André Dorais
Pour les économistes de l’École autrichienne, les crises économiques sont principalement dues au monopole d’État sur la monnaie. Celui-ci impose une monnaie qu’il produit à volonté par l’entremise des pouvoirs qui lui sont accordés : établir la base monétaire, le taux directeur, le taux de réserves, etc.
Tant et aussi longtemps que les réformes monétaires ne remettront pas en cause ce monopole, on doit s’attendre à d’autres crises économiques. C’est la raison pour laquelle lesdits économistes en veulent l’abolition. Pour eux, il n’y a pas lieu de faire de la production de monnaie une chasse gardée de l’État puisqu’elle répond aux mêmes lois économiques que les autres biens et services. En d’autres mots, ils préconisent la liberté de choix dans ce domaine comme dans les autres. Si les gens sont libres de choisir leur monnaie, disent-ils, il y a fort à parier qu’ils choisiront une monnaie d’espèces.
Ce pronostic se fonde sur des siècles, voire des millénaires d’observation. En effet, les pièces métalliques ont de tout temps été utilisées comme monnaie et parmi celles-ci, les plus populaires furent l’or et l’argent métallique. Cela ne signifie pas que la production de monnaie métallique était libre des interventions gouvernementales, mais plutôt que les interventions sur cette monnaie étaient plus difficiles à dissimuler que celles effectuées aujourd’hui sur les monnaies de papier et scripturales. La monnaie scripturale est celle qui se trouve dans les comptes chèque et les comptes d’épargne comme simple écriture comptable. Elle constitue environ 85% de la masse monétaire, tandis que les pièces et les billets constituent le reste. (Voir les pages 6 à 8 du texte «Austrian Money Supply : Global Metrics»)
Devant l’importance de cette monnaie, on ne sera guère surpris d’apprendre que c’est surtout par son entremise que l’inflation monétaire des deux derniers siècles s’est propagée. Il est effectivement beaucoup plus facile de frauder les gens, notamment les épargnants, par l’entremise d’une monnaie scripturale qu’une monnaie de papier. À son tour, une monnaie de papier est plus facile à multiplier qu’une monnaie d’espèces. Ce qui est plus surprenant, du moins pour plusieurs individus, est de réaliser que les banquiers n’en sont pas les seuls coupables.
Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale (Fed), donc davantage fonctionnaire que banquier, vient d’annoncer qu’il injectera, au cours des 8 prochains mois, 600 milliards de dollars dans l’économie américaine dans le but de la relancer. Il laisse même entendre qu’il pourrait en ajouter au besoin. Il défend sa décision en disant que l’inflation des prix est sous contrôle, la reprise économique, faible et le chômage, élevé.
La Fed compte injecter ce nouvel argent via l’achat de bons du trésor, soit des titres obligataires. Elle achète ces obligations des banques et elle les paie non pas à l’aide de nouveaux billets, mais en créditant son bilan, soit par simple écriture comptable. Pour la Fed, le nouvel argent émis constitue une dette et les obligations obtenues en contrepartie, un actif. Les banques membres du cartel reçoivent ce nouvel argent également sous forme d’écriture comptable; il est inscrit à titre de réserve.
Lorsqu’on parle plutôt de «taux de réserves», on réfère au pourcentage minimum que les banques doivent maintenir à ce titre dans leurs comptes. Autrement dit, elles sont encouragées par la banque centrale à prêter plus d’argent qu’elles détiennent à titre de réserve. Cela est possible uniquement à cause du type de monnaie utilisée. Puisque la vaste majorité de cette monnaie voit le jour par simple écriture comptable, gonfler la masse monétaire constitue un jeu d’enfant.
On qualifie généralement l’argent créé par la banque centrale de «monnaie de base» ou de «base monétaire», tandis que celui créé par les banques commerciales est qualifié de «monnaie de crédit». Il y a donc deux sources d’inflation de la monnaie, mais celle-ci est essentiellement scripturale (virtuelle ou électronique). On note également que la première sert à accroître la seconde, mais que celle-ci peut être multipliée de façon plus substantielle que celle-là dans un anonymat relativement plus grand.
Bien que l’on qualifie d’inflation monétaire toute augmentation de la masse monétaire, l’augmentation de la monnaie de base a cette particularité que ses effets sur les prix se produisent plus lentement que les mêmes effets suivant une augmentation de monnaie de crédit. Il en est ainsi, car tant et aussi longtemps que la monnaie de base est maintenue à titre de réserve, c’est-à-dire qu’elle n’est pas utilisée pour accroître la quantité de monnaie de crédit, elle n’a pratiquement aucun effet sur les marchés, si ce n’est d’enrichir les banques membres du cartel. C’est uniquement lorsque les banques se servent de ces réserves pour multiplier la monnaie de crédit que les effets sur les prix se font sentir.
Si ce nouvel argent est dirigé dans les marchés boursiers, alors ceux-ci augmenteront. Toutefois, cette hausse ne saurait durer longtemps puisqu’elle ne s’appuie pas sur une hausse réelle de richesse. À l’instar de tous les biens, la monnaie est sujette à la loi de l’offre et de la demande. Lorsqu’elle est émise en grande quantité son pouvoir d’achat est réduit, c’est-à-dire que chaque unité produite vaut moins en terme de biens et de services. De plus, cette augmentation n’affecte pas tout le monde également. Les individus qui reçoivent en premier ce nouvel argent en tirent profit puisqu’ils se procurent biens et services à des prix qui n’ont pas encore été augmentés. Avec le temps et de manière générale, cependant, ces prix augmentent peu à peu pour compenser la perte du pouvoir d’achat engendrée par l’ajout de monnaie dans l’économie.
Pour se prémunir contre cette perte, on ne peut pas demander aux gens de toujours garder un œil vigilant sur la production monétaire, car ils ont autre chose à faire. À l’opposé, démontrer une indifférence face à cette perte encourage les autorités à la maintenir, c’est-à-dire poursuivre leur dévaluation de la monnaie. Les gens devraient aussi se méfier des économistes populaires, car trop souvent leur science est dominée par leur idéologie.
Considérant que le principal problème de l’actuel système monétaire soit sa trop grande liberté à produire de la monnaie, une monnaie d’espèces s’avère appropriée pour le résoudre. Puisque l’or et l’argent de métal ne peuvent être produits aussi facilement qu’une monnaie scripturale ou de papier, cela fait de ces métaux des ressources idéales pour le rôle de monnaie. En d’autres mots, puisque l’utilité de ces ressources à titre de monnaie dépend elle-même de la profitabilité de leur exploitation, les probabilités de les produire en surnombre sont réduites. Il s’ensuit que les crises ou cycles économiques sont réduits d’autant.
Pour faciliter l’usage de cette monnaie, on préconise des substituts sous forme de billets à l’exemple de ceux utilisés à l’heure actuelle. Ces billets n’auraient pas de valeur en soi, mais uniquement à titre de substitut de la monnaie d’espèces. Considérant que les billets soient plus faciles à reproduire que la monnaie d’espèces, on doit s’assurer d’en contrôler la quantité. Toutefois, on ne peut pas se préoccuper uniquement d’eux puisqu’ils ne constituent qu’une partie de plus en plus petite de la masse monétaire. Il s’ensuit qu’un contrôle plus grand doit être exercé sur la monnaie scripturale. En d’autres mots, dans la mesure où l’on peut garantir que la valeur de tous les substituts ne dépasse jamais celle de la monnaie d’espèces, les crises économiques seront considérées comme de l’histoire ancienne. Pour aller dans cette voie, il ne manque que la volonté politique.
Considérant que l’inflation monétaire profite surtout aux banques et au gouvernement central, on peut être certain qu’ils ne soient pas chauds à l’idée d’abolir le monopole dont ils tirent avantage. Malheureusement, ces avantages n’ont qu’une durée de vie limitée, de sorte que leur avidité, désir du pouvoir et ignorance risquent de conduire tout le monde à la catastrophe. Ne reste plus qu’à répéter les arguments censés être connus dans l’espoir qu’un jour, avant que celle-ci ne survienne, la raison l’emporte sur la quête de pouvoir.
L’inflation monétaire stimule l’économie à court terme seulement. Pis encore, elle la stimule au détriment d’une expansion durable et sur le dos de la majorité qui n’a pas un accès rapide au nouvel argent. Elle incite les gens à investir et à dépenser, mais ces investissements risquent de mal tournés, car ils s’appuient uniquement sur une quantité accrue de monnaie plutôt qu’une augmentation de biens et de services.
Non seulement l’inflation monétaire n’a aucun effet durable, mais elle constitue la source des cycles économiques dont les autorités monétaires essaient pourtant d’éviter. Sans cette inflation, les individus se seraient abstenus de dépenser et d’investir pour mieux le faire plus tard. Malheureusement, les autorités court-circuitent ce processus dans le but illusoire de l’accélérer. Elles oublient que la production de richesse exige du temps et des ressources réelles, pas seulement de la monnaie scripturale.
L’inflation monétaire ne constitue qu’une illusion de richesse. On l’encourage ou bien par incompréhension de la science économique, ou bien par complicité de fraude. Le fait qu’elle soit répandue depuis si longtemps laisse la plupart des gens incrédules. «Ce ne peut pas être vrai puisque des professeurs d’économie ayant des PhD disent le contraire; même des lauréats Nobel disent le contraire!» «Ce ne peut pas être vrai, car il y a trop longtemps que cela fonctionne ainsi», etc. On vend ces arguments 5 cennes la douzaine.
Si les politiciens ont vraiment à cœur l’intérêt public, alors ils doivent cesser de taper sur les banques pour bien paraître en comparaison. Il ne s’agit pas de disculper les banques, mais de reconnaître que les gouvernements marchent main dans la main avec elles. Leurs intérêts ne correspondent pas à ceux de la population en général. Celle-ci profite de la concurrence dans tous les domaines, y compris celui de la monnaie. Il n’y a donc pas d’autre alternative que d’abolir ce monopole, voire tous les monopoles, qui, lorsque bien compris, ne peuvent être autre que des monopoles d’État.
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