Le terreau de ceux qui se revendiquent du mouvement du décolonialisme et du wokisme est, au-delà de leur vision manichéenne de la société visant à la fragmenter, un antilibéralisme viscéral.
Nourris à l’idée que la domination blanche impose ses règles de fonctionnement dans tous les domaines de la vie (de l’économie à la cuisine en passant par le code vestimentaire) aux populations dominées, ils estiment dans la lignée de l’approche marxiste que les populations souffrant de la domination blanche que l’économie de marché et le capitalisme ne sont que des instruments de pouvoir pour les asservir.
Au passage, certains économistes n’hésitent pas à affirmer que la richesse des pays occidentaux s’est construite sur l’esclavage et que naturellement ces pays ont une dette à payer en retour.
Pour Thomas Piketty, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales :
Le système esclavagiste a joué un rôle central dans le développement des Etats-Unis, comme d’ailleurs du capitalisme industriel occidental dans son ensemble.
Il appuie sa démonstration sur ce rôle central à partir de la production de coton qui aurait été décuplée grâce à ce système esclavagiste et qui a alimenté l’industrie textile européenne.
S’il n’est pas question de nier la contribution des esclaves noirs à l’expansion de la production de coton il nous semble peu convaincant de faire dépendre la richesse des pays occidentaux de ce système aujourd’hui fort heureusement disparu.
Celle-ci dépend de bien d’autres facteurs et notamment de l’innovation industrielle propre aux pays occidentaux financée fondamentalement grâce à l’émergence des marchés financiers et donc du capitalisme.
La machine à vapeur, le moteur à explosion, l’électricité, les centrales hydrauliques et nucléaires, l’aviation, les trains à grande vitesse, l’informatique, les vaccins, etc. ne doivent rien à l’esclavagisme.
Toutes ces innovations qui ont transformé la vie de millions de gens, y compris ceux qui ne sont pas occidentaux, ne doivent rien, absolument rien à l’esclavage.
WOKISME : LE COLONIALISME COMME PILIER DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE ?
Dans son article de 1984 « Colonisation, décolonisation et capitalisme (1880-1960), un divorce à la française », Jacques Marseille conteste la croyance que l’empire colonial fut un des principaux piliers de la croissance économique française.
Cette croyance était inspirée par les théoriciens marxistes de l’impérialisme qui voyaient dans la colonisation un pillage organisé par les puissances coloniales. À l’appui de sa thèse, Jacques Marseille montre que la décennie qui suivit les indépendances n’a jamais été aussi vigoureuse et ses transformations structurelles aussi rapides.
En fait, la décolonisation fut une des conditions et l’accompagnement logique de la modernisation de l’appareil économique français. Pour les milieux d’affaires de l’époque, le développement des pays d’outre-mer était financièrement coûteux et gênait l’expansion de la France sur les marchés étrangers par les surcharges de prix qu’il imposait.
Visionnaire, le Général de Gaulle revenu au pouvoir déclara « la décolonisation est notre intérêt et par conséquent, notre politique ». Par contre, pour la gauche française de l’époque, convaincue de la bienfaisance de la colonisation et du génie civilisateur de la France, la dénonciation du colonialisme devint un fait minoritaire et ambigu pour reprendre l‘expression de Jacques Marseille.
Ceci étant, pour les universitaires de tradition marxistes, le colonialisme est bien le produit du capitalisme. Ainsi pour Samir Amin, professeur de sciences économiques, le colonialisme et le capitalisme sont inséparables et la mondialisation en cours induit un apartheid à l’échelle planétaire qui prolonge le système colonial formellement aboli :
La colonisation a été misérable, elle constitue, comme l’esclavage, un défi aux droits fondamentaux. Toutefois, si l’on veut comprendre pourquoi ces droits ont été bafoués et pourquoi ils le sont encore dans le monde, il faut se défaire de l’idée que le colonialisme aurait été le résultat d’un complot. Ce qui est en jeu, c’est une logique économique et sociale qu’il faut absolument appeler par son nom : le capitalisme.
Le problème, c’est qu’on a beau chercher chez les économistes libéraux, on ne trouve pas de plaidoyer en faveur de la colonisation et de l’esclavage, bien au contraire.
En France et en Angleterre, les mouvements abolitionnistes se sont largement inspirés des travaux d’économistes comme François Quesnay, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat et Adam Smith. Pour ces économistes, l’esclavage est devenu au fil du temps beaucoup moins productif que le travail librement négocié sur le marché via le contrat de travail. Mais l’émancipation des esclaves, en plus d’être une recommandation économique, était aussi et surtout une exigence morale pour ces économistes libéraux.
CANCEL CULTURE, CULTURE WOKE, RACISME SYSTÉMIQUE ET CAPITALISME
Aujourd’hui avec l’émergence de la cancel culture et du mouvement woke, la critique du colonialisme s’est étendue avec le concept de racisme systémique propre au système économique de domination que serait le capitalisme. Il serait bien trop fastidieux, et cela dépasserait le cadre de cet article, de faire un état des publications dites scientifiques qui propagent cette nouvelle approche qui se veut post-marxiste au sens où la classe dominée ne se résume plus au prolétariat mais aux peuples colonisés et autres « racisés » des États occidentaux.
À titre d’illustration citons quand même la revue Multitudes qui se définit comme une revue politique, artistique et philosophique. Sa raison d’être :
L’élaboration et la diffusion d’une pensée philosophique et politique visant à renouveler la culture et le débat politique contemporain.
Cette revue se présente sur son site par quelques mots comme : « revenu universel, écoféminismes, intermittence, décoloniser, travail, matières pensantes, contre-fictions, Afrique, capitalisme cognitif, migrants, postcolonial, communs, féminisme, écologie politique ».
Elle se veut clairement militante et revendique en plus de sa défense de l’islamo-gauchisme (cf. Multitudes, Été 2021) son ancrage anti capitaliste. La critique des marchés financiers est bienvenue comme en témoigne l’encadré ci-dessous.
Yves Citton, « Vers un horizon post-colonial des dérives financières ? » Multitudes, 2018/2 (n° 71), p. 33- 44
Extrait :
« On a raison de dénoncer les aberrations d’une finance qui concentre les richesses dans les mains de quelques actionnaires survitaminés, en vampirisant le travail humain sur toute la planète. Mais cette dénonciation suffit-elle à nous faire comprendre ce qui se joue dans les mécanismes de plus en plus alambiqués des dérivations financières ? Ne se leurre-t-on pas, à gauche, en appelant à dégonfler toute cette folie financière, pour la faire retomber sur les pieds rassurants de « l’économie réelle » ? Cette majeure fait l’hypothèse que des choses beaucoup plus profondes, et bien réelles, se jouent dans les arcanes de la finance hypertrophiée de ces dernières décennies. C’est d’abord une certaine logique sociale propre aux produits dérivés, qui fait de la spéculation un opérateur de réassemblage (pour le moment calamiteux) de nos relations entre humains, ainsi qu’avec les non-humains. »
Yves Citton est un théoricien de la littérature, un philosophe et un essayiste. Il est professeur de littérature à l’Université Paris-VIII. Il est co-directeur de la revue Multitudes. Il n’aborde aucunement dans son article le fonctionnement des marchés financiers de produits dérivés (Options, Futures) mais fait de la philosophie autour de la spéculation financière. À aucun moment n’est évoquée l’utilité de ces marchés pour gérer des risques financiers.
Au-delà de cette illustration, la lecture des différentes revues françaises et internationales se réclamant des approches woke et du décolonialisme révèle un antilibéralisme qu’on n’ose pas qualifier de primaire tant ce qualificatif est réservé à tous ceux qui osent critiquer le communisme.
Aujourd’hui, le discours décolonialiste qui tend à se développer fragilise nos démocraties libérales parce qu’il entend « déconstruire », au sens de Pierre Bourdieu, ses institutions économiques et politiques à travers sa grille d’analyse de l’intersectionalisme.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire