Tout ne va pas bien dans notre monde, et tout n’irait pas automatiquement bien dans un monde libéral, mais avant de juger, il faut savoir, et si possible comprendre le libéralisme.
Prenez donc garde, répliqua Sancho, ce que nous voyons là-bas ne sont pas des géants, mais des moulins à vent, et ce qui paraît leurs bras, ce sont leurs ailes, qui, tournées par le vent, font tourner à leur tour la meule du moulin.
Miguel de Cervantes, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche.
Vous êtes innombrables. Vos livres sont dans toutes les librairies, vos articles dans les revues, vos déclarations sur nos écrans de télévision. Vos idées imprègnent les discours des politiques et deviennent la nouvelle pensée unique. On admet comme des évidences que le libéralisme et le capitalisme sont des fléaux.
À la télévision, les présentateurs de variétés, entre une actrice de séries et un chanteur à la mode, déplorent les ravages de la mondialisation et militent pour la taxe Tobin. Aucun animateur n’oserait s’avouer libéral, de peur de se voir bouder par tous les artistes. Même les comiques se croient obligés de vitupérer le libéralisme, et se dire libéral vous fait regarder comme une bête curieuse un peu répugnante.
Votre raisonnement est simple : il y a bien de la misère et des injustices dans le monde, or nous sommes dominés par le libéralisme, donc il faut refuser le libéralisme.
SOMMES-NOUS DOMINÉS PAR LE LIBÉRALISME ?
Le premier point est hélas exact. Dénoncer les problèmes du monde n’est ni original ni bien difficile, et quel que soit le système, il est bon d’en débusquer et d’en dénoncer les défauts pour pouvoir les corriger. Jusque-là très bien.
Mais le deuxième point est faux. Si nous vivions dans un monde vraiment libéral, il n’y aurait pas de douanes ni de contrôle aux frontières, et puisqu’il n’y aurait plus de frontières à défendre, il n’y aurait plus d’armées. Les États se contenteraient de protéger chaque citoyen contre tous les autres et ne s’occuperaient que de police et de justice.
Aucun gouvernement ne se mêlerait des affaires des autres pays pour des raisons économiques. Pour faire fonctionner cet État minimal, les impôts seraient inférieurs à 10 % de la valeur des richesses produites, comme c’était encore le cas il y a cent ans.
Non, le vrai libéralisme n’existe nulle part. Aucun État n’est libéral, ce qui serait d’ailleurs contraire à sa nature et tout aussi paradoxal que de rencontrer des bouchers végétariens !
FAUT-IL REFUSER LE LIBÉRALISME ?
Et puis même, quels que soient les régimes en place, la conclusion « il faut refuser le libéralisme » ne découle pas logiquement de la prémisse « il y a bien de la misère dans le monde ».
Ce n’est pas parce que le mauvais temps vient en général de l’ouest qu’il faut supprimer l’ouest. Ce n’est pas parce qu’il y a des gens qui s’empoisonnent qu’il faut interdire de manger. Ce n’est pas parce qu’il y a des accidents de la circulation qu’il faut détruire les routes. Ce n’est pas parce qu’il y a des criminels qu’il faut exterminer l’humanité.
Vos propos sont irresponsables. C’est le libéralisme qui vous permet de vivre librement et d’écrire des livres qui le condamnent. C’est le capitalisme qui vous permet de manger à votre faim et de jouir de tous les agréments de la civilisation. Sortir du libéralisme, ce serait renoncer à la civilisation. Vous crachez sur ce qui vous permet de vivre. Vous voulez abattre les moulins à vent dont vous avez peur, mais vous ne pensez ni aux meuniers, ni à ceux qui se nourrissent de leur farine.
Vous dites aussi que s’il y a tant de pauvres, c’est parce qu’il y a trop de riches, et que les pays développés sont responsables de la misère du tiers-monde. C’est aussi intelligent que de dire que s’il y a des malades, c’est à cause des bien-portants, ou que si certains ne savent pas nager, c’est la faute des champions olympiques !
Quand mon fils aîné avait cinq ans et qu’il avait fait une petite bêtise, il en accusait toujours madame Batika, un personnage qu’il avait inventé de toutes pièces. Vous faites de même en accusant le libéralisme de tous les maux de la Terre. Mais mon fils, lui, avait des excuses : il n’y croyait pas lui-même, et il n’avait que cinq ans !
Vous dénoncez les ratés du système en oubliant sa fonction principale et ses réussites. Vous constatez, vous vous indignez, et comme vous ne comprenez pas, en guise d’explication vous échafaudez une construction qui n’existe que dans votre imagination. Imputer la misère du monde au libéralisme ou au capitalisme, c’est se condamner à ne jamais pouvoir y porter remède. Vouloir remplacer le système libéral par un autre, c’est faire le lit des dictatures et de la misère.
En montrant du doigt un responsable que vous appelez mondialisation, libéralisme, capitalisme ou tout simplement économie, vous prouvez votre incompétence et vous êtes l’exemple même de ce que vous dénoncez : une conception étroite de la discipline économique.
COMBATTRE LES IDÉES LIBÉRALES, C’EST S’ATTAQUER À LA LIBERTÉ
Les moins ignorants d’entre vous, et il y en a paradoxalement beaucoup…, se rappellent vaguement que dans le mot libéralisme, il y a liberté, et que combattre le libéralisme c’est peut-être un peu s’attaquer à la liberté.
Aussi prennent-ils soin de parler de néo-libéralisme ou d’ultra-libéralisme, à distinguer soigneusement du vrai libéralisme qu’ils n’osent quand même pas vouer aux gémonies. Ou encore séparent-ils un mauvais libéralisme économique d’un bon libéralisme philosophique. Tout ça est de la pâtée pour les chats. Le libéralisme en économie n’est que l’application dans ce domaine des principes du libéralisme philosophique, qui n’ont pas changé depuis des siècles. La liberté ne se débite pas en rondelles.
Tous vos porte-parole n’ont pas un égal talent. Beaucoup – des politiques, des journalistes, des artistes, des écrivains à succès, – se bornent à répéter des bribes incohérentes d’un discours convenu, manifestement sans comprendre ce qu’ils disent. Mais il y a parmi vous des sociologues, des économistes, des scientifiques. Si vous n’étiez tous que des amateurs, on pourrait dire en paraphrasant l’Évangile : « pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font… ».
On admettrait qu’un agriculteur défende son métier en faisant croire qu’il y va du salut du monde. On lirait telle écrivaine comme un poète naïf traitant de la misère du monde, qui en rend responsable un personnage mythique appelé Elie B. Ralisme dont toute ressemblance avec une théorie ou une doctrine existantes doit être considérée comme une pure coïncidence. Qu’elle répète inlassablement la même chose ne serait pas perçu comme une escroquerie, mais comme un procédé stylistique. On lui pardonnerait d’utiliser les techniques même qu’elle dénonce : détourner les mots de leur sens et asséner ses opinions sur un ton péremptoire.
On pardonne facilement à ceux dont la situation leur interdit d’analyser froidement et lucidement les causes de leur réelle détresse. On peut aussi excuser les joyeux fumistes incapables de résister au plaisir d’une formule percutante, même si elle travestit effrontément la vérité. On peut même pousser l’indulgence jusqu’à pardonner aussi à ceux qui sont des penseurs respectables dans leur domaine, mais qui ignorent les rudiments de l’économie comme presque tous les Français.
Mais ceux qui enseignent l’économie ? Leur cas est plus grave, car ils abusent de leurs titres pour tromper leurs élèves et leurs lecteurs. Ils font croire que le libéralisme est une théorie économique qui résulte de l’étude de l’équilibre général, alors que ce n’est que la traduction dans le domaine économique d’une position philosophique et politique générale. Ils laissent croire que des faits élémentaires incontestables ne sont que des théories réfutables, comme si on pouvait impunément supposer que nous avons quatre bras et des ailes !
C’est une grande pitié que des gens qui ont accès à l’information, et dont on peut penser que leurs neurones fonctionnent mieux que la moyenne, raisonnent de façon aussi fausse. Ignorent-ils vraiment ou font-ils seulement semblant ? Quel préjugé ou quel traumatisme altère ainsi leurs capacités intellectuelles ? S’ils ne faisaient que se tromper, ça ne serait pas très grave, mais ils ont un public qui les croient, sans parler des aspirants dictateurs qui se réclament de leurs attaques contre la liberté.
Justement grâce au libéralisme, chacun a le droit d’avoir ses opinions, mais pas celui de déformer les faits ou de rapporter de façon inexacte les opinions ou les propos de quelqu’un d’autre. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut, encore faut-il savoir de quoi on parle. L’anticapitalisme et l’antilibéralisme sont les fruits de l’ignorance et de la présomption, quand ce n’est pas de la volonté de puissance : vouloir que le monde marche comme je l’ai décidé.
Quand on entend certains dire qu’il faut « sortir du libéralisme » ou pire « extirper le libéralisme », comment ne pas penser à Hitler, à Staline, à Mao et à Pol Pot ? On veut espérer qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils disent. Leur seule excuse imaginable, c’est d’ignorer ce que signifie le mot libéralisme.
Certes, tout ne va pas bien dans notre monde, et tout n’irait pas automatiquement bien dans un monde libéral, mais il importe de ne pas se tromper sur les causes afin de ne pas proposer de remèdes qui aggraveraient le mal. Avant de juger, il faut savoir, et si possible comprendre.
Bref, pensez ce que vous voulez, mais sachez de quoi vous parlez et essayez de comprendre ce que vous dites…
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