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17 juillet, 2021

Ce que Steven Horwitz a apporté à l’économie

 Ce dimanche 27 juin 2021, l’économiste Steven Horwitz nous a quittés à l’âge de 57 ans. Retour sur le rôle important qu’il a joué dans l’économie.

Je ne le connaissais que par ses régulières interventions sur les réseaux sociaux, et il nous a cependant toujours habitués à des remarques pertinentes, dans la continuité de la pensée de Friedrich Hayek.

Ce faisant, il me semble plus adéquat de rendre hommage à cet homme en parlant d’un des livres les plus influents de l’École autrichienne sur ces trente dernières années : Macroeconomics and Microfoundations, An Austrian Perspective.

Le livre de Steven Horwitz traite de la micro-économie de l’économie autrichienne : le rôle informationnel des prix, la coordination des plans des agents, le subjectivisme des moyens et des fins, le calcul économique monétaire. Grâce à la théorie du capital de Eugen von Bohm-Bawerk, revisitée par les idées de Israel Kirzner dans Essays on Capital, celle-ci est reliée au point de vue macro-économique : la théorie du capital est ce qui manque précisément à l’économie keynésienne pour faire la jonction entre la micro-économie et la macro-économie.

Le capital est considéré dans la continuité de l’économie subjectiviste, comme des plans non finis, et trouve sa valeur dans sa capacité à produire des biens recherchés par les consommateurs.

LE DÉSÉQUILIBRE MONÉTAIRE

En décrivant le caractère déséquilibré de notre monde, Steven Horwitz étend le problème du calcul économique à la monnaie même.

Nous sommes dans un monde caractérisé par le déséquilibre monétaire. Toute personne ayant suivi des cours d’équilibre général aura remarqué qu’il n’y a pas de monnaie à l’équilibre, mais seulement un numéraire. La monnaie est essentiellement un élément d’un monde d’incertitude et de déséquilibre. Plus il y aura de perturbations liées à un déséquilibre monétaire, et moins l’alerte des entrepreneurs sera à même d’opérer dans le processus de marché.

Ce déséquilibre s’illustre dans le cadre de la fixation des taux d’intérêts naturelle et monétaire chez Knut Wicksell. Le problème de la monnaie réside dans le fait qu’elle est commune à tous les marchés et n’a pas le sien propre, et donc pas de prix propre. Si nous avons relié ces deux éléments, c’est car c’est le système bancaire qui est responsable de l’offre de monnaie, et qui donc permet ou empêche l’atteinte d’un équilibre monétaire, et plus particulièrement l’équilibre sur le marché des fonds prêtables. Si les institutions monétaires sont incapables de maintenir l’équilibre monétaire, cela créera une perturbation sur le marché des fonds prêtables.

À l’inverse, si il est maintenu, il sera d’autant plus facile au marché des fonds prêtables de traduire les préférences temporelles en échanges intertemporels.

En situation de déséquilibre monétaire, les signaux sont donc perturbés, et le processus traduisant les préférences temporelles en échanges intertemporels produit de mauvais signaux. Il n’y a pas égalité ex ante entre l’épargne et l’investissement, et une partie sera perdue pour atteindre l’égalité ex post. Comme dit par Robertson, il est plus important que le système bancaire maintienne l’égalité entre l’épargne et l’investissement plutôt que de répondre à des chocs de productivité entraînant des baisses de prix.

STEVEN HORWITZ ET LA LOI DE SAY

Il revient également sur la Loi de Say, qui est avérée lorsqu’on est à l’équilibre monétaire. En effet, à l’équilibre monétaire, la production est véritablement la source de la demande. Ce lien entre la production et la demande est garanti par l’outil monétaire.

Cependant :

  • En situation d’une demande excessive de monnaie, la production n’est pas source de demande car une productivité potentielle ne s’est pas traduite en demande effective.
  • En situation d’une offre de monnaie excessive, la demande ne vient pas seulement de l’acte de production, mais aussi du surplus de monnaie, qui n’a rien à voir avec la productivité.

Il est donc important de trouver le meilleur moyen d’assurer l’équilibre monétaire.

NORME DE PRODUCTIVITÉ OU STABILITÉ DES PRIX ?

Dans son livre, Steven Horwitz aborde également le débat sur la norme de stabilité des prix avec celui de la norme de productivité. Par norme de productivité, nous entendons un niveau des prix qui s’ajuste aux changements de productivité : par exemple, des baisses de prix lorsqu’il y a des augmentations de productivité.

Horwitz relie cette la norme de productivité avec la théorie de l’équilibre monétaire et de la structure du capital : une augmentation de la masse monétaire pour contrebalancer une diminution des prix liée à un choc d’offre (augmentation de la productivité), entraînera un déséquilibre monétaire, et aura des implications sur la structure du capital. En clair, l’investissement ex ante sera supérieur à l’épargne ex ante, et la structure du capital ne sera pas soutenable.

Au contraire, un changement des prix occasionné par l’offre se reflétera simplement dans une constellation de nouveaux prix relatifs et intertemporels. Les détenteurs des facteurs qui sont maintenant plus productifs permettent à leurs prix de s’adapter à ces changements, d’autant plus qu’un des rôles des entrepreneurs est justement d’occasionner des changements de productivité.

LES PROBLÈMES DE L’INFLATION SELON STEVEN HORWITZ

Cela pousse donc Steven Horwitz à s’interroger sur la pertinence des institutions monétaires, et le mène donc à une préférence de l’analyse comparative des institutions plutôt qu’au nirvana social, en analysant les différents coûts de l’inflation liés à la discoordination qu’elle occasionne.

En effet, les caractéristiques de l’inflation dépendent grandement de l’environnement social et fiscal et des endroits par lesquels la nouvelle monnaie est passée :

Il y a les coûts d’ajustement des prix à l’inflation.

Il y a les coûts pour se protéger de l’inflation, par exemple dans les portefeuilles d’actions.

Comme les effets de l’inflation sont toujours discriminants puisque celle-ci modifie les prix relatifs, l’inflation peut être utilisée pour s’assurer l’appui de certains groupes de pression (par exemple, si l’inflation sert à financer des dépenses publiques, directement ou indirectement). De plus, un programme basé sur l’inflation entraînera l’émergence de nouvelles interventions pour essayer de résoudre les problèmes que celle-ci a causée à la base.

Si les entrepreneurs basent leurs anticipations des futurs prix sur la connaissance thymologique de ces prix relatifs distordus, ils ont plus de chance de faire une mauvaise interprétation de l’état futur de la demande et des marchés. Et comme ces prix futurs dépendent aussi de la politique de la Banque centrale, les entrepreneurs devront aussi formuler des anticipations sur celle-ci. Cela implique donc, en plus, qu’ils fassent un investissement dans une connaissance supplémentaire, à savoir la connaissance de l’économie.

L’inflation a aussi un effet sur l’ordre social : elle détruit la toile d’échange fragile et la division du travail qui en découle, car l’échange est basé sur la capacité de calcul permis par le moyen monétaire.

Tout cela pris en compte, l’inflation réduit la pertinence et la possibilité de calcul monétaire propres à une économie fondée sur des moyens de production privée. Ce faisant, l’inflation occasionne une révolution des prix, qui a des effets de long terme sur la structure du capital d’une économie : l’effet sur les prix relatifs n’est pas qu’un effet à court terme.

LE DÉSÉQUILIBRE MONÉTAIRE ET LA RIGIDITÉ DES PRIX À LA BAISSE

Cependant, il est nécessaire de s’intéresser aux déséquilibres monétaires du côté de la déflation.

Pour Steven Horwitz, une grande majorité des économistes autrichiens ne se sont intéressés qu’au côté de l’inflation. Le problème lié à la déflation est caractéristique d’un dilemme du prisonnier : ne vivant pas dans le monde idéalisé de l’ajustement automatique de l’équilibre où toute connaissance est à disposition de tous, Yeager part du postulat que les prix sont moins que parfaitement flexibles, et que les gens font face à un dilemme du prisonnier en situation de déflation.

Qui réduira ses prix le premier ?

Il n’y a donc que deux options face à un déséquilibre monétaire :

  • soit les prix des biens réels doivent effectivement diminuer avec la diffusion de la connaissance de cette baisse des prix,
  • soit l’offre nominale de monnaie doit augmenter.

Selon Yeager ce déséquilibre monétaire peut être dû à une mauvaise politique du système bancaire et selon Leijonhufvud, d’un pessimisme des entrepreneurs. Mais pourquoi donc le système bancaire ne réduit-il pas ses taux d’intérêts pour couper court à ce pessimisme, ce qui permettrait en plus de résoudre l’écart existant entre le montant d’investissement et l’offre d’épargne ?

Leijonhufvud, comme soulevé par Steven Horwitz, ne se pose pas la question de savoir si la taille du corridor (l’axe sur lequel les prix de marché fonctionnent bien et que toute déviation de l’équilibre monétaire sera résolue à court terme) dépend de sa capacité à apporter une réponse adaptée à un changement de taux naturel.

Un déséquilibre monétaire déflationnaire se manifeste par l’apparition de ressources inutilisées, et est arrêté plus rapidement (car plus visible) qu’un déséquilibre monétaire lié à l’inflation. Prenez la situation où les ménages épargnent davantage, mais que le système bancaire ne transforme pas cette épargne en prêts pour ceux qui désirent des ressources. Pour Horwitz, blâmer les consommateurs pour ces stocks excessifs, c’est manquer le fait que c’est le système bancaire qui n’a pas été capable d’ajuster l’offre de monnaie à son juste niveau.

Horwitz fait cependant la distinction entre deux types de déflation :

  • La déflation liée à l’augmentation de la productivité, qui est un bien privé.
  • La déflation liée à une demande excessive de monnaie (un déclin de la vélocité du revenu), qui est un bien public.

Dans le premier cas, les entrepreneurs sont incités à diminuer leurs prix (c’est une conséquence inattendue liée à l’interaction mutuelle des personnes privées), là où dans le second, la baisse des prix entraîne des changements du côté de la monnaie sur tous les marchés.

Dans le second cas, chacun espère ne pas avoir à couper ces prix en premier (dilemme du prisonnier) et se comporte donc en passager clandestin.

La déflation a des défauts similaires à ceux de l’inflation, comme les coûts d’ajustement, et plus important, l’usage du processus politique pour s’épargner les baisses de salaires (cas typique des années 1930), avec son lot d’interventions additionnelles (programme de soutien à l’agriculture, etc.). Or, comme dans le cas de l’inflation, le problème provient du côté monétaire et non des prix per se. Rendre ces prix plus rigides ne rendra que plus difficile l’ajustement.

Seuls les autrichiens ayant un usage de la théorie de l’équilibre monétaire, et les néo-keynésiens (dans la lignée de Stiglitz), s’intéressent aux problèmes liés à la rigidité des prix. Les points communs s’arrêtent cependant ici. Même s’ils savent qu’ils vivent dans un monde de déséquilibre, les théoriciens de l’équilibre du marché voient la force entrepreneuriale à même de tendre vers l’équilibration. Des fluctuations économiques touchant l’ensemble de l’économie doivent trouver leur origine dans un déséquilibre du secteur bancaire. Pour les néo-keynésiens, le marché est considéré comme inefficient car ne respectant pas les conditions de la concurrence pure et parfaite : chassez le néoclassique, il revient au galop. Tout déséquilibre est une faillite de marché.

Pour les autrichiens, au contraire, la non perfectibilité de l’ajustement des prix n’est pas une inefficience, mais juste une description de l’état réel de notre monde. Les décideurs politiques doivent éviter de créer la nécessité d’ajuster les prix, et plus encore ceux associés à un déséquilibre monétaire.

De plus, supprimer les réglementations qui rendent plus rigides encore les prix à la baisse sont les bienvenues. À l’inverse, les néo-keynésiens ont pour politique appropriée de rendre les prix plus flexibles où c’est possible et l’intervention de l’État là où ce n’est pas le cas, permettant d’éviter des dilemmes de type théorie des jeux. Les deux groupes trouvent que les prix sont rigides, mais rigides par rapport à quoi ? (Shah, 1997 : 42). Pour les autrichiens, par rapport à une analyse comparative des institutions existant dans le monde réel ; pour les néo-keynésiens, par rapport à une image du nirvana social.

LA THÉORIE DES PRIX DE HUTT

Horwitz se lance ainsi dans une prospection des théories de William Hutt, connu pour être un grand adversaire des théories keynésiennes. Celui-ci s’est intéressé aux processus d’allocation des ressources par les entrepreneurs, lesquels apprenent de leurs erreurs, et corrigent leurs plans au fur à mesure en restructurant leurs biens d’ordre supérieur.

Hutt distingue ensuite plusieurs formes d’inutilisation (idleness) des ressources, pour s’intéresser aux inutilisations liées aux prix. Ces non-utilisations peuvent être dues aux pouvoirs de monopole détenus par les syndicats ou certaines entreprises, qui altèrent les prix et les élèvent au-dessus du prix d’équilibre. Même si l’équilibre monétaire est atteint, nous explique Horwitz, une inutilisation des ressources peut toujours se manifester si des barrières sur un marché empêchent la coordination des prix.

Selon Hutt c’est cet aspect que les keynésiens ont manqué lorsqu’ils condamnent la thésaurisation. Oui, effectivement, selon lui une politique monétaire expansionniste peut remettre des travailleurs en emploi mais tant que ceux-ci n’auront pas compris ce que la politique fait réellement, à savoir diminuer leur salaire réel, le niveau des prix peut effectivement revenir au niveau pré-dépression. Mais cela ne prend en compte que les aspects macro-économiques.

D’un point de vue micro-économique, en plus de cela, la structure de la consommation est totalement différente : il y a révolution des salaires et révolution des prix. Le processus de marché altéré par l’inflation le mène vers un processus de découverte différent, moins désirable que celui dans lequel on a simplement levé toutes les rigidités sur les prix.

Le parallèle est intéressant avec le célèbre papier d’Israel Kirzner sur la réglementation, « Perils on Regulation ». Un niveau des prix maintenus coercivement et des rigidités sur les prix ont le même effet, celui de bloquer le processus de découverte du marché. C’est un coût incalculable qui en résulte, puisqu’il n’y a aucun moyen de savoir ce qui aurait pu être découvert.

De plus, les rigidités des prix sur certains marchés peuvent entraîner un plein emploi sous optimal. Tout le monde a un emploi, sauf que certaines personnes qui auraient pu être employées là où elles ont de meilleures compétences doivent se rabaisser aux industries où il y a moins de rigidités et de barrières, et donc subissent des coûts de recherches supplémentaires.

L’ANALYSE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS MONÉTAIRES

Grâce à tous les points soulevés précédemment, Horwitz se lance dans une analyse théorique et comparative des différents régimes monétaires, et explique sa préférence pour le système de la banque libre. Le système de la banque libre laisse aux producteurs de monnaie le soin de répondre aux signaux envoyés par le marché en déterminant la quantité de monnaie à produire.

Si cette liberté est essentielle au processus de découverte pour les biens réels, elle est tout aussi importante dans la production de la monnaie elle-même, dans le but de découvrir ces opportunités de profit liés aux déséquilibres monétaires.

Il y a bien d’autres détails intéressants soulevés dans ce livre par Steven Horwitz, comme d’autres de ses travaux qui méritent notre attention. J’espère en tout cas avoir donné aux lecteurs la curiosité de se pencher sur l’immense travail effectué par Horwitz durant toutes ces années.

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