jusqu’à l’arrivée de l’industrie la rareté était subie. Toute chose nécessitait beaucoup d’heures de travail et l’humanité avait peu de travailleurs pour réaliser toutes les tâches.

Un moine copiste prenait 3 ans pour recopier une bible. Au XIII siècle, 200 mètres de tissu nécessitaient 6000 heures de travail. La cathédrale de Paris que Macron veut reconstruire en 5 ans, a nécessité 182 ans à l’époque. Un hectare de blé produisait seulement 570 kg de blé, juste assez pour nourrir deux personnes par an.

Cette rareté avait aussi quelques avantages. La monnaie nécessitait des métaux précieux tels que l’or ou l’argent. La planche à billets gouvernementale était donc limitée. L’art était le fruit d’un temps humain considérable, telle La Cène de Léonard de Vinci, réalisée en 4 années.

La rareté provenait donc d’une pénurie de temps humain à une époque où tout nécessitait énormément de temps humain. Cette quantité donnait également une valeur à chaque objet, au point de lier prix et rareté : « ce qui est rare est cher

LA RARETÉ À L’ÈRE INDUSTRIELLE

La révolution industrielle n’a eu de cesse de réduire le temps humain nécessaire.

En trois ans, Gutemberg a pu imprimer 180 exemplaires de sa Bible de 1455. La machine à tisser Jacquard a permis à un seul ouvrier d’effectuer le travail de cinq ouvriers, provoquant la révolte des Canuts. Aujourd’hui, les productions agricoles par hectare ont été multipliées par dix. Et nous pouvons construire des bâtiments, tel le viaduc de Millau, en seulement trois années.

Cette volonté de produire en masse avec peu de temps humain et encore moins d’énergie humaine a permis de baisser le coût de la vie, mais aussi de faire disparaître la rareté de nos vies ! Le point culminant d’une société aux ressources infinies est arrivée avec l’informatique. Les ressources numériques se copient et partagent quasi instantanément et gratuitement.

Bien sûr, cette perte de rareté dans la société est bénéfique. 90 % des humains mangent à leur faim. Le savoir n’a jamais été aussi répandu et accessible. En France, nous vivons dans 90 m2 en moyenne avec seulement 2,3 personnes par logement. Nous achetons 10 kg de vêtements par an et par habitant. La diminution de la rareté est corrélée par une baisse du prix, toutes les deux liées au temps humain présent dans l’objet.

Cependant, ce manque de rareté présente des défauts.

Premièrement, nos monnaies sont devenues des monnaies de singe, qui s’effondrent avec leur gouvernement (liste des hyperinflations). Il faut dire que la garantie de leur valeur ne provient plus d’une quelconque rareté mais de la seule confiance dans le gouvernement… L’art aussi s’est effondré, les techniques de copie ne permettent plus de distinguer original et plagiat, surtout dans l’art moderne.

Les notions d’original et de propriétaire se perdent dans le format numérique où chaque œuvre est copiable à l’infini et à l’identique tel les vidéos, musiques ou photos.

LA RARETÉ À L’ÈRE DE LA BLOCKCHAIN

La blockchain est une technologie qui compte bien remettre de la rareté dans nos sociétés. Elle réalise l’exploit de rendre des actifs numériques rares, c’est-à-dire de forcer leur existence en quantité limitée. Pour se faire, elle va rendre ces actifs ni falsifiable ni duplicable, une véritable prouesse.

Elle s’est d’abord attaquée aux actifs fongibles avec la monnaie bitcoin, une monnaie où la rareté est garantie par des preuves mathématiques. Ces preuves sont plus exactement du cryptage, ce qui donne leur nom aux cryptomonnaies ou cryptoactifs.

La rareté ne provient plus d’un temps humain, mais de preuves mathématiques. Chaque actif est un bien rare sur la blockchain, mais on peut en créer autant de différents que l’on souhaite. Ce premier cas d’usage des actifs fongibles a donné  d’autres cryptoactifs comme Ethereum (monnaie), Tether (tracker valant un dollar), VeraOne (tracker valant un gramme d’or) ou encore UNI (action de la compagnie Uniswap).

Puis sont venus les célèbres Non Fungible Token (NFT), pour les actifs numériques non fongibles, que l’on peut considérer comme des certificats numériques d’authenticité. Ainsi des œuvres d’art digitales physiques ou des objets de luxe peuvent retrouver une rareté et une authenticité forte en se liant à leur NFT.

Nous entrons ainsi dans un monde à double rareté.

La rareté physique garantie par une dépense de temps humain perdurera encore sur les métaux précieux ou l’artisanat de luxe. Et de l’autre, tous les actifs se devant d’être rares comme la monnaie ou l’art, mais qui ont perdu leur rareté par le passage de l’industrie puis du numérique. Ceux-ci trouveront refuge sur la blockchain, et sa rareté numérique garantie par des preuves mathématiques.

Dépourvue de temps humain, la rareté numérique n’a intrinsèquement pas de valeur. Ce qui est rare n’est plus forcément cher pour les cryptoactifs, seuls l’usage et la demande de l’actif créeront sa valeur. Ainsi le vrai bitcoin culmine à 50 000 euros, alors qu’un projet concurrent : Bitcoin SV n’est qu’à 270 euros, les deux ayant pourtant la même rareté (21 millions d’unités) et les mêmes garanties mathématiques. La valeur des cryptoactifs n’est donnée que par le marché. Mais au moins, la blockchain permet la rareté donc la possibilité d’une valeur.