Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

01 juillet, 2023

 Bonjour à tous (tes),

Après plus de 8 000 messages depuis 2005, il est temps de prendre ma retraite. 

Ceci est la dernière publication du magazine nagg, mais vous aurez toujours accès aux nombreuses publications.

Merci et passez un bel été.

Serge,

               Bien que je me doutais que cette décision était pour venir bientôt, elle me secoue néanmoins.  Lorsqu'on constate le censure exercée un peu partout il était rafraîchissant de savoir qu'on pouvait compter sur ton site pour y trouver des textes et donc des individus qui n'avaient pas peur de s'exprimer.  Je te remercie donc pour avoir crée cet espace de liberté et merci surtout pour m'avoir publié.  Je t'en serai à jamais reconnaissant!

André Dorais

30 juin, 2023

[L’épopée économique de l’humanité] – La transition vers un mode de vie sédentaire (II)

 Par Pierre Robert.

Première partie de cette série ici.

 

Homo Faber face au réchauffement climatique

Il y a environ 18 000 ans, le dernier âge glaciaire cède la place à une période de réchauffement mondial. Le nouveau climat est idéal pour les céréales qui, encore à l’état sauvage, se multiplient, se répandent et sont de plus en plus présentes dans l’alimentation humaine. Dans les régions où elles poussent spontanément, du camp provisoire on passe progressivement au village permanent avec l’exemple des Natoufiens qui étaient des chasseurs-cueilleurs en voie de sédentarisation. Vers 9500 avant l’ère commune, leurs descendants se transforment peu à peu en cultivateurs.

Ce changement se fait par étapes, avec à chaque fois une petite altération du mode de vie originel. Au point de départ, l’apport de céréales supplémentaires, alors que la population n’augmente pas encore, fait apparaître un surplus matériel générateur d’un superflu dont on finit par ne plus vouloir se passer. Puis le surcroît de blé finit par provoquer une augmentation de la population. Dès lors, même si le nouveau mode de vie demande plus de travail et est plus contraignant, le retour en arrière devient impossible.

 

L’agriculture, fatalité ou nécessité ?

Dans cette optique, le passage de la cueillette à la production d’aliments serait le résultat des effets cumulés d’un longue série de petites décisions qui finissent par imposer leur tyrannie.

Une autre piste privilégie la pression de la culture et de la religion. Elle s’appuie sur les découvertes faites à Göbleki Tepe dans le sud-est de la Turquie. Près des premières zones ensuite cultivées, ont été trouvées de très anciennes structures monumentales érigées à une époque antérieure au passage à l’agriculture1.

Les parties les plus anciennes sont des piliers de pierres en forme de T disposées de manière circulaire. Pesant plusieurs tonnes, ces blocs sont décorés de gravures d’animaux et d’humains. Le site semble avoir été un endroit rituel, un centre spirituel pour groupes nomades qui s’y rencontraient. Sa construction s’est étalée sur plusieurs centaines d’années. Elle a nécessité une division poussée du travail et la coopération d’un grand nombre de personnes. On peut faire l’hypothèse que le blé a été domestiqué pour les nourrir puis soutenir la construction et l’activité du temple.

Si les explications divergent, le fait est qu’il y a environ 11 000 ans, les champs de blé commencent à remplacer les variétés sauvages. Les Sapiens se mettent à domestiquer des plantes et des animaux. En manipulant la vie, ils entament une longue entreprise de modification de la nature.

 

Une révolution agricole décisive 

Elle démarre dans les terres montagneuses du sud-est de la Turquie, de l’ouest de l’Iran et du levant. Dans le croissant fertile2 se multiplient les villages permanents comme celui de Jéricho qui se forme 8500 ans avant JC. Leurs habitants y ont pour principale occupation la culture et l’élevage de quelques espèces végétales et animales sélectionnées. Par leur travail, ils parviennent à domestiquer le blé et les chèvres autour de – 9000 ; les pois et les lentilles vers – 8000 ; les oliviers vers – 5000 puis les bœufs, les vaches, les ânes, les porcs, les moutons et les poules.

Cinq siècles plus tard, la culture de la vigne clôt cette première et principale vague de domestication. L’essentiel des calories qui nourrissent l’humanité provient toujours de la poignée de plantes et d’animaux domestiquées entre -9500 et -3500.avant JC.

Si elle augmenta la somme totale de vivres à la disposition de l’humanité, elle favorisa aussi son expansion démographique. Par commodité, pour ne pas avoir à transporter la nourriture nécessaire à l’alimentation de leurs enfants, les femmes nomades les allaitaient le plus longtemps possible. En devenant sédentaires, elles disposent en revanche des vivres qui ont été stockées. L’espace entre les naissances se raccourcit, ce qui mécaniquement favorise la natalité.

Par ailleurs, en faisant moins dépendre les hommes de la nature pour leur subsistance immédiate, la révolution de l’agriculture et de l’élevage leur permet de se projeter dans l’avenir.

L’abandon du nomadisme n’en rendit pas moins la vie des cultivateurs plus difficile et moins satisfaisante que celle des fourrageurs.

Il faut en effet défendre le cheptel et les récoltes contre les pillards alors que l’alimentation est moins variée que celle procurée par la chasse et la cueillette. Les caprices de la météo peuvent ruiner en peu de temps le travail de toute une année et leur simple anticipation est une source permanente d’anxiété. En outre, dès lors que la majorité de la population tire ses moyens d’existence d’une terre dont elle ne peut plus s’éloigner, il devient beaucoup plus facile de la contrôler. Une élite peut émerger et confisquer le surplus que procure le nouveau mode de production. Cette mutation radicale assoit sa domination. Globalement, elle profite à l’espèce bien plus qu’à l’individu.

Jared Diamond en tire la conclusion que la révolution agricole fut la plus grande escroquerie de l’histoire. Il qualifie aussi de fatal le don du bétail porteur de germes mortels pour l’humanité.

Mais si on se situe dans le très long terme, c’est cette rupture qui a permis de poser les premières pierres du système économique qui assure aujourd’hui la prospérité de l’Occident et a permis au plus grand nombre de sortir de la pauvreté.

 

Pourquoi l’Eurasie et non un autre continent ?

Avec Jared Diamond3 on est fondé à penser que si l’agriculture est inventée dans le croissant fertile, c’est parce que plus que toute autre région, il concentre à l’époque les rares espèces propices à la culture et à l’élevage. C’est cet état de fait qui y a favorisé le passage de la chasse et de la cueillette à la production alimentaire. Celle-ci a permis par la suite de dégager un surplus qui a poussé à la mise en place d’organisations politiques complexes capables d’entretenir des scribes et des savants. Dès lors, l’écart se creuse avec les autres parties du monde, d’autant plus qu’en Eurasie, les axes de circulation Est-Ouest et la moindre résistance des barrières écologiques et géographiques ont favorisé la diffusion de l’écriture, des idées et des technologies au sein du continent.

Cette zone géographique présente donc des caractéristiques propices au premier essor d’Homo Faber, caractéristiques que les autres continents n’ont pas ou, du moins, pas au même degré.

  1. Sur ce point voir Jens Notroff, Institut archéologique allemand – Current stage of research at GT, interview by archeofili.com, version anglaise sur tepetelegrams.wordpress.com, 10 juin 2016 ↩
  2. Région allant de l’Égypte à la Mésopotamie en passant par le pays de Canaan, la Syrie et le sud-est de l’Anatolie ↩
  3. De l’inégalité parmi les sociétés- Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Gallimard, 2000 ↩

29 juin, 2023

Libéralisme : les 6 essais à lire pour les vacances

 Par la rédaction de Contrepoints.

Avec l’été viennent pour beaucoup les vacances, et l’occasion de lire les livres qui s’accumulent sur votre table de chevet.

Nous vous proposons des lectures de plage certes, mais des lectures qui font réfléchir et qui sont utiles à une époque où dominent le pessimisme et le socialisme. Elles défendent la liberté, respirent l’optimisme et dessinent une véritable alternative libérale pour le monde de demain. Ménagez vos méninges et respirez un peu d’air frais !

— Pascal Salin, Le vrai libéralisme : Droite et gauche unies dans l’erreur, Odile Jacob, 2019.

Un recueil des meilleurs articles du grand intellectuel libéral, et un rappel utile sur l’esprit du libéralisme menacé par les conservatismes et les collectivismes qui fourmillent dans le débat d’idées. Clair et pédagogue, il offre aussi à celui qui veut se familiariser avec les idées libérales une introduction et un aperçu de sa place dans le combat intellectuel de ces 30 dernières années.

— Alain Laurent, Responsabilité : Réactiver la responsabilité individuelle, Les Belles Lettres, 2020.

Le philosophe libéral Alain Laurent a repris la plume pour parler de l’envers de la liberté, la responsabilité. Notion qui à l’instar du libre arbitre est attaquée par les penseurs contemporains et contestée par les idéologies scientistes à la mode, la responsabilité est toujours d’actualité, et toujours nécessaire pour penser l’individu libre et rationnel.

— Ayn Rand, Une philosophie pour vivre sur la Terre, Les Belles Lettres, 2020.

Une belle édition d’essais signés par la célèbre romancière objectiviste à mettre entre toutes les mains. Quand l’éthique des vertus rencontre l’égoïsme rationnel, on découvre une défense de l’esprit du capitalisme libéral à la fois fascinante et libératrice.

— Carl Menger, Principes d’économie politique, Seuil, 2020.

Emmener la nouvelle édition en français de l’ouvrage classique de Carl Menger sur la plage sera sans doute aussi difficile que lire ce classique de l’économie politique. L’appareil critique de Gilles Campagnolo permet d’en comprendre les subtilités et le caractère révolutionnaire dans l’histoire de la pensée économique. Sa lecture pourrait durer plusieurs étés consécutifs !

— Thierry Aimar, Hayek : Du cerveau à l’économie, Michalon, 2019.

Une introduction à la pensée du grand économiste de l’école autrichienne à mettre entre toutes les mains. En partant de l’ordre sensoriel Thierry Aimar rappelle que Hayek n’était pas seulement économiste, mais a proposé une réflexion globale partant de l’épistémologie, ce qui a fait dire à certains qu’il était aussi précurseur des sciences cognitives.

— Pierre Robert, Fâché comme un Français avec l’économie, Larousse, 2019.

Pierre Robert remet les idées à l’endroit, démontre brillamment ce que l’ignorance française de l’économie nous coûte humainement et matériellement. D’accès facile et dans un style alerte, Pierre Robert démolit tous nos clichés sur l’économie et plaide pour une réconciliation avec la discipline. À mettre entre toutes les mains.

Bonne lecture !

28 juin, 2023

Une étude accuse la réglementation de causer la baisse de l’innovation

 Par William Rampe.

Les économistes établissent depuis longtemps un lien entre des niveaux élevés de réglementation et une diminution de l’innovation. Une étude sur les entreprises françaises, qui sera bientôt publiée, apporte des preuves supplémentaires à l’appui de ce qui est aujourd’hui une sagesse conventionnelle.

L’étude, un document de travail datant de 2021 qui sera bientôt publié dans l’American Economic Review, a été réalisée par les économistes Philippe Aghion et John Van Reenen de la London School of Economics et Antonin Bergeaud d’HEC Paris. Ils ont utilisé les données de l’administration fiscale française de 1994 à 2007 pour déterminer si la réglementation affecte « le rythme et la nature de l’innovation » dans les entreprises « et si oui, dans quelle mesure ».

 

Les auteurs constatent que « la fraction des entreprises innovantes chute fortement juste à gauche du seuil réglementaire », qu’ils qualifient de « vallée de l’innovation », car les conséquences réglementaires de l’augmentation du nombre d’employés signifient que les entreprises choisissent de ne pas innover. Il en va de même pour les réponses des entreprises aux chocs de la demande, car les entreprises « dont la taille se situe juste en dessous du seuil réglementaire » choisissent de ne pas augmenter leur production pour répondre à cette demande en raison des implications réglementaires.

Au total, les auteurs concluent que la réglementation du travail équivaut à une taxe de 2,5 % sur les bénéfices, qui réduit l’innovation d’environ 5,4 % et « réduit le bien-être d’au moins 2,2 % en termes d’équivalent consommation ». Cet impôt sur les bénéfices continue d’affecter les entreprises situées à droite du seuil, ce qui se traduit par « un aplatissement plus important de la relation positive entre l’innovation et la taille de l’entreprise ».

Les auteurs examinent les effets de la réglementation du travail sur les entreprises comptant entre 10 et 100 employés, en notant que « de nombreuses réglementations du travail s’appliquent aux entreprises de 50 employés ou plus », et mesurent la capacité d’innovation des entreprises par le nombre de brevets.

Ces réglementations obligent les entreprises à consacrer des ressources à d’autres activités que la production, notamment à consacrer des revenus à la formation des travailleurs, à offrir une représentation syndicale, à créer des régimes de participation aux bénéfices et à mettre en place un comité d’entreprise avec une représentation des travailleurs.

« Nous ne disons pas que toutes les réglementations sont mauvaises, mais plutôt qu’il est important d’aller au-delà de l’approche habituelle de la réflexion sur les coûts et les bénéfices, qui est à court terme et ignore généralement l’innovation à long terme », explique M. Van Reenen à Reason.

Les contrôles mis en œuvre pour soutenir les travailleurs peuvent s’inscrire dans une perspective sympathique. Pourtant, leurs effets de distorsion finissent par nuire à l’économie dans son ensemble en décourageant la production et en diminuant la création de nouveaux produits.

« Les entreprises réagissent aux incitations et aux désincitations et nous constatons que même lorsque les entreprises connaissent des évolutions positives, telles qu’une augmentation de la demande, elles peuvent encore hésiter à investir dans la recherche et le développement et à poursuivre l’innovation si elles sont proches de ce seuil de taille », explique M. Bergeaud à Reason. « En effet, une innovation réussie implique une croissance, ce qui, dans ce cas, signifierait franchir le seuil des 50 employés et encourir des coûts supplémentaires. »

Un autre résultat intéressant de l’étude est que les entreprises qui innovent dans le cadre d’une réglementation substantielle ont tendance à « prendre le taureau par les cornes » car « la réglementation décourage la R&D incrémentale » et les entreprises veulent « éviter d’être seulement légèrement à droite du seuil ». Si les innovations importantes font l’objet d’une couverture médiatique et ont un impact considérable sur le bien-être des consommateurs, les innovations mineures présentent également des avantages, car elles permettent aux entreprises de répondre à des préoccupations immédiates moyennant des investissements moindres.

 

Même si la législation du travail française est plus stricte que celle des États-Unis, les conclusions de l’étude constituent un avertissement pour les décideurs politiques américains qui cherchent à renforcer la protection des travailleurs en donnant aux syndicats un rôle plus important dans l’économie et en augmentant le salaire minimum. Comme le soulignent les auteurs, les améliorations à court terme des conditions de travail résultant de ces politiques auront des effets néfastes à long terme sur l’innovation et le bien-être des consommateurs.

L’intervention de l’État faussant les incitations, elle aboutira inévitablement à des résultats indésirables, que ce soit à court ou à long terme.

Comme le souligne l’économiste Thomas Sowell dans son livre A Conflict of Visions, « il n’y a pas de solutions, il n’y a que des compromis ».

27 juin, 2023

La croissance économique, avantageuse pour les moins nantis

 Point examinant comment les pauvres bénéficient de la liberté et de la croissance économiques, qui leur donnent plus de chances d’échapper à leur contexte socio-économique

La croissance économique fait croître les revenus des moins nantis au même rythme que la moyenne, conclut cette étude de l’IEDM. « L’idée que la croissance économique se fait aux dépens des moins nantis repose sur du vent », explique Vincent Geloso, économiste senior à l’IEDM et auteur de l’étude.

* * *

Ce Point a été préparé par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

Dans certains cercles, il est de bon ton d’attaquer le concept de croissance économique lui-même. Cette série(1) de brèves études vise à déconstruire quelques-uns des grands mythes qui sous-tendent ces attaques.

On entend parfois dire que les moins nantis sont les laissés pour compte de la croissance économique. C’est qu’on suppose que cette expansion profite essentiellement aux catégories les plus aisées de la société. Pourtant, cette hypothèse repose sur du vent; la croissance économique est généralement bénéfique pour les pauvres, en particulier dans une économie ouverte.

La croissance et les pauvres

La croyance selon laquelle les pauvres ne profitent pas de la croissance a quelque peu perdu du terrain avec l’arrivée des mégadonnées, qui facilitent la mise en commun de vastes jeux de données (nécessaires pour estimer la répartition des revenus) sur de nombreux pays couvrant de longues périodes. Il est aussi de plus en plus simple d’accéder aux données de sources multiples. Ainsi, plusieurs initiatives ont remis en cause l’idée reçue voulant que les retombées de la croissance soient mal distribuées.

La première étude à grande échelle a été réalisée en 2002, par deux économistes de la Banque mondiale. Se penchant sur les données de 1950 à 1999 de 93 pays, les auteurs ont conclu qu’une hausse de 1 % du revenu moyen entraînait une hausse comparable dans les revenus des 20 % les plus pauvres(2). En 2016, une étude portant sur 121 pays est venue reproduire et actualiser ces résultats, reconfirmant que les moins nantis bénéficient autant de la croissance économique que la personne moyenne(3).

À l’aide des données disponibles dans 113 pays, la Figure 1 illustre la croissance du revenu par habitant, de 2000 à 2015, par rapport à la croissance du revenu par habitant des 10 % les plus pauvres(4). L’axe horizontal indique la croissance du revenu moyen global pendant la période à l’étude, et l’axe vertical, la croissance du revenu moyen des 10 % les plus pauvres.

La ligne diagonale montre la correspondance un pour un, c’est-à-dire le point où la croissance profite également aux plus pauvres et à la personne moyenne. Les points au-dessous de cette ligne sont des pays où le revenu moyen croissait plus rapidement, et les points au-dessus, des pays où le revenu des pauvres croissait plus rapidement. On constate que la plupart des points se situent près de la ligne, ce qui indique que la distribution est relativement égale – et donc que la croissance est essentiellement inclusive.

D’autres chercheurs indiquent néanmoins que la relation ne serait pas d’un pour un(5), ce qui ne signifie pas pour autant que les pauvres ne profitent pas de la croissance économique, simplement qu’ils n’en profitent pas autant que la personne moyenne (ou que les très riches).

La liberté économique au service des pauvres

Selon d’autres études, une plus grande liberté économique entraînerait une hausse du revenu dans tous les déciles(6). Cependant, les gains seraient plus grands dans les déciles de revenu supérieurs, de sorte que les moins nantis recevraient une moins grande part du gâteau(7). Ainsi, tous les déciles bénéficient d’un revenu plus élevé, mais pas de façon proportionnelle. On pourrait donc penser, de prime abord, que la croissance générée par les sociétés économiquement libres profite davantage aux plus riches (sans toutefois nuire aux pauvres).

Mais les impressions peuvent être trompeuses, et la littérature nous le confirme(8). Qui plus est, une personne n’est pas confinée à un seul décile toute sa vie; au contraire, les changements de décile sont plutôt courants. Depuis 1982, Statistique Canada fait le suivi des déplacements interdéciles par tranche de cinq ans. En regardant la dernière tranche (2015 à 2020), on remarque par exemple que les Québécois qui se trouvaient dans le décile le plus pauvre en 2015 se retrouvaient en moyenne dans le troisième décile en 2020(9). Et ce, sans compter les travailleurs qui entrent sur le marché du travail (premier emploi, immigration) ou qui le quittent (retraite ou décès). Un portrait représentatif de la situation doit tenir compte de ces entrées et sorties ainsi que des déplacements entre les déciles.

Comment peut-on s’assurer que les moins nantis profitent de la croissance économique? La clé réside dans les politiques économiques et la promotion de la liberté économique, ou autrement dit, une réglementation gouvernementale limitée, un État de plus petite taille, de solides droits de propriété, le libre-échange et une monnaie stable.

Certaines études se sont penchées sur la force de la corrélation directe et indirecte entre la mobilité du revenu – les déplacements interdéciles – et la liberté économique. On constate que la mobilité augmente directement à cause de l’absence d’obstacles gouvernementaux(10). De plus, elle augmente indirectement, car la liberté économique favorise la croissance économique, ce qui a pour effet d’élargir les horizons des familles les plus pauvres, par exemple en facilitant l’acquisition d’aptitudes professionnelles, de financement de démarrage, etc.(11). Si ces deux facteurs sont importants, l’augmentation indirecte est proportionnellement beaucoup plus significative(12). En stimulant la croissance du revenu pour tous, la liberté économique permet aux pauvres d’échapper au contexte socio-économique de leur naissance. Ainsi, les pauvres bénéficient-ils davantage de la liberté et de la croissance économiques, qui leur donnent plus de chance d’améliorer leur condition.

En résumé, il est difficile de dissocier les institutions qui génèrent de la croissance économique de celles qui génèrent des occasions pour les pauvres de s’élever au-dessus de leur classe socio-économique de naissance.

Références

  1. Voir la première étude de la série : Vincent Geloso, « Pourquoi la croissance économique est bonne pour la santé », IEDM, Point, avril 2023.
  2. David Dollar et Aart Kraay, « Growth Is Good for the Poor », Journal of Economic Growth, vol. 7, septembre 2002, p. 207-208 et 218.
  3. David Dollar, Tatjana Kleineberg et Aart Kraay, « Growth Still Is Good for the Poor », European Economic Review, vol. 81, 2016, p. 81.
  4. Justin T. Callais et Andrew T. Young, « A rising tide that lifts all boats: An analysis of economic freedom and inequality using matching methods », Journal of Comparative Economics, 2023, p. 8-13.
  5. James E. Foster et Miguel Székely, « Is Economic Growth Good for the Poor? Tracking Low Incomes Using General Means », International Economic Review, vol. 49, no 4, novembre 2008, p. 1157-1159 et 1165-1166.
  6. Justin T. Callais et Andrew T. Young, op. cit., note 4, p. 31-32; James Dean et Robert Lawson, « Who gains from economic freedom? A panel analysis on decile income levels », Economics and Business Letters, vol. 10, no 2, 2021, p. 103-106.
  7. Donatella Saccone, « Who gains from economic freedom? A panel analysis on decile income shares », Applied Economics Letters, vol. 28, no 8, 2021, p. 647.
  8. Nicholas Apergis, Oguzhan Dincer et James E. Payne, « Economic freedom and income inequality revisited: Evidence from a panel error correction model », Contemporary Economic Policy, vol. 32, no 1, 2014, p. 67-74; Daniel L. Bennett et Boris Nikolaev, « Economic freedom & happiness inequality: Friends or foes? » Contemporary Economic Policy, vol. 35, no 2, 2017, p. 373-389; Daniel L. Bennett et Richard K. Vedder, « A dynamic analysis of economic freedom and income inequality in the 50 US states: Empirical evidence of a parabolic relationship », Journal of Regional Analysis & Policy, vol. 43, no 1, 2013, p. 42-54.
  9. Statistique Canada, Tableau 11-10-0059-01 : Mobilité du revenu sur cinq ans, consulté le 18 avril 2023.
  10. Christopher J. Boudreaux, « Jumping off of the Great Gatsby curve: How institutions facilitate entrepreneurship and intergenerational mobility », Journal of Institutional Economics, vol. 10, no 2, 2014, p. 17-18; James Dean et Vincent Geloso, « Economic freedom improves income mobility: Evidence from Canadian provinces, 1982-2018 », Journal of Institutional Economics, vol. 18, no 5, 2022, p. 823-824.
  11. Justin T. Callais et Vincent Geloso, « Intergenerational income mobility and economic freedom », Southern Economic Journal, vol. 89, no 3, 2023, p. 735- 738 et 749-750.
  12. Ibid., p. 749.

26 juin, 2023

Plus de dette signifie plus d’impôts, moins de croissance et des salaires plus faibles

 Par Daniel Lacalle.

Depuis 1960, le Congrès a relevé le plafond de la dette 78 fois, selon Bloomberg. Le processus de relèvement du plafond de la dette est devenu si régulier que les marchés s’en inquiètent à peine. En outre, comme l’a montré la crise du plafond de la dette en 2011, l’impact sur les prix des actifs s’est surtout fait sentir dans les économies émergentes. En 2011, les dettes turque et indienne ont été les plus touchées, tandis que les bons du Trésor ont augmenté.

Les hommes politiques pensent que le relèvement du plafond de la dette est une politique sociale et que la dette n’a pas d’importance. Jusqu’à ce qu’elle le devienne. La dette des États-Unis par rapport au PIB est maintenant de 123,4 %, et le risque de perdre confiance dans les bons du Trésor américain en tant qu’actif le moins risqué est excessivement élevé.

Le problème du budget des États-Unis est évident au niveau des dépenses obligatoires et discrétionnaires. Concentrer toute l’attention sur les dépenses discrétionnaires ne résout pas le problème du déficit et de la dette. Essayer de convaincre les citoyens américains que le problème de la dette peut être résolu en augmentant les impôts, c’est aussi leur mentir.

Les dépenses obligatoires représentent environ 63 % du budget, les dépenses discrétionnaires près de 30 % et, malgré les faibles coûts d’emprunt, les intérêts nets consomment déjà 8 % du budget.

Le budget des États-Unis n’est pas viable, quel que soit l’angle sous lequel on l’examine.

Les projections pour l’année fiscale 2023 indiquent des dépenses de 5,9 trillions de dollars. Les dépenses ont augmenté après la pandémie de grippe aviaire il y a 19 ans. Cependant, au lieu de les ramener à leur niveau d’avant la pandémie, les dépenses ont été consolidées et annualisées. Le budget américain était déjà confronté à un problème de dépenses avant la pandémie, les dépenses ayant augmenté plus rapidement que la croissance économique.

Les mêmes projections, fournies par le Center on Budget and Policy Priorities, prévoient un déficit de  1000 milliards de dollars, même en tenant compte d’un montant record de 4000 milliards de dollars de recettes.

Les États-Unis ne peuvent en aucun cas ramener le déficit budgétaire à zéro en augmentant les impôts et les recettes. Il est impossible pour l’économie américaine de générer une augmentation annuelle consolidée des recettes fiscales de 1000 milliards de dollars par rapport à un niveau cyclique élevé de 4900 milliards de dollars. Et il ne s’agit là que de ramener le déficit à zéro, sans même commencer à s’attaquer à la réduction de la dette nette, pourtant si nécessaire.

Les déficits sont toujours un problème de dépenses, car par nature, les recettes sont cycliques et volatiles, tandis que les dépenses deviennent intouchables et augmentent chaque année.

Les néo-keynésiens diront que les déficits n’ont pas d’importance et que la dette est un atout pour le reste du monde. Si c’était le cas, pourquoi cette obsession des hausses d’impôts massives ? Il est évident que l’idée que les déficits et la dette n’ont pas d’importance parce qu’ils sont constamment refinancés n’a pas de sens. Ils sont importants parce que la confiance dans la solvabilité de l’État et de sa monnaie dépend de sa capacité à gérer la dette à un niveau qui n’effraie pas les investisseurs nationaux et internationaux. La dette n’est un atout pour les autres que si la solvabilité de l’État émetteur n’est pas remise en question.

Le plus gros problème est que la solvabilité et la confiance des États-Unis sont remises en question dans le monde entier. Les banques centrales réduisent leur exposition aux bons du Trésor américain en tant qu’actifs de réserve, précisément en raison de la baisse de confiance dans les comptes publics et des inquiétudes croissantes quant à la sécurité et à la solidité des obligations d’État en tant que valeur refuge. En 2022, de nombreuses banques centrales ont vu leurs réserves s’effondrer en raison de la baisse de valeur des bons du Trésor.

Toute l’erreur néo-keynésienne repose sur l’idée que l’État peut toujours absorber davantage de richesses du secteur privé sans que cela ne lui coûte quoi que ce soit. Or, ce coût est déjà évident. L’inflation est là, et elle est la conséquence directe d’années de monétisation de la dette publique. De plus, le cocktail dangereux comprend une forte inflation, une hausse des impôts et une augmentation de la dette. Les comptes publics ne s’améliorent pas, même avec des recettes record. L’inflation ne réduit pas le niveau global de la dette car les dépenses déficitaires augmentent en même temps que les prix à la consommation, voire davantage.

Le monde s’interroge sur les finances publiques des États-Unis, et c’est pourquoi le Congrès doit agir et freiner les dépenses. Si les choses continuent ainsi, les dépenses discrétionnaires atteindront 2500 milliards de dollars dans une décennie, et le déficit sera encore d’un demi-billion de dollars américains à la fin de la même période, même si l’économie croît sans récessions ni années de crise, une véritable impossibilité, et que l’emploi n’en souffre pas.

Le budget des États-Unis n’est absolument pas viable, et le problème réside dans les dépenses élevées et inutiles. Si le Congrès ne s’efforce pas de réduire les dépenses, la confiance mondiale dans la dette américaine risque de s’effondrer, et une monétisation accrue ne fera qu’empirer les choses, car elle détruira la confiance dans l’ensemble du système monétaire, à commencer par la monnaie.

Le maintien de ces énormes déséquilibres budgétaires ne sera pas résolu par une augmentation des impôts. Il est impossible d’augmenter les recettes de 1000 milliards de dollars chaque année et en permanence. De plus, des recettes plus élevées conduiraient les gouvernements à se sentir à l’aise et à dépenser encore plus.

Les gigantesques déséquilibres budgétaires des États-Unis mettent en péril le dollar américain et la sécurité de la dette nationale. Il n’y a rien de social à détruire le statut de réserve d’une monnaie et l’attrait d’une obligation pour les investisseurs.

Si les hommes politiques se souciaient vraiment des citoyens américains et de leur bien-être, ils devraient défendre la monnaie et la solvabilité des comptes publics. Toute autre mesure ne fera qu’accélérer l’explosion de la bombe à retardement de la dette au visage de nos fils et de nos filles.

2022 a été un signal d’alarme qui a démoli le mythe de la monétisation éternelle de la dette avec une faible inflation. Il est temps d’être sérieux.

Une dette plus élevée signifie davantage d’impôts, une croissance plus faible et des salaires réels plus faibles à l’avenir. Les dépenses à fort déficit ne sont pas un outil de croissance, mais un outil de copinage et un fardeau pour l’avenir.

25 juin, 2023

Le socialisme d’aujourd’hui est une socialisation forcée

 Par Finn Andreen.

Mon article « Le socialisme d’aujourd’hui n‘est pas le socialisme d’antan » mérite une suite.

Ce premier article a montré un changement de définition du terme « socialisme » ; changement nécessaire au vu des échecs de cette idéologie au cours du siècle dernier. Le socialisme d’aujourd’hui est basé sur l’idéologie de l’« étatisme », c’est-à-dire la conviction que l’État doit jouer un rôle fondamental dans la société. C’est l’acceptation d’un État social moderne qui s’implique dans toutes les activités de la société, qu’elles soient de nature commerciale ou pas.

Contrairement au socialisme « classique », avec cette nouvelle définition, très peu de personnes ne sont pas socialistes en France et en Europe. Tous les partis politiques sont alors socialistes, même si beaucoup n’accepteraient jamais d’être désignés ainsi. Cette conviction étatiste généralisée explique en grande partie les maux que traversent ces pays, dont la France, depuis presque un demi-siècle : une stagnation politique, économique et sociale sans précèdent, et majoritairement auto-infligée.

Avant donc de parler des effets de la mondialisation, il est important de reconnaître et comprendre les conséquences sur la société de l’avènement de l’État moderne. L’éducation aux idées du libéralisme, thème de l’article cité précédemment, doit donc prendre en compte ce très fort soutien dont jouit le socialisme d’aujourd’hui.

 

Une socialisation forcée

En fait, le socialisme en tant qu’étatisme est sûrement même une meilleure définition que celle selon laquelle tous les moyens de production se trouvent entre les mains de l’État. Ce « socialisme d’antan » est si contraire à la nature humaine, l’URSS nonobstant, qu’elle ne saurait qu’être tout au plus un passage éphémère dans une société développée.

Quand le socialisme historique prônait une société orwellienne où l’« égalité des résultats » devait être parfaite entre individus, le socialisme d’aujourd’hui souhaite la parfaite « égalité des opportunités ». Ceci est certes un progrès, mais les deux supposent de graves atteintes à la liberté individuelle. Si l’étatisme n’interdit pas la propriété privée, il bride souvent gravement son développement. Pour l’individu, cette socialisation forcée peut être progressive (impôts sur le revenu), régressive (sous forme de TVA), et d’une manière générale, redistributive.

Le socialisme d’aujourd´hui porte bien son nom, car elle signifie – et présuppose – une « socialisation ». Mais celle-ci est artificielle ; l’étatisme est un système de socialisation forcée, par-dessus les relations sociales naturelles déjà existantes.

 

Tensions sociétales dues au socialisme

Quand une partie significative de la richesse est redistribuée, la polarisation de la société est inévitable, même dans les sociétés contemporaines qui soutiennent les idées étatistes. En absorbant et en réallouant tant bien que mal une grande partie de la richesse produite par le marché, l’État et le système financier qui en est tributaire crée des tensions sociales. C’est le contraire des harmonies économiques d’un marché libre, que Frédéric Bastiat avait perçues.

Ces tensions sont liées à l’injustice fondamentale de la redistribution et aux freins évidents à la création de richesse. Ces tensions sont liées également à la croissance injustifiée d’une classe de fonctionnaires privilégiés mais sous-performants, privant en même temps le secteur privé de ressources humaines.

Mais les répercussions de l’étatisme vont bien au-delà de l’impact financier. Cette socialisation forcée transforme les relations sociales naturelles, spécifiques à chaque société. L’étatisme crée des liens sociaux nouveaux par rapport à ceux qui existent dans une société libre évoluant spontanément.

En effet, dans L’éthique de la production de monnaiele professeur Hulsmann explique les conséquences néfastes de la production monétaire par l’État, c’est-à-dire l’inflation, qui n’est qu’une forme masquée de confiscation de propriété privée.

L’attitude envers l’épargne est transformée lorsque l’unité monétaire est sciemment dévalorisée par les banques centrales, forçant les acteurs de la société à dépenser plus et plus tôt que dans une société libre. Une telle politique socialiste change la préférence temporelle, qui lorsqu’elle est agrégée, forme les taux d’intérêts naturels dans un libre marché. La société sous le joug de l’étatisme devient alors plus orientée vers le présent et moins vers l’avenir, comme l’expliqua le professeur Hoppe dans son œuvre majeure, Démocratie, le dieu qui a échoué.

Cette importance accrue du présent, couplée avec une forte pression fiscale et réglementaire, réduit l’investissement des entreprises et la motivation des individus. L’État est responsable du chômage artificiel et contribue alors doublement au sentiment général de stagnation. L’image de générosité de l’État social alimente l’immigration, avec toutes les difficultés que cela génère en termes d’intégration, de fractures sociales, et de nivellement par le bas.

L’inflation (monétaire) augmente les tensions dans la société à travers le caractère régressif de l’effet Cantillon. La politique monétaire artificiellement inflationniste des États modernes a permis des guerres aussi destructrices que coûteuses, provoquant une déstabilisation d’une grande partie du monde.

L’étatisme force donc la société à entrer dans un cercle vicieux de socialisation forcée, où les différents échecs économiques et sociaux se renforcent les uns les autres, au point où une rupture ou une crise deviennent inévitables. C’est la situation actuelle dans beaucoup de pays européens, dont la France. La solution est évidemment le libéralisme, qui permet au contraire de profiter du cercle vertueux du capitalisme véritable, pas celui de connivence, où les investissements et les innovations permettent d’améliorer en permanence la qualité de vie de chacun.

Les pays occidentaux doivent une grande partie de leur déclin politique et économique actuel aux phénomènes décrits ci-dessus. La France est un bel exemple en la matière, malheureusement. Tant que la société française n’aura pas compris les principes et les avantages du libéralisme, pas tant pour la nation française mais pour chaque Français individuellement, il ne faut pas espérer de renaissance dans ce pays. L’éducation en libéralisme politique et économique ne peut plus attendre.

24 juin, 2023

Ayn Rand : un cauchemar pour collectivistes et déconstructivistes

 Par Alain Laurent.

Une « maîtresse à penser des ultra-riches » dont les livres trônent sur « la table de chevet de la droite américaine » ou encore « la sainte patronne » du « gratin politico-économico-techno-médiatique » : telle serait Ayn Rand selon un article venimeux récemment paru dans Télérama (28 mai) et signé d’une certaine Caroline Veunac. Rand : un véritable cauchemar, donc, pour cet organe du progressisme sociétal et culturel, qui ne supporte visiblement pas que ses certitudes militantes soient contredites par une pensée aussi incorrecte. D’où son recours à une enfilade de clichés sommaires, tous aussi biaisés les uns que les autres, dont l’insigne malhonnêteté intellectuelle éclate dès qu’on les confronte à la cruelle et décapante lumière des faits.

 

Une icône de la droite réactionnaire américaine ?

Rien n’est plus faux que présenter Ayn Rand en inspiratrice de la droite américaine, version trumpiste ou conservatrice.

C’est en effet occulter que, foncièrement individualiste et favorable à la souveraineté de l’individu rationnel et non-violent, elle professait de fortes convictions radicalement opposées à toute soumission au tribalisme et au traditionalisme. Et que cette athée, « laïque à la française », combattait la moindre intrusion de la religion dans le politique. Raison pour laquelle elle s’est explicitement et précocement prononcé en faveur du droit des femmes à l’avortement – ce qui la place en opposition absolue avec toute la mouvance conservatrice.

Mais de manière plus générale, tout la sépare doctrinalement du conservatisme, pour lequel elle a eu les mots les plus durs et dont elle a souvent fustigé le côté collectiviste (la préférence pour les « racines », les appartenances et identités collectives, les déterminismes…) et l’étatisme (le recours aux moyens de l’État pour imposer leurs valeurs aux autres). C’est dire à quel point faire de Trump un adepte de Rand relève de la fake new la plus flagrante : irrationnel et pratiquant le déni de réalité (les soi-disant « faits alternatifs ») à grande échelle, nationaliste (ce qu’exécrait Rand !) et protectionniste, inculte et démagogue, ce futur et calamiteux candidat aux présidentielles américaines incarne ce que Rand détestait le plus, se situant aux antipodes de ses idéaux éthiques, politiques et même cognitifs.

En contraste, et de par ses qualités entrepreneuriales et créatives, Elon Musk est bien davantage éligible en héros randien…

 

Sainte patronne des ultrariches ?

Seul les « ultrariches » disant avoir été influencés par Ayn Rand sont légitimes à le faire si leur richesse résultent de l’emploi judicieux de leurs créativité et compétences personnelles.

Car dans ce cas, leur succès vérifie la pertinence d’un principe cardinal de la philosophie objectiviste randienne : la « loi de causalité ». Et cela plus précisément en application du « gagné-mérité » (« earned-deserved ») : c’est la conséquence logique des efforts productifs déployés par un entrepreneur,  la juste récompense de l’engagement de sa pleine responsabilité. Mais il est en revanche faux de prétendre que dans son œuvre, Rand n’aurait mis en scène et célébré que des « riches » pouvant servir de modèles à ses millions de lecteurs. En fait, les principaux protagonistes de ses deux grands romans-cultes ne sont nullement des banquiers ou des magnats, mais des créateurs d’idées nouvelles en prise directe avec la réalité – et le libre marché.

Ainsi, Howard Roark (La source vive) est un architecte génial et solitaire, qui entend vivre du produit de son art disruptif, tandis que John Galt (La Grève) est un ingénieur, inventeur d’un moteur utilisant une source d’énergie inédite et inépuisable et que Hank Rearden (toujours dans La Grève) a mis au point un nouveau type de métal infiniment plus performant que tout ce qui existait auparavant. Aucun d’eux n’est « riche », et il préfèrent vivre pauvres que renoncer à leurs droits de propriété intellectuelle. À quoi l’on ajoutera que dans ces deux opus, les personnages les plus valorisés sont souvent issus de milieux modestes, mais animés d’une haute conscience professionnelle et connaissant bien leur affaire : c’est en particulier le cas de plusieurs cheminots dans La Grève, où tout se trame aussi autour d’une compagnie privée de chemin de fer.

Dominique Lecourt, l’un des rares philosophes français à s’être intéressé sans acrimonie à Ayn Rand, témoigne de cette proximité avec les citoyens de base par cette anecdote : pour meubler l’attente de son avion à Kennedy Airport, il achète au hasard La source vive et commence à le lire dans une cafétéria ; et quand la barmaid vient le servir et découvre le livre qu’il tient, elle lui dit : « Vous avez fait un excellent choix ! » Une « ultrariche », vraiment, cette simple serveuse ?

 

Un robuste antidote contre le collectivisme, le relativisme et le culpabilisme

Il y a cependant quelque chose d’exact dans l’article de Télérama :

« Brandissant l’acte créateur contre le conformisme de masse et l’interventionnisme étatique, Ayn Rand affranchit en quelque sorte l’individu de l’autocensure social-démocrate ».

Car de manière plus générale, la philosophie objectiviste élaborée par Rand permet à qui le veut de se soustraire à l’emprise délétère de la « political correctness » contemporaine. En effet, poser que la réalité existe objectivement hors de l’esprit humain, que celui-ci peut la connaître et s’en servir productivement pour s’accomplir grâce à la vertu de rationalité (la non-contradiction, le travail de conceptualisation) et au code moral qui en infère (non-agression, logique de la responsabilité individuelle, coopération volontaire), c’est proposer autant de solides points d’ancrage pour combattre les maux de l’époque liés au relativisme cognitif et moral : déni généralisé de réalité (tout ne serait qu’arbitraires « constructions sociales »), culpabilisation imméritée des individus qui entendent librement jouir du résultat de leurs efforts productifs et du droit de propriété qui en découle, règne de l’irrationnel et du laxisme déresponsabilisant.

Mais les éructations de Télérama ne sauraient dissimuler que dans la grande presse nationale, d’autres titres viennent de se montrer bien mieux accueillants à Ayn Rand dans leurs recensions de la réédition de son premier roman, Nous les vivants (Les  Belles Lettres), comme entre autres Le Figaro (4 mai) puis L’Express (8 juin) – ni que chaque année, l’émission phare de France-Culture sur la philosophie invite l’auteur de ces lignes pour parler sereinement de Rand. Tout espoir de mieux faire connaître et reconnaître Ayn Rand n’est donc pas perdu, n’en déplaise à Télérama.

Rendez-vous sur ce plan à la prochaine rentrée avec cette fois-ci la réédition de Hymne (1937, aux Belles Lettres).

23 juin, 2023

La bêtise humaine se porte toujours aussi bien (2)

 Par Johan Rivalland.

Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner un petit échantillon de ce que la bêtise humaine est capable de produire au quotidien. La source n’étant pas près de se tarir, il n’y a que l’embarras du choix pour constater jusqu’où elle peut aller. Nouveaux exemples, tirés de l’actualité récente.

 

L’écologisme bête et méchant

Le dimanche 11 juin, environ un millier de fous furieux prétendument écologistes cèdent à l’appel des collectifs « La Tête dans le Sable » et « Soulèvements de la Terre », dans le but de « protester contre l’exploitation industrielle du sable dans le maraîchage, l’extension de carrières de sable et la bétonnisation ». Joli programme.

Nul n’ignore que ce type de mouvement, qui a déjà eu l’occasion de se distinguer de manière ultraviolente, au-delà de la science (si ce n’est militante) et de la raison, mais aussi des principes démocratiques, prône en réalité la décroissance et l’anticapitalisme. Le problème, ici, est que, sous couvert de défendre l’écologie, cette horde de moutons de Panurge très primaire s’en est pris à des cultures expérimentales, au dépit et au grand désespoir de ceux qui œuvraient justement pour la recherche de méthodes de culture plus écologiques !

Saccageant tout sur leur passage, selon leur méthode habituelle, et ne faisant pas dans le détail, ils ont ainsi détruit trois années de travail de ces petits producteurs et chercheurs. Sans aucune réflexion, sans égard pour l’autre, sans chercher à se renseigner au préalable sur ce qu’ils étaient en train de détruire, sans complexe au regard d’une violence qu’ils jugent légitime (n’est pas Thoreau, ni Gandhi qui veut, et ne comprend l’idée de désobéissance civile que celui qui dispose d’un minimum de culture). Parant leur action du vocable romantique ou « citoyen » d’« éco-sabotage », ce qui vise à donner l’illusion que leurs actions violentes et illégales seraient légitimes.

Face à tant de bêtise et de violence primaire, nous sommes en droit de nous demander si ceux qui attendent tout des autres sont encore capables de penser par eux-mêmes et de prendre des initiatives créatives plutôt que de s’inscrire encore et toujours dans la violence gratuite et irresponsable, dans l’unique protestation inefficace, sans limites et contre-productive.

 

Une liberté d’expression à géométrie variable

Dans le même ordre d’idée, où certains s’accaparent le droit de revendiquer, d’être entendus (y compris par la force et sans égards pour les autres, comme nous venons de le voir), il y a toujours cette conception de la liberté d’expression qui doit être défendue… à condition de se situer dans le bon camp.

Nous présentions, il y a peu, un pamphlet d’Éric Naulleau, dont nous écrivions que la sortie n’allait pas vraiment arranger les affaires de son auteur. Décidément intrépide et sans complexe, le célèbre critique littéraire et chroniqueur s’est aussitôt fait brocarder et évincer du jury du festival de Cabourg, pour avoir osé franchir le Rubicon en accordant un entretien… sur la liberté d’expression, au magazine Valeurs actuelles (crime de lèse-majesté). Comme chacun sait, la liberté d’expression s’arrête là où commence l’intimidation et l’idéologie dominante. Quitte, dans certains cas, à recourir là encore à la violence contre les récalcitrants.

Et c’est tout le problème : la liberté d’expression, oui, mais uniquement si vous êtes du bon côté. Comme le titre de l’article de Pierre Jourde dans Marianne en lien plus haut le suggère, « La liberté d’expression, valable pour certains, pas pour d’autres ».

J’apprécie d’ailleurs l’humour du chroniqueur, dont je vous cite cet extrait bien senti :

 

« J’ai récemment donné un entretien au journal L’Humanité, pour dénoncer les nouvelles entraves à la liberté d’expression. Dès le lendemain, le responsable de mon club de boxe m’a passé un coup de téléphone. Il n’y est pas allé de main morte : « Tu as choisi de t’exprimer dans l’organe d’un parti qui a approuvé le pacte germano-soviétique, dénoncé les dissidents, soutenu les procès de Moscou, les purges, le goulag, les millions de morts. Ce ne sont pas nos valeurs. Je suis désolé, mais tu ne fais plus partie du club. »

Non. Je blague. Qui pourrait aujourd’hui tenir ce raisonnement stupide ? L’Humanité a toute sa place dans l’espace démocratique, et on a le droit de s’y exprimer, même si on ne partage pas ses idées. Ça n’engage pas. Vous êtes d’accord ? Vous avez tort. La liberté d’expression, la démocratie, c’est valable pour certains, mais pas pour d’autres. Le raisonnement simple que je viens de tenir n’a plus lieu dans certains cas… »

 

Il n’y a rien à ajouter. On comprend bien ici que nous sommes au-delà de la bêtise, puisque ce sont les fondements mêmes de la liberté d’expression, et donc des libertés fondamentales, qui sont en cause. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur Valeurs actuelles ou sur Éric Naulleau. L’intolérance pure, au nom du prétendu Bien.

 

Henri, le héros décrié

Puisque nous sommes dans le chapitre de l’intolérance et de l’idée que ce qui est valable pour les uns ne l’est pas pour les autres… Pensez à préparer votre cv, au cas où il vous arriverait de devenir de manière inopinée… un héros.

Nous avons connu ces dernières années quelques exemples de héros remarquables, dont nous avons tous admiré le sens de l’engagement et le sang froid dont ils ont fait preuve dans des circonstances extraordinaires. Mais le profil de ce nouveau héros dérange

À peine passées les premières heures durant lesquelles tout le monde a pu saluer le courage d’un jeune homme tentant de s’interposer entre un fou dangereux et d’autres victimes potentielles qu’il aurait pu faire, voilà que son profil interroge. Catholique traditionaliste, parti en tournée de visite des cathédrales de France… Ouille, voilà qui s’annonce mal ! T-shirt arborant le drapeau français en prime, c’est beaucoup pour un même homme. Et les grandes consciences de s’interroger sur l’éventuelle appartenance de ce jeune homme à « l’extrême droite », et autres questions concernant les « sources d’inspiration » de ce héros d’un jour ou de quelques heures.

Peu importe qu’il ait sauvé des vies. Peu importe qu’il ait mis sa propre vie en danger comme peu l’auraient fait. Le profil dérange. Il ne correspond pas aux stéréotypes ou aux standards de ce que l’on attend, de ce que devrait être un vrai héros.

Sans commentaire…

 

« L’écosexe », nouvelle lubie d’un écologisme jamais à court d’idées

On croit rêver… Mais non, c’est bien authentique. Certains illuminés semblant sortis tout droit d’une secte, subventionnés en prime par la ville de Lyon (c’est vrai que quand il y a de l’argent à prendre, toute cause est belle), conçoivent un « spectacle d’écosexe » qui « propose en extérieur des performances mêlant écosexualité, écoféminisme et botanique, n’hésitant pas à s’afficher en public dans le plus simple appareil, parfois en présence d’enfants ».

Je n’ose trop vous engager à jeter un coup d’œil sur la petite vidéo de l’article en lien ci-dessus, c’est tout simplement effarant. Un homme rampe presque entièrement nu sur le sol, léchant la végétation au sol et autres simagrées, ainsi que moult détails qui ne m’intéressent même pas, mais que je vous laisse découvrir si vous le souhaitez. Et devant un public composé en partie d’enfants. Et, bien sûr, au nom de l’harmonie avec la Nature (à qui il fait l’amour).

Là aussi je n’ai rien à ajouter…

 

Le petit bonus, pour terminer

 

Et que pensez-vous de ceci ? Mathieu Orphelin, ancien député et actuel Directeur général de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) interpelle Coca-Cola après qu’une cigogne s’est coincé le bec dans l’une des canettes de la firme. Doté d’un bon sens et d’un réalisme époustouflants, il demande ainsi à ses dirigeants : « Avez-vous mis en oeuvre des moyens (drones ou autres) pour retrouver cette cigogne et la secourir ? ».

Je vous laisse apprécier les réactions mieux avisées des lecteurs de l’article, qui réagissent nombreux avec bien plus de réalisme et de bon sens (Qui doit-on incriminer, Coca-Cola ou la personne irrespectueuse et négligente qui jette ses déchets en pleine nature ? Fera-t-on un procès à la LPO si l’un des gadgets qu’elle vend occasionne des dommages similaires ? Idem pour des tas d’autres exemples de produits ou ustensiles de tous les jours. Et quid des dégâts causés par les éoliennes sur les oiseaux ? Etc. Il y a l’embarras du choix).

Oui, décidément, la bêtise se porte bien. Tandis que des événements graves se déroulent à nos portes, certains n’ont décidément rien d’autre à faire que de se préoccuper de futilités ou de choses sérieuses mais avec un regard bassement partisan teinté d’ignorance et d’intolérance. Pauvre de nous…