Par Maria Lily Shaw
Depuis quelque temps, le gouvernement du Québec fait la promotion de son projet d’autosuffisance alimentaire. En fait, ce sont plus de 150 millions de dollars de notre argent qui ont déjà été dépensés dans ce projet, sous le prétexte que ces investissements en vaudront la peine lorsque nous pourrons compter sur un approvisionnement alimentaire autonome à longueur d’année. Mais combien sommes-nous prêts à payer pour profiter de cet avantage discutable?
La notion d’autosuffisance alimentaire à l’échelle d’un pays, ou en l’occurrence d’une province, jouit d’une certaine popularité, en partie du fait qu’elle se veut favorable à l’environnement et aussi parce que tout le monde aime le goût des fruits fraîchement cueillis. Or, cette notion est loin d’être favorable à l’économie, et c’est un fait établi depuis le XVIIIe siècle, alors que les économistes David Ricardo et Adam Smith ont déboulonné le mythe selon lequel l’autosuffisance est la meilleure politique pour un pays.
Selon les théories de Ricardo et de Smith, l’autosuffisance et le protectionnisme entraînent des pertes d’efficacité dans la mesure où les ressources sont détournées des secteurs où les travailleurs sont beaucoup plus productifs grâce à la spécialisation et à d’autres avantages, comme c’est le cas du secteur forestier au Québec. Lorsque nous utilisons nos précieuses ressources limitées – c’est-à-dire notre capital humain et matériel – au profit d’un secteur moins productif, tout le monde en pâtit, même le secteur le plus productif. En fin de compte, les coûts de production augmentent, et les consommateurs en subissent les conséquences en payant des prix plus élevés.
Par ailleurs, le Québec a déjà admis que le secteur alimentaire souffre d’une pénurie de main-d’œuvre et connaît un faible taux de productivité. Autrement dit, nous ne sommes pas spécialisés dans la production alimentaire, surtout si l’on compare avec certaines régions des États-Unis ou du Mexique qui bénéficient d’un avantage naturel grâce à leur climat chaud et qui ont consacré énormément de temps et d’énergie à se spécialiser dans ce secteur d’activité. De plus, acquérir une telle spécialisation nécessiterait des investissements massifs sur le plan des infrastructures et de la technologie alors que ces mêmes pays avec lesquels nous commerçons ont déjà réalisé de tels investissements.
Sans compter que produire nos propres aliments n’est pas forcément plus écologique. La production d’aliments nécessite généralement beaucoup plus d’énergie que son transport, surtout lorsque des quantités importantes de chaleur sont nécessaires, par exemple, pour arriver à les faire pousser dans une région, mais pas dans d’autres. Réduire la distance parcourue par les aliments augmente en règle générale leur empreinte écologique, dans la mesure où leur production dans des endroits moins favorables nécessite l’utilisation de ressources supplémentaires.
Nous ne pouvons tout simplement pas rivaliser avec le soleil de la Californie pour cultiver nos fruits et nos légumes préférés de manière efficace et peu coûteuse. Heureusement, nous pouvons compter sur leur savoir-faire et les avantages naturels dont ils bénéficient grâce au commerce, ce qui se traduit par une facture d’épicerie moins élevée pour les consommateurs en plus de permettre au Québec de concentrer ses efforts ailleurs.
Les arguments de Ricardo et de Smith demeurent économiquement valables aujourd’hui et les politiciens devraient se souvenir des leçons qu’ils nous ont enseignées. En faire abstraction serait néfaste pour les Québécois, mais aussi pour la planète.
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