André Dorais
Lors du Conseil général du Parti libéral du Québec tenu les 25, 26 et 27 septembre derniers, le Chef du parti et Premier ministre, Jean Charest, suggérait aux militants de se laisser guider par les valeurs libérales. Il ne faisait pas allusion aux valeurs libérales philosophiques et originelles, mais plutôt aux priorités de son parti, soit la santé, l’éducation et les familles. Il s’agit d’une distinction importante, car si l’on n’a rien à redire des priorités des uns et des autres, on ne peut pas accepter que celles mises de l’avant par le Parti libéral soient qualifiées de valeurs libérales.
La doctrine libérale ne s’oppose pas à la santé, l’éducation et les familles, elle est plutôt contre l’idée d’imposer à autrui des priorités quelconques. Chaque individu a ses priorités et lorsqu’on lui impose des charges pour subvenir aux priorités des autres, alors il doit consacrer plus de ressources à satisfaire les siennes, si encore il le peut. Le libéralisme ne cherche pas à combler les besoins individuels, il offre plutôt un cadre éthique et juridique qui permet à chacun de les satisfaire. Dès lors qu’un gouvernement impose ses priorités sous le prétexte qu’elles correspondent à celles de la majorité, il sort du cadre libéral.
Le Parti libéral du Québec, comme d’ailleurs la plupart des partis dits libéraux dans les démocraties, s’éloignent de plus en plus du libéralisme originel, ou pour dire les choses autrement, ils se rapprochent de plus en plus du socialisme. La cause en est la même partout : la démocratie tend à accroître les pouvoirs de l’État au détriment de ceux des individus.
On associe communément la démocratie au libéralisme pour quelques raisons dont les suivantes : ces doctrines offrent plus de pouvoir à l’individu relativement aux régimes politiques qui les précèdent et, à l’exclusion de la démocratie athénienne, elles voient le jour pratiquement en même temps à l’Époque moderne. On doit rappeler, cependant, que la démocratie est un régime politique, alors que le libéralisme cherche à établir des normes universelles valides pour chaque individu. Le libéralisme a une vision plus large de la coopération humaine que la démocratie, par conséquent il peut se retrouver à l’intérieur de d’autres régimes politiques. On peut le considérer comme une éthique qui cherche à guider tous les régimes politiques.
Les valeurs libérales sont celles qui appartiennent à chaque individu, soit les libertés individuelles. Celles qu’on entend le plus souvent parler sont les libertés de se réunir, de s’associer et de s’exprimer : exprimer son opinion, sa pensée, ses croyances, etc. Il s’agit de libertés d’action. Exprimer sa pensée n’implique pas qu’on ait à se déplacer, mais cela ne demeure pas moins une action de l’esprit qui cherche à se faire entendre.
Pour que ces actions soient qualifiées de libertés encore faut-il en être conscient, d’où qu’il n’y a pas de libertés sans d’abord la capacité (pouvoir ou liberté) de penser. Les libertés sont souvent regroupées en catégories plus ou moins bien définies telles que les libertés civiles, politiques et économiques.
L’expression «libertés civiles» est peu utilisée, on y préfère l’expression «droits civils». Or, ces droits ne sont rien d’autres que les libertés individuelles. Lorsqu’on parle de droits civils on fait référence à un état de droit, par conséquent à une reconnaissance et à un contrôle de l’État de ces droits. Ce ne signifie pas que l’État donne naissance aux libertés, mais plutôt qu’il cherche à les contrôler. Les libertés sont antérieures aux droits et en ce sens elles n’ont nul besoin de l’État pour exister. Il ne s’agit pas de nier le besoin de contrôle, mais de préciser que celui-ci ne passe pas nécessairement par l’État.
Lorsqu’on évoque la liberté politique on renvoie également à un ensemble de libertés, mais à l’instar de l’expression «droits civils» on s’en tient aux libertés sanctionnées par l’État. Cependant, si les droits civils ont toujours été associés aux libertés individuelles, on ne peut en dire autant de l’expression «liberté politique». En effet, bien qu’on puisse entendre aujourd’hui cette expression comme étant une façon de parler des libertés individuelles, de manière historique elle renvoie plutôt au pouvoir politique de les sanctionner ou non. Autrement dit, elle renvoie autant, sinon davantage, à un pouvoir du politique sur les individus et, en ce sens, elle est contraire à l’esprit du libéralisme qui est de fortifier l’individu face au politique.
En somme, que l’on parle des libertés civiles, droits civils, libertés individuelles, fondamentales, voire politiques, droits de l’homme, droits naturels, individuels, fondamentaux, liberté politique ou individuelle, on parle essentiellement de la même chose. Qu’en est-il de la liberté économique?
La liberté économique, comme toutes les autres libertés, est une liberté individuelle et à son instar elle renvoie à un ensemble de libertés. Celles-ci se caractérisent par ce que l’individu peut faire de sa propriété, à savoir l’échanger, la consommer, en produire quelque chose d’autre en la transformant, etc. On la trouve peu dans les différentes chartes et lorsqu’on la rencontre, c’est souvent enseveli sous une panoplie d’autres droits qui lui enlèvent tout pouvoir. La liberté économique est le maillon faible de la démocratie. Elle est aussi bafouée dans les démocraties que les autres libertés le sont ailleurs dans le monde.
Il s’agit certainement de la liberté la plus détestée et de la plus mal comprise. Elle horripile les hommes de l’État, mais elle est aussi, sans contredit, la plus importante à l’épanouissement de l’homme. Ne peut être considéré libéral celui qui la rejette. Malheureusement, de très bonnes gens la rejettent et d’autres la bafouent quotidiennement. Ils la considèrent soit insuffisamment juste, soit carrément injuste. Ceux qui la considèrent insuffisamment juste cherchent à l’amender, mais ce faisant ils finissent par la détruire. Ceux qui la rejettent devraient, en principe, se réjouir de ce résultat, mais c’est parce qu’ils n’ont pas idée de la déchéance qui les attendent suivant cette hypothèse.
La morale démocrate
L’éthique libérale repose sur le respect de l’individu et de sa propriété, tandis que la morale démocrate vise une plus grande égalité économique. Pour établir cette égalité, ou plutôt pour réduire cette inégalité, elle n’a d’autre choix que d’utiliser la contrainte. Les tenants de cette morale ne se préoccupent pas de savoir si l’argent (ou la propriété) que l’on soutire des gens a été accumulé de manière légitime ou non puisque leur idée de la justice (ou de la morale) domine tout le reste. Ils ont une conception à la fois utilitariste et collectiviste de la justice, c’est-à-dire qu’ils considèrent que tout le monde adhère à leur analyse des coûts et des bénéfices. Selon eux, étant donné que les soins de santé sont importants, tout le monde doit payer, particulièrement les riches; puisque l’éducation est importante, tout le monde doit payer, particulièrement les riches, etc.
L’utilitarisme n’est pas une si mauvaise philosophie, en autant qu’on ne cherche pas à l’imposer à autrui. Malheureusement, les politiciens l’utilisent au niveau collectif, ce qui fait d’elle une tyrannie. Les priorités de chacun ne sont pas de l’ordre comptable; les coûts et les bénéfices des uns ne sont pas les coûts et les bénéfices des autres. La démocratie, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, est essentiellement utilitariste et collectiviste. Dépourvue d’une liberté économique forte, la démocratie n’a qu’une direction, soit la socialisation de l’économie et de la pauvreté qui s’ensuit.
Pour camoufler la force coercitive qui est à la base de la morale démocrate, les hommes de l’État n’ont de cesse d’utiliser des expressions à connotation morale telles que la solidarité, la compassion, la justice sociale, etc. Ils cherchent à tromper les gens, ce que le libéralisme proscrit. De leurs bouches, ces expressions n’ont qu’une seule signification et qu’un seul but : il est juste et moral de soutirer «un peu» la propriété d’autrui dans la mesure où ceux à qui on la redistribue en tirent des bénéfices plus élevés que les coûts engendrés. En d’autres mots, les politiciens imposent leur idée de la morale. Or, une morale imposée n’est pas de la morale, mais de la dictature. Le vrai libéral est contre l’utilisation de la force coercitive, sauf en cas de légitime défense.
Le vrai libéral ne devrait avoir qu’un seul but : la réduction de l’État. Tous les services que l’État s’arroge seraient mieux rendus par des moyens volontaires. Seuls ces moyens peuvent être qualifiés de libéraux. Ils sont non seulement plus justes pour tout le monde, mais ils sont aussi plus efficaces à créer de la richesse pour tout le monde.
Devant ce constat, le Parti libéral devrait songer à changer de nom pour le rendre plus conforme à ce qu’il véhicule vraiment. Puisqu’il croit que ses priorités sont celles de la majorité et qu’il parle constamment de compassion et de justice sociale pour justifier l’imposition et la taxation d’autrui, le terme libéral ne convient pas. Le Parti démocrate, social-démocrate ou socialiste mou conviendrait davantage. Et pourquoi pas le Parti de l’amour et de la compassion? Après tout, il n’a que ces mots à la bouche! Le Parti québécois a de la concurrence…
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