Simple opération « quart d’heure de célébrité » (seize minutes en l’occurrence) ou pavé bienvenu lancé dans le discours quasi religieux que toute entreprise se doit de tenir dorénavant sur la profondeur de ses engagements sociaux et environnementaux ?
Invité à s’exprimer lors de la conférence Moral Money organisée par le Financial Times (FT) la semaine dernière, le patron mondial des investissements responsables de la banque britannique HSBC Stuart Kirk a créé la surprise et soulevé beaucoup d’indignation en axant son discours sur le thème « Pourquoi les investisseurs ne doivent pas s’inquiéter du risque climatique »
Le discours décalé de Stuart Kirk
Qui aurait pu imaginer pareille intervention ? Le programme de la conférence était on ne peut plus clair : comment passer des vœux pieux aux actions concrètes en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises qui financent l’économie. La liste des intervenants promettait en outre la plus parfaite unité de vue sur le sujet : des responsables RSE et des Heads of Sustainability à la pelle, jusqu’à Emmanuel Faber, PDG déchu de Danone pour cause de RSE exacerbée au point de devoir licencier massivement, qui poursuit sa carrière à la tête de l’International Sustainability Standards Board.
Stuart Kirk faisant lui-même partie de ces hauts dirigeants d’entreprise dont le rôle consiste à orienter les fonds des investisseurs vers les activités économiques les plus compatibles avec l’objectif de limiter la hausse de la température globale depuis l’ère pré-industrielle à 1,5° C – autrement dit vers tout ce qui rime avec énergies renouvelables et surtout pas vers ce qui rime avec énergies fossiles, avec une exception notable pour le nucléaire, décarboné mais mal-aimé des écologistes – bref, en tant que chef de la responsabilité environnementale de sa banque, son intervention complètement décalée par rapport au discours ambiant ne laisse pas de surprendre.
Mais peut-être s’est-il rappelé que lorsqu’il étudiait l’économie à Cambridge, il fut aussi président de la célèbre Cambridge Union Society, une association dédiée au débat et à la défense de la liberté d’expression qui a vu défiler les plus prestigieux et les plus redoutables débatteurs sur tous les sujets depuis sa création en 1815. Et peut-être a-t-il voulu apporter à la conférence du FT (où il travailla plusieurs années comme rédacteur en chef de la section finance et économie) la pointe de débat, la pointe d’opinion différente qui risquait fortement de lui manquer. Non sans une belle dose d’ironie et l’affirmation d’un désaccord total avec les précédents intervenants – avec « Sharon de Deloitte », notamment.
Au départ de son argumentation, cette rengaine lancinante portée par une communauté d’ONG environnementales, d’organisations internationales, de politiciens et de banquiers centraux sur le fait que nous sommes condamnés, sur le fait que la planète est condamnée. Sharon de Deloitte elle-même a averti qu’au rythme actuel, nous n’allions pas survivre. Et pourtant, souligne malicieusement Kirk, face à cette terrible perspective, personne dans le public n’a levé un instant les yeux de son téléphone portable. Tout se passe comme s’il fallait aller toujours plus loin dans le catastrophisme pour attirer un peu d’attention.
Et d’intituler sa première diapositive :
Les avertissements apocalyptiques non fondés, stridents, partisans et intéressés sont TOUJOURS faux.
Stuart Kirk reconnait volontiers qu’en 25 ans de carrière dans le monde de la finance, il a vu et entendu des prophètes de malheur de tout poil et nombre de cinglés toujours prêts à annoncer la fin du monde. Mais dans le cas présent, il n’arrive plus à voir le rapport entre les régulations qui s’amoncellent, le volume de travail qu’elles impliquent, le nombre de personnes qui se penchent sur la question dans les entreprises et le risque climatique effectif. Tout ceci, alors que d’autres risques beaucoup plus matérialisés et beaucoup plus pressants requerraient toute notre attention :
Je travaille dans une banque qui est attaquée par les cryptos, nous avons des régulateurs aux États-Unis qui essaient de nous arrêter, nous avons le problème de la Chine, nous avons une crise du logement qui se profile, nous avons des taux d’intérêt qui augmentent, nous avons de l’inflation qui arrive par les tuyaux, et on me dit de passer mon temps à examiner quelque chose qui va se produire dans vingt ou trente ans. C’est complètement disproportionné.
De cette diatribe, retenons surtout l’inflation et la hausse des taux d’intérêt dont les effets destructeurs dépassent le seul cas d’HSBC. Retenons le frein sur la croissance, retenons la question du pouvoir d’achat entamé par l’inflation, retenons la hausse effrénée des dépenses publiques et des dettes publiques qui a favorisé cette inflation avec la bénédiction des banques centrales. Ne dirait-on pas que notre maison brûle et qu’on nous demande de regarder ailleurs ?
Quand Jacques Chirac a prononcé une phrase similaire en 2002 au Sommet de la Terre de Johannesburg, à savoir « notre maison brûle et nous regardons ailleurs », il voulait signifier que la planète était en cours de destruction du fait du réchauffement climatique mais que personne n’y prêtait suffisamment d’attention. Vingt ans après, alors que l’inflation devient menaçante, que certaines dépendances énergétiques se font jour et que la guerre de Poutine en Ukraine se poursuit sans qu’on puisse dire comment cela se finira, « regarder ailleurs » ne consisterait-il pas à placer le changement climatique aux sommets des priorités – avec toutes les dépenses publiques que cela implique – et à négliger complètement ce qui affecte effectivement et dangereusement la vie des gens d’aujourd’hui ?
Prévoir l’avenir : mission impossible ?
Stuart Kirk poursuit son exposé en soulignant combien les politiques environnementales accordent trop d’importance aux mesures d’atténuation du changement climatique et pas assez aux projets d’adaptation. Pour lui, les hommes sont spectaculairement doués pour gérer le changement – point de vue que je partage totalement. Qui, en 1920, aurait pu dire à quoi ressemblerait le monde en 2020 ? Personne. Or en 2000, en 2020, etc., on veut nous imposer le monde de 2100. Pur autoritarisme, pure hubris planificatrice, pure dystopie.
Exemple typique : qui aurait pu prévoir en 2003, quand l’entreprise de véhicules électriques Tesla a été créée, qu’elle deviendrait un constructeur automobile de 1000 milliards de dollars de capitalisation boursière en 2021 ? À nouveau personne. Et pourtant, elle existe, comme existe une multitude d’autres entreprises qui contribuent par leurs innovations à nourrir la planète et à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, tout en produisant de façon plus efficace et moins polluante.
Inutile de dire que ce petit discours décoiffant a été accueilli plus que fraîchement. Les ONG du climat ont immédiatement poussé les hauts cris, fustigeant non seulement l’orateur, promptement qualifié de climatosceptique pour masquer le fait que sa critique porte sur l’alarmisme climatique et sur le refus de l’innovation pour s’adapter, mais également la banque HSBC dans son ensemble, accusée de financer les pires activités anti-climat de la planète.
Quelques jours après la conférence, le PDG de HSBC a exprimé son désaccord le plus profond avec les propos tenus sous le logo de la banque, ajoutant :
Notre ambition est d’être la banque leader dans le soutien à l’économie mondiale dans la transition vers la neutralité carbone.
Quant à Stuart Kirk, il a été suspendu de ses fonctions par sa hiérarchie, le temps que soit menée une enquête relative au contenu de son intervention. Selon le Financial Times, le thème et la teneur de la présentation avaient pourtant été validés en interne. C’est dire combien les entreprises sont devenues les otages du name and shame hystérique agité à tout bout de champ par les tenants de l’écologie radicale et à quel point plus personne ne veut se poser de question sur un sujet qui formate l’avenir. Ça promet.
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