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23 juillet, 2021

Elinor Ostrom : le bien commun par le bas

 L’administration moderne et centralisée est-elle si efficace que ça dans sa gestion des biens communs ? Elinor Ostrom pense le contraire.

Les sciences sociales ont en général un biais positif en faveur de l’administration, qui est pour beaucoup synonyme d’efficacité et de modernité. Ainsi, c’est devenu un lieu commun de décrire la modernisation de l’État, après Max Weber, comme un processus de rationalisation. Unifier le centre de décision et ses différents services d’application en un seul corps régi par des procédures précises et la hiérarchie semble garantir à la fois la production et l’efficacité des décisions prises.

Seulement, ce préjugé en faveur de l’administration comme procès de rationalisation est contesté 1, et la science économique récente lui a même adressé une critique forte en proposant de décentraliser et d’introduire la concurrence institutionnelle dans la gestion des biens publics.

CENTRALISATION ET ORDRE POLYCENTRIQUE

En effet, à travers ses études empiriques sur les biens publics municipaux, l’économiste et prix Nobel Elinor Ostrom a soutenu que l’efficacité de l’administration publique n’était pas liée à son degré de centralisation et de consolidation, mais résulterait d’un processus polycentrique sous-produit, dont les acteurs sont les communes locales. En effet, celles-ci seraient en compétition pour attirer de nouveaux résidents, proposant biens et services publics contre des impôts locaux et des rémunérations.

Ce qui semble du point de vue d’un administrateur rationnel moderne totalement chaotique est en fait un processus organisé d’économies locales qui émerge grâce à la participation conjointe des communautés locales et des citoyens. Les mécanismes décentralisés qui assurent le bon fonctionnement des échanges génèrent ainsi une offre beaucoup plus adaptée aux demandes des citoyens au quotidien. Inversement, la centralisation bureaucratique de l’administration dans la gestion de cet écosystème économique municipal tend à empirer les choses.

Ostrom a observé que cette différence de conception des gouvernances locales par l’administration réapparaissait avec les mêmes résultats une fois appliquée au problème, bien connu en économie « des communs ».

PAS DE TRAGÉDIE DES COMMUNS

Les ressources communes dans un environnement rural, qu’elles soient forestières, en matière d’irrigation ou de pêche, sont comparables à la gestion des écoles, de la police et des services publics dans l’environnement urbain des collectivités locales : les efforts des experts pour centraliser l’administration des ressources débouchent sur des problèmes de mauvaises allocations liées à l’impossibilité de créer les conditions du calcul économique, à rassembler les informations dispersées au sein de la société et à prévenir l’influence destructrice des groupes d’intérêt au sein de la structure2.

Inversement, en se concentrant sur la manière quotidienne de faire des acteurs de base pour transformer les situations potentiellement conflictuelles en opportunités pour coopérer, les époux Ostrom ont montré que les individus confrontés aux problèmes de ressources communes n’étaient pas victimes de la tragédie des communs : au contraire, pour éviter le conflit, ils réussissaient à transformer l’occasion en opportunités pour créer des normes adaptées en vue d’assurer leur bonne gestion et une coopération pacifique.

En conclusion, nous pouvons reprendre la leçon que Peter Boettke retient des travaux d’Elinor Ostrom dans son livre Living Economics. Les individus sont les mieux placés au niveau local pour connaître les règles et les actions les plus adaptées à leurs intérêts afin d’éviter les conflits et entretenir la coopération sociale qu’une administration lointaine, centralisée et déconnectée des réalités quotidiennes de ses administrés.

  • Ostrom, Elinor, Governing the commons : The evolutions of institutions for collective action, New York, Cambridge Univ. Press, 1990.

Un article publié initialement en juillet 2016.

  1. On pense aux travaux pionniers en sociologie des organisations de Michel Crozier sur la bureaucratie par exemple. ↩
  2. Sur le sujet, Boettke, Peter, Living Economics, The Independante Institute, 2012, p. 165. ↩

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