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05 juillet, 2021

Le libéralisme est-il incompatible avec le catholicisme ?

 C’est au sein des sociétés d’origine chrétienne que le libéralisme a pu trouver le terrain le plus fécond pour son essor. C’est également au sein des démocraties libérales que le catholicisme a été et demeure le mieux protégé.

Par Daniel Borrillo.

Il existe une idée répandue selon laquelle les valeurs du catholicisme rendent celui-ci incompatible avec la philosophie libérale.

Certes, de l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII à Laudato Si de François en passant par Quadragesimo Anno de Pie XI ou encore Mater et Magistra de Jean XXIII, la doctrine de l’Église condamne les dérives des économies libérales telles que :

Le profit comme motif essentiel du progrès économique, la concurrence comme loi suprême de l’économie, la propriété privée des biens de production comme un droit absolu, sans limites ni obligations sociales correspondantes – Paul VI, encyclique Populorum Progressio (1967) et lettre apostolique Octogesima adveniens (1971)

Cependant, une contextualisation historique des condamnations du libéralisme économique par l’Église et un retour aux sources du christianisme permettraient de mieux comprendre et en quelque sorte de relativiser les tensions entre ces deux philosophies qui ont profondément marqué, et marquent encore, l’histoire politique de l’Occident.

La fin du XIXe siècle, période de parution de l’encyclique Rerum Novarum, était caractérisée par la Révolution industrielle et la conséquente « concentration dans les mains de quelques-uns de l’industrie et du commerce […] qui impose un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires ».

Cette situation d’injustice sociale menaçait d’octroyer au communisme le monopole de la contestation politique et surtout risquait d’aboutir à l’abolition de la propriété privée1, considérée par l’Église comme de droit naturel.

De surcroît, force est de constater que les réformes anticléricales effectuées depuis la Révolution française ont fortement ébranlé l’Église catholique2.

Aussi, des sentiments anticléricaux sont répandus dans toute l’Europe si bien que durant la dernière moitié du XIXe siècle, les gouvernements de l’Italie, l’Espagne, la Belgique, l’Autriche, la France et l’Allemagne ferment les écoles catholiques, dissolvent les ordres monastiques, suppriment les privilèges du clergé et saisissent les biens de l’Église.

L’ABUS DU PROGRÈS ÉCONOMIQUE

Face à la menace du socialisme non seulement contre la propriété privée mais aussi contre la liberté religieuse, Rome développe un magistère critique sur l’abus du progrès économique : la doctrine sociale de l’Église.

Celle-ci commence par rappeler le caractère naturel de la propriété privée comme condition sine qua non d’une vie digne :

La propriété et les autres formes de pouvoir privé sur les biens extérieurs contribuent à l’expression de la personne et lui donnent l’occasion d’exercer sa responsabilité dans la société et l’économie… [elles] assurent à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale ; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine Concile Vatican II, Gaudium et spes – 1965

La justification cléricale des limites de la propriété privée est très proche de celle de Locke : les besoins personnels nécessaires à l’Homme pour assurer sa subsistance et les besoins des autres. Saint Thomas avait déjà établi qu’il était nécessaire d’attribuer aux particuliers et non à la collectivité le droit de cultiver et de faire valoir les biens avec la limite d’user de sa propriété de manière de la rendre utile à tous (Somme Théologique IIa IIae question 66 al.2).

Aussi, selon l’Église :

Quand une entreprise génère du profit, cela signifie que les facteurs productifs ont été dûment utilisés et les besoins humains correspondants convenablement satisfaits – Jean-Paul II, Centesimus annus – 1991

La parabole des talents de l’apôtre Matthieu montre bien que Dieu récompense ceux qui font fructifier leurs biens avec un rendement juste (Matthieu XXV, 14-30).

Le prêtre Robert Sirico analyse depuis plusieurs années les rapports entre l’économie de marché et l’anthropologie catholique (Catholique et libéral. Les raisons morales d’une économie libreEd. Salvator, Paris 2018). Il souligne :

En rendant leur liberté aux plus démunis, c’est-à-dire en leur donnant les moyens de s’en sortir seuls, on leur rend leur dignité. Aucun autre système économique que le capitalisme n’y a réussi de façon aussi éclatante.

La réalité lui donne raison puisque la diminution de la pauvreté, tant désirée par l’Église, fut possible grâce au libéralisme économique mis en place de manière globale depuis les années 1980.

En effet, selon la Banque mondiale, le nombre d’êtres humains vivant dans l’extrême pauvreté serait passé de près de deux milliards en 1990, à 702 millions en 2015, soit de 37 % à 9,6 % de la population mondiale en seulement 25 ans dans une situation d’augmentation démographique exponentielle.

DES VALEURS EN COMMUN

Au-delà de la question économique, le libéralisme se caractérise aussi et surtout par d’autres principes fondateurs tels que :

  • l’individualité,
  • la liberté morale,
  • l’universalisme,
  • la tolérance,
  • la sécularisation,
  • les droits de l’Homme.

Concernant l’essor de l’individu en Occident, dans son ouvrage, Les Doctrines sociales des églises et groupes chrétiens (1911) Ernst Troeltsch montre que « l’homme est un individu-en-relation-à-Dieu ». Le christianisme est une religion de salut et celui-ci est chose individuelle. En effet, « le Fils de l’homme rendra à chacun selon ses œuvres », dit Saint Matthieu (XVI, 28).

Sous un autre angle, le nominalisme du franciscain Guillaume d’Occam a démontré également que les choses collectives ou générales n’ont d’existence que dans le langage. Seules les choses individuelles existent dans la réalité.

Et, plus récemment, Ludwig von Mises a raison d’affirmer :

Une collectivité n’a pas d’existence et de réalité, autres que les actions des individus membres. La vie d’une collectivité est vécue dans les agissements des individus qui constituent son corps. Il n’existe pas de collectif social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu. La réalité d’une entité sociale consiste dans le fait qu’elle dirige et autorise des actions déterminées de la part d’individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles collectifs passe par l’analyse des actions des individus – L’action humaine

Le libre arbitre est à l’origine de toute la réflexion philosophique sur la liberté et la responsabilité individuelles. La patristique (Saint Augustin) et la scholastique (Saint Thomas) ont élaboré, sur la base de la philosophie grecque, le liberum arbitrium comme facultas voluntatis et rationis (faculté de la volonté et la raison). L’individu est tenu pour moralement responsable de ses actes ce qui serait impossible s’il n’était pas doué de liberté.

Aussi bien le catholicisme que le libéralisme constituent des philosophies universalistes. L’apôtre Paul écrit aux Galates :

Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ.

L’adjectif catholique (du grec Katholikos) signifie justement universel. Ayant rompu avec tout ancrage ethnique, le christianisme est, à ne pas en douter, la religion la plus mondialisée.

L’esprit de tolérance me semble également une valeur commune du libéralisme et du catholicisme. Le récit de la femme adultère de l’apôtre Jean met en lumière la primauté du pardon sur le jugement : « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre ». Le cercle proche de Jésus était constitué d’hommes hétéroclites et d’une ancienne prostituée qui avaient en commun l’amitié et la confiance en Christ (Jean XV). Plus récemment, le Concile Vatican II a invité les catholiques à respecter les croyances de ceux qui ne sont pas en communion avec l’Église.

D’une manière générale, le pape François invite à la tolérance lorsqu’il affirme :

Nous devons faire passer la miséricorde avant le jugement et, de toute façon, le jugement de Dieu sera toujours fait à la lumière de sa miséricorde.

Si l’histoire de l’Église contredit trop souvent le principe de séparation du pouvoir religieux et politique, il est toutefois certain que le principe demeure. En effet, lorsque Jésus est interpellé sur la nécessité ou non de payer l’impôt à César, il répond : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Voilà la première formule de séparation des Églises et de l’État. La distinction semble étonnement claire aussi lorsque Jésus refuse toutes les tentations du pouvoir et en particulier celle de Satan l’invitant à s’emparer de tous les royaumes de la Terre3.

Enfin, si tout au long du XIXe siècle l’Église était le premier opposant de la philosophie des droits de l’Homme prônant plutôt les droits de Dieu vis-à-vis de l’individu n’ayant que des devoirs, depuis 1963 avec l’encyclique Pacem in terris et avec la Déclaration sur la liberté religieuse de 1965, le catholicisme ouvre la porte sans ambiguïté aux droits de l’Homme, se rapprochant ainsi de la démocratie libérale.

CONCLUSION

Si c’est au sein des sociétés d’origine chrétienne que le libéralisme a pu trouver le terrain le plus fécond pour son essor, c’est également au sein des démocraties libérales, là où l’État est neutre à l’égard du religieux, que le catholicisme a été, et demeure, le mieux protégé4.

Les rapports conflictuels entre libéralisme et catholicisme ont fini par produire une sorte de domestication réciproque. L’un a obligé l’autre à humaniser l’économie, c’est-à-dire ne pas s’accommoder des inégalités et l’autre à faire comprendre la différence entre les valeurs et la loi. Les premières doivent demeurer dans le for intérieur car c’est quelque chose qui ne peut pas être commandé mais laissé à la libre initiative de chacun.

Au catholicisme conservateur qui fait de la religion un pur instrument identitaire subordonnée à une rationalité politique5, il faudrait rappeler que l’ennemi n’est pas le libéralisme ou la modernité mais cette nouvelle forme de repli sur soi, de nationalisme de l’exclusion fondé sur un christianisme sans Christ.

Les libéraux anticléricaux devraient quant à eux réfléchir à cette analyse de Tocqueville :

C’est par une espèce d’aberration de l’intelligence, et à l’aide d’une sorte de violence morale exercée sur leur propre nature, que les hommes s’éloignent des croyances religieuses ; une pente invincible les y ramène. L’incrédulité est un accident ; la foi seule est l’état permanent de l’humanité […] La religion qui, chez les Américains, ne se mêle jamais directement au gouvernement de la société, doit donc être considérée comme la première de leurs institutions politiques ; car, si elle ne leur donne pas le goût de la liberté, elle leur en facilite singulièrement l’usage –  De la démocratie en Amérique, tome I, deuxième partie, ch. 9

C’est cet équilibre fragile entre « catholicisme de la conscience » et « libéralisme de la Cité » qui me semble demeurer encore le meilleur compromis pour la vie en société.

  1. « Ainsi, cette conversion de la propriété privée en propriété collective, préconisée par le socialisme, n’aurait d’autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant, par le fait même, tout espoir et toute possibilité d’agrandir leur patrimoine et d’améliorer leur situation. » : Rerum novarum (1891). ↩
  2. Dès 1793 se met en place en France une politique de déchristianisation se traduisant notamment par la fermeture des églises, l’instauration d’un culte de la Raison, la suppression du calendrier grégorien et l’exécution de deux à trois mille prêtres réfractaires. ↩
  3. Mt IV, 1-11 ; Mc I, 12-13 ; Lc IV, 1-13. ↩
  4. L’Index Mondial de Persécution des Chrétiens montre que celle-ci s’effectue en premier lieu en Corée du Nord et dans les théocraties islamiques. ↩
  5. En 1926 le Pape condamna l’Action française de Charles Maurras, jugeant que l’instrumentalisation de la foi à des fins politiques devenait intolérable et compromettait l’universalisme du catholicisme. ↩

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