Par Krystle Wittevrongel et Maria Lily Shaw.
Note économique présentant des moyens efficaces pour améliorer l’accès aux soins de santé pour la population québécoise
La pandémie a brutalement mis en lumière les défaillances du système de santé québécois; les reports d’interventions chirurgicales font d’ailleurs de nouveau les manchettes. La pénurie de médecins et l’absence de concurrence entre le privé et le public nuit à l’accessibilité des soins. Cette publication propose plusieurs façons d’améliorer l’accès aux soins de santé, notamment en faisant plus de place aux fournisseurs indépendants et en augmentant le nombre de médecins au Québec. Pour ce faire, il faudra cependant que le Collège des médecins et le gouvernement mette un terme à leur liaison intime nuisible pour les Québécois et Québécoises.
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Cette Note économique a été préparée par Krystle Wittevrongel, analyste en politiques publiques à l’IEDM, et Maria Lily Shaw, économiste à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.
Les deux dernières années ont mis à nu les carences de chacun des systèmes de santé provinciaux. La médiocrité de la performance des systèmes de santé pendant la crise sanitaire n’a malheureusement rien de surprenant quand on sait à quel point le Canada fait piètre figure sur la scène internationale en ce qui concerne les ressources de santé (malgré des dépenses invariablement élevées)(1). Pénuries, listes d’attente, inaccessibilité des services, lacunes structurelles, rien de cela n’est nouveau : nos systèmes de santé sont à bout de souffle depuis des décennies. La pandémie a seulement fait ressortir de façon encore plus aiguë la gravité d’une situation qu’on ne peut plus ignorer.
Afin d’éviter de retomber dans les vieilles habitudes, le Québec devrait inclure le secteur privé dans la prestation des services de santé. En fait, il devrait non seulement inclure, mais favoriser le développement de cliniques et d’hôpitaux indépendants en allégeant les barrières administratives actuellement en vigueur. Ces installations supplémentaires pourraient aider à raccourcir les listes d’attente pour les chirurgies et à atténuer la pression perpétuelle sur le système de santé géré par le gouvernement.
Un autre obstacle au développement d’un système d’établissements privés mais aussi au bon fonctionnement du système public est toutefois le manque de médecins dans la province. Cette publication vise donc à présenter des moyens efficaces pour augmenter le nombre de médecins au Québec afin d’assurer une dotation adéquate dans toutes les installations.
L’état des lieux
On mesure notamment la capacité d’un système de santé par le ratio médecins/population. Or, le Canada, à ce titre, se classe systématiquement sous la moyenne de l’OCDE(2). En effet, en 2019, cette moyenne (3,8 médecins par 1000 habitants) dépassait de 41 % le taux canadien (2,7 par 1000 habitants)(3). D’ailleurs, le Canada se situe régulièrement en queue de peloton à ce titre par rapport aux autres pays à haut revenu dotés d’un système de santé public et universel(4).
Aux élections de 2021, le parti au pouvoir à Ottawa a promis d’injecter 3,2 milliards de dollars dans le réseau pour augmenter les effectifs, y compris celui des médecins(5). Pourtant, à hauteur de 10,8 % du PIB en 2019, nos dépenses figurent déjà parmi les plus élevées des pays de l’OCDE à revenu élevé qui sont dotés d’un système de santé public(6) (voir la Figure 1). Ce constat rend la pénurie de médecins encore plus déconcertante et sape sérieusement l’idée selon laquelle il suffirait d’ouvrir davantage les coffres de l’État pour régler le problème durablement.
On compte au Canada cinq millions de personnes privées d’un médecin de famille(7). Il en résulte des délais graves pour l’accès aux soins, surtout au Québec. En 2021, 69 % des Québécois étaient préoccupés par cette question(8), à juste titre d’ailleurs : dans cette province, près d’une personne sur cinq n’a pas de médecin de famille(9) et le temps d’attente pour s’en faire assigner un se chiffre en moyenne à 599 jours(10).
C’est de peine et de misère que le Québec fournit des soins de santé primaires à ses citoyens, comme le montre le pourcentage de sa population qui n’a pas accès à un professionnel de la santé sur ce plan, pourcentage qui demeure le plus élevé de toutes les provinces depuis quelques années (voir la Figure 2).
En 2019 – avant la COVID –, le Québec consacrait plus de 47 milliards de dollars(11) à son système de santé, soit 10,2 % de son PIB(12) et autant que les Pays-Bas, lesquels sont dotés de 3,7 médecins par 1000 habitants alors que le Québec se contente de 2,5(13). On ne peut qu’en conclure à une inefficacité patente du système, surtout si on fait peser dans la balance les longues listes d’attente pour l’accès aux spécialistes et aux chirurgies(14).
Ce problème d’accessibilité est d’autant plus grave que les soins primaires jouent un rôle crucial dans la prévention et le traitement des maladies chroniques(15). En effet, des études menées dans les pays de l’OCDE indiquent que la qualité des soins primaires améliore la santé globale de la population telle que mesurée par le taux de mortalité(16), le taux d’hospitalisation en soins ambulatoires(17), l’utilisation inutile des salles d’urgence et des lits d’hôpital(18) ainsi que le poids à la naissance et l’espérance de vie(19), sans parler des coûts plus faibles(20). À la vitesse où progresse le vieillissement de la population au Québec(21), il serait irresponsable de ne rien faire face à la pénurie de médecins.
Les causes
Le manque de médecins au Québec s’explique par plusieurs facteurs législatifs, réglementaires et administratifs. Tout d’abord, il y a les quotas d’admission aux programmes universitaires de médecine. Le gouvernement a certes annoncé une augmentation du nombre d’étudiants pouvant être admis(22), mais en 2020-2021, les quatre facultés de médecine au Québec n’ont accueilli que 966 candidats pour en rejeter 9553 autres(23). Cela signifie qu’au mieux, on comptera 0,11 nouveau médecin par 1000 habitants lorsque cette cohorte aura terminé sa formation, en supposant que tous se rendent au bout de leurs études et exercent au Québec(24).
Il y a aussi le processus d’obtention du permis d’exercice, particulièrement complexe et plutôt dissuasif pour les finissants étrangers ou les médecins hors Québec. De fait, la proportion de médecins formés à l’étranger ne cesse de diminuer au Québec depuis 20 ans, s’établissant à 8,2 % à peine en 2021, ce qui est le taux le plus faible du pays, dont la moyenne se chiffre à 25,7 %(25) (voir la Figure 3).
Ce faible ratio est d’autant plus étonnant que le Québec a signé avec la France en 2008 une entente de reconnaissance des titres de compétence touchant plusieurs professions, dont celles d’infirmière et de médecin(26). Les complications administratives sont toutefois telles que des centaines de médecins français qualifiés se heurtent régulièrement à un refus(27). Par exemple, en 2016, seulement 44 % des médecins français ayant présenté une demande ont pu obtenir un permis d’exercice(28). Les médecins québécois qui souhaitent pratiquer en France ont besoin de moins de deux mois pour obtenir une autorisation et commencer à exercer. Pour les médecins français qui franchissent toutes les étapes au Québec, c’est souvent plus de deux ans(29).
Le tableau n’est pas plus reluisant pour les médecins arrivant d’une autre province. En fait, pour 14 des 20 dernières années, le Québec a vu partir plus de médecins qu’il n’en a vu arriver(30). Les études indiquent que la décision de changer de province, chez les médecins, peut être motivée par divers facteurs tels que les particularités personnelles, les conditions de pratique, la situation familiale, la rémunération et le milieu(31). Les complications administratives présidant à l’obtention de la reconnaissance du titre et du permis d’exercice jouent alors un rôle majeur(32).
Ainsi, non seulement le Québec n’est pas suffisamment attrayant pour les médecins formés à l’étranger, mais il ne l’est pas non plus pour les médecins des autres provinces, et ce, malgré une rémunération plus ou moins équivalente à la moyenne du pays en 2018-2019(33). On ne peut donc pas compter sur les apports extérieurs pour combler la taille insuffisante des cohortes formées dans la province.
Sans compter que les médecins, comme le reste de la population, ne rajeunissent pas. Au cours des 10 dernières années, 14,5 % en moyenne des médecins du Québec avaient passé l’âge habituel de la retraite de 65 ans(34). Une étude du Collège des médecins de famille du Canada a révélé que 32,3 % des médecins ayant entre 65 et 74 ans prévoyaient prendre leur retraite dans les deux ans, de même que 35,4 % des médecins de plus de 75 ans(35). Compte tenu de la répartition des âges dans la profession, le Québec peut ainsi prévoir perdre environ 1083 médecins d’ici 2024, soit l’équivalent de plus d’une cohorte universitaire entière étant donné les quotas d’admission présentement en vigueur(36).
Ajoutons que la relève se fait rare chez les médecins de famille : on enregistre une augmentation des postes de résidence vacants dans la province(37). Depuis 2013, on compte ainsi plus de 400 postes de résidence non pourvus au Québec(38).
Cela dit, combien de médecins nous faut-il? Même l’Association médicale canadienne ne le sait pas(39). Pour atteindre la moyenne de l’OCDE de 2019, soit 3,8 médecins par 1000 habitants, à partir de son chiffre actuel de 2,5, le Québec aurait besoin d’environ 10 135 nouveaux médecins dès aujourd’hui(40). Compte tenu de la taille des cohortes universitaires, du petit nombre de médecins formés à l’extérieur du Québec entrant sur le territoire, de la répartition des âges et des départs à la retraite planifiés, au rythme actuel, il faudrait au Québec 37 ans pour atteindre la moyenne de 2019 de l’OCDE(41) (voir la Figure 4).
Que faire? D’abord, mieux utiliser les ressources existantes
Le Québec se doit d’améliorer l’accès aux soins de santé pour sa population. En plus d’autoriser la pratique mixte et une croissance dans la participation du secteur privé dans la prestation de soins(42), un des moyens les plus simples pour y arriver consiste à mieux utiliser les ressources existantes. Pensons aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS) et aux pharmaciens, qui bénéficient d’une formation comparable à celle des médecins à certains égards et à qui on pourrait déléguer certaines tâches ou fonctions(43) afin de permettre aux médecins de se consacrer davantage aux cas complexes ou de suivre davantage de patients.
Certaines modifications législatives récentes au Québec ont accordé plus d’autonomie aux IPS, qui peuvent dorénavant poser certains diagnostics, prescrire des tests à cet effet, exécuter certaines opérations médicales (sutures, injections articulaires) et prescrire et administrer certains médicaments, entre autres(44), sans être obligées de travailler constamment de concert avec un médecin(45). Cette autonomie leur permet de prendre en charge plus complètement des patients qui autrement mobiliseraient le temps des médecins.
Cet élargissement de la compétence des IPS est la bienvenue, mais elle demeure limitée. Par exemple, les interventions en santé mentale sont réservées aux IPS spécialisées dans ce domaine, de telle sorte qu’une IPS ayant une autre spécialisation – comme les soins de santé primaires – ne peut s’occuper de manière autonome d’un patient présentant des symptômes de dépression ou d’anxiété. Or les besoins sont croissants dans ce domaine actuellement, et les services insuffisants.
Le recours accru aux IPS devient une solution incontournable quand on constate la progression fulgurante des effectifs de cette profession – une augmentation de 465 % au Québec au cours des 10 dernières années(46). Il est donc indispensable de faire pleinement appel à ces professionnels de la santé. Les médecins s’opposent toutefois depuis longtemps à l’accroissement de l’autonomie des infirmières praticiennes(47).
On peut aussi compter sur un imposant contingent de pharmaciens hautement compétents pour soulager les médecins de certaines tâches. À 1,1 par 1000, le ratio des pharmaciens par rapport à la population au Québec est supérieur à celui d’un bon nombre de pays à revenu élevé de l’OCDE ayant un système de santé financé par les contribuables(48). La loi 31, entrée en vigueur en 2020, autorise entre autres les pharmaciens à prescrire certains médicaments, à administrer des vaccins ainsi qu’à modifier ou renouveler des ordonnances(49). Il est évident que, comme pour les IPS, cet apport de professionnels hautement formés et compétents contribuera à accroître l’accès aux soins de première ligne.
Le médecin et le pharmacien ne se concentrent pas sur les mêmes dimensions du problème d’un patient, et la meilleure façon d’optimiser la répartition des ressources consistera à faire jouer l’expertise de chacun. Le pharmacien peut facilement régler les questions de médication, tandis que le médecin est là pour évaluer les conditions nécessitant un diagnostic clinique(50). Sachant que 10 % des visites aux urgences dans notre pays concernent des problèmes de médication, on pourrait alléger la charge des hôpitaux par une collaboration efficace entre les deux professions(51).
La communication est essentielle, autant du côté du patient que du côté du professionnel. D’une part, le patient doit savoir où et comment aller chercher les soins qui conviennent à sa situation, mais d’autre part, les professionnels doivent savoir collaborer et orienter les patients. De cette façon, non seulement on améliorera l’accès général au réseau en libérant du temps aux médecins pour qu’il se consacrent davantage aux cas complexes, mais on s’assurera aussi d’offrir à la population les meilleurs soins possibles.
Ensuite, augmenter l’effectif
Une recette infaillible pour augmenter le nombre de médecins consiste à mettre un terme aux quotas d’admission. Compte tenu qu’il faut de six à onze ans pour former un médecin(52) – sans compter plusieurs années d’études préparatoires –, il n’y a pas de temps à perdre.
Une autre option : attirer des ressources extérieures en abaissant les barrières à l’entrée. Il existe plusieurs raisons motivant les gens à déménager d’un pays ou d’une province à un autre, mais le prix à payer dans cette décision – notamment en termes de délais administratifs et de complications réglementaires et bureaucratiques pour pouvoir exercer sa profession – jouera un rôle important dans la décision. Ces considérations, qui alourdissent la décision d’émigrer, ne jouent pas en faveur du Québec. En simplifiant les modalités de reconnaissance du titre et des compétences, on pourrait faire beaucoup pour augmenter les effectifs médicaux dans la province.
On pourrait s’inspirer de certaines autres provinces, comme l’Alberta, qui a adopté à la fin de 2021 le projet de loi 49 visant à faciliter la circulation interprovinciale de main-d’œuvre. Il impose un délai maximum de 20 jours ouvrables pour la reconnaissance de la formation et des titres de compétences des médecins et chirurgiens formés dans une autre province, de même que pour d’autres professions réglementées(53). En normalisant et en simplifiant la filière administrative, il est possible d’accroître la mobilité et d’accueillir plus de travailleurs qualifiés. Le Québec pourrait suivre cet exemple, sans se limiter aux médecins formés au pays; il pourrait d’ailleurs commencer par mieux tirer parti de son entente avec la France et simplifier l’étude des dossiers français comme la France l’a fait pour le Québec.
Conclusion
Il est indispensable d’élargir le rôle des fournisseurs de soins privés au Québec pour enfin améliorer l’accès des Québécois aux soins. Pour résumer ce qui précède, afin de mettre fin à la pénurie de médecins et d’assurer un personnel adéquat dans toutes les installations, il y a aussi lieu pour le gouvernement :
- d’optimiser la contribution des professionnels de la santé sur le terrain, tels les IPS et les pharmaciens, afin que les médecins aient davantage de temps à consacrer aux autres patients et aux cas complexes;
- d’éliminer les quotas d’admissions des facultés de médecine, afin d’augmenter le nombre de médecins et de régler le problème des délais dans le pourvoi des postes de résidence;
- de faciliter l’intégration de médecins formés à l’étranger ou en provenance d’autres provinces en réduisant les obstacles réglementaires.
Ces recommandations sont concrètes. Elles ont même été éprouvées au Canada dans une certaine mesure. En effet, dans les années 1990, on observait une baisse des effectifs médicaux au pays(54). À partir de 2003, on a instauré des mesures(55) telles qu’une augmentation considérable des admissions aux programmes de médecine (48 %) et l’ouverture des frontières à un plus grand nombre de médecins étrangers(56), à telle enseigne que le nombre de médecins par 1000 habitants était passé de 2,0 à 2,5 en 2013, une augmentation de 25 %(57).
L’accessibilité est un des cinq piliers de la Loi canadienne sur la santé(58). Pour remplir cette condition, le gouvernement du Québec devrait s’atteler à la tâche de chercher les meilleurs moyens d’augmenter le nombre de médecins dans la province. Compte tenu que 91 % de la population juge nécessaire d’améliorer la capacité du système de santé, cela devrait être une de ses priorités absolues(59).
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