Par Sergio Beraldo
On pourrait penser que "Vers une société à risque
zéro" est le manifeste d’un politicien malhonnête qui tente de gagner le
soutien des électeurs en promettant de les libérer de tout risque possible. Un
manifeste trompeur, cependant : bien qu’il puisse attirer beaucoup de
monde et recueillir un large consensus, la promesse serait absurde.
La question est apparue lors du débat public concernant l’utilisation des vaccins Covid-19, en particulier celui d’Astra-Zeneca. Un vaccin peut-il être sans risque ?, qui est actuellement le premier en termes de portée mondiale. Ce débat a fait les gros titres dans les pays développés. Il a probablement été alimenté par la façon dont les individus perçoivent (mal) les risques et par un désir (vrai) d’éviter ces risques.
Quelles sont les raisons qui sous-tendent l’aspiration à une
société à risque zéro ?
Les individus comme les sociétés sont toujours exposés à des
situations qui peuvent avoir des conséquences négatives. Pendant des siècles,
cette simple réalité a conduit les êtres humains à concevoir des moyens
acceptables de faire face au risque. Ces derniers temps, cependant, les gens
croient qu’ils peuvent avoir une vie sans risque. La promesse de construire une
société à risque zéro pourrait donc être la promesse gagnante de politiciens
sans scrupules.
Les efforts continus pour éradiquer les risques inhérents à
toute vie s’expliquent de multiples façons. Tout d’abord, il est fort probable
que, dans les sociétés riches, le vieillissement de la population aille de pair
avec une augmentation générale de l’aversion pour le risque. Les personnes âgées,
plus vulnérables aux chocs de tous ordres, détestent les risques plus que le
reste de la population. Ensuite, les développements technologiques rapides ont
favorisé la croyance (erronée) que tout peut être maîtrisé. Ce n’est évidemment
pas toujours le cas. Dans le célèbre film Armageddon, un astéroïde en route
vers la terre est brisé par une arme nucléaire. Mais tous les problèmes ne
peuvent être résolus en recourant aux armes nucléaires. La lutte contre les
virus ou contre les bactéries résistantes aux antibiotiques en sont deux
exemples. Autre facteur, les individus sont exposés à une quantité croissante
d’informations, ce qui peut être une bonne comme une mauvaise chose, des
annonces, incomplètes ou inexactes conduisant souvent à des croyances erronées
sur la manière de conjurer les périls. En outre, être bombardé d’avis divers
revient à brouiller la juste appréciation qu’il faudrait avoir sur l’ampleur -
et donc la pertinence - des risques. Enfin, notre cerveau a tendance à réagir
de manière excessive. Il y a des raisons de penser que ces mécanismes étaient
actifs lors des récents débats sur l’utilisation du vaccin covid-19.
Comment notre cerveau perçoit le risque
Les êtres humains utilisent des méthodes de pensée qui
tendent à générer des réponses rapides et approximatives. Ces réponses sont
bonnes dans la plupart des cas. Mais elles peuvent comporter des erreurs
systématiques appelées biais. Les biais affectent l’évaluation du risque.
Des études, dans le domaine de la psychologie, montrent que
bien des personnes connaissent l’origine d’un certain nombre d’événements
indésirables, par exemple la mort. Pourtant, lorsqu’on leur demande de
quantifier plus précisément les risques, elles surestiment considérablement la
fréquence des causes de décès les moins probables et sous-estiment celle des
causes courantes. Plus généralement, les informations sur l’occurrence d’un
événement nuisible donné peuvent modifier la perception du risque. Après avoir
appris qu’un événement donné s’est effectivement produit, les individus donnent
une estimation relativement élevée à la probabilité qu’il se reproduise, plus
élevée que l’estimation attribuée par ceux qui ignorent que le résultat s’est
déjà produit. C’est ce qu’on appelle le « biais de rétrospection »
communément traduit par la phrase « je le savais depuis le début ».
Il est clair que ce mécanisme a des conséquences
potentiellement négatives sur la façon dont les sociétés humaines gèrent les
risques. Reprenons le cas du vaccin d’AstraZénéca, approuvé par les autorités
réglementaires selon des règles très rigoureuses. Quelques cas suspects ont
cependant suffi à surestimer dans d’énormes proportions les risques d’effets
indésirables, malgré une très faible probabilité. Or, ils étaient infiniment
moindres que le danger d’être infecté si l’on n’était pas vacciné. Mais
l’opinion publique n’a pas raisonné ainsi.
Deux leçons peuvent être tirées de ce phénomène.
Premièrement, il arrive que les autorités soient conditionnées par le même
mécanisme d’évaluation biaisé qui affecte le point de vue et les décisions des
individus, comme l’a montré la brusque interruption de la campagne
d’inoculation d’Astrazeneca. Il est difficile, pour les politiciens, de trouver
une manière claire d’expliquer la question au grand public, et plus gratifiant
de suivre l’instinct des électeurs. À leur tour, et c’est la deuxième leçon,
les individus sont des proies faciles pour ceux qui promettent des solutions
sans risque, même lorsqu’elles n’existent pas.
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