Par Miguel Ouellette.
Cette Note économique a été préparée par Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM, en collaboration avec Georgia Assy Hillel, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.
Le mardi 22 mars, le gouvernement du Québec déposait son budget 2022-2023. La publication suivante fait état de l’importante croissance des dépenses de portefeuilles survenue ces dernières décennies en tenant compte des derniers chiffres et présente différents scénarios qui en illustrent l’ampleur. Constatant une augmentation des dépenses de portefeuilles de près de 5,4 % par année en moyenne entre 2000 et 2021, soit une progression supérieure de 0,7 point de pourcentage par rapport aux revenus de l’État, nous concluons que la tendance n’est pas soutenable dans le long terme. Une brève analyse du fardeau de la dette pour la population québécoise conclut le tout.
Dépenses de portefeuilles : il est temps de mettre un frein
Depuis 2000, les dépenses annuelles de portefeuilles de l’État québécois ont augmenté de près de 61 milliards en dollars constants de 2021, augmentation qui s’est accentuée entre 2009 et 2021, période où elle se chiffre à près de 43 milliards. Chaque année, nous dépensons en moyenne 5,4 % de plus que l’année précédente. C’est un rythme insoutenable, d’autant plus que la progression des revenus, elle, plafonne à 4,68 % annuellement en moyenne(1). Ainsi, chaque année voit un nouveau pic des dépenses alors que les revenus ne suivent pas : combien de temps le Québec pourra-t-il tenir?
L’ampleur du problème est particulièrement frappante lorsqu’on compare la situation actuelle avec des scénarios alternatifs de dépenses. Ainsi, notre analyse porte sur différents scénarios mesurant la progression des dépenses de portefeuilles, si Québec avait suivi : 1) l’inflation, 2) l’inflation et la croissance démographique, ou 3) l’inflation plus 2 % et la croissance démographique. Selon les comptes publics de 2020-2021, le Québec dépense près du double du scénario considérant l’inflation et la croissance démographique (voir la Figure 1). Il s’agit d’une somme d’environ 18,4 milliards par année en moyenne de différence, soit 404,3 milliards en 22 ans, qui aurait pu servir à réduire les impôts et à éponger la dette. Même en ajoutant 2 % de dépenses supplémentaires à ce scénario, c’est 4,9 milliards de dollars par année que nous aurions économisé en moyenne, soit 107,5 milliards sur cette période de 22 ans (voir le Tableau 1). Pour mettre ces chiffres en perspective, précisons que, selon le scénario choisi, les économies auraient représenté l’équivalent d’entre 4 et 15 ans des sommes allouées à l’éducation en 2020-2021, ou entre 2 et 7 ans des sommes allouées à la santé lors de ces mêmes années(2).
Le dernier budget déposé confirme la tendance des dernières décennies. Cette année, en excluant les mesures de soutien liées à la COVID, l’État québécois a consacré environ 127,8 $ milliards aux dépenses de portefeuilles, soit 4,9 % de plus que l’exercice précédent(3). Étant donné le vieillissement de la population(4), le nombre d’adultes en âge de travailler diminue alors que plusieurs postes de dépenses, par exemple la santé, augmentent, ce qui accroît la contribution nécessaire de chaque personne aux revenus de l’État. À quel moment finira-t-on par reconnaître que la croissance des dépenses depuis 20 ans est insoutenable?
Nos projections pour les cinq prochaines années indiquent que l’écart entre les dépenses observées et les trois scénarios envisagés se creusera. Ainsi, si la tendance des dernières années se maintient, en 2028, Québec dépensera 171,9 milliards de dollars en dépenses de portefeuilles(5). Si le gouvernement s’était efforcé de proportionner ses dépenses à l’inflation et à la croissance démographique, l’État aurait économisé un montant total de 961,6 milliards de dollars entre 2000 et 2028. Pour le scénario ajoutant une augmentation additionnelle des dépenses de 2 %, le montant économisé aurait été de 308,3 milliards.
On ne saurait préconiser une augmentation des impôts pour régler le problème : les Québécois figurent déjà parmi les populations les plus taxées du Canada(6). En fait, si le Québec était un pays, son fardeau fiscal se classerait neuvième parmi les 39 membres de l’OCDE(7). En revanche, l’augmentation des revenus de l’État par de nouveaux investissements privés fait partie de la solution. Il est tout aussi nécessaire de dompter la croissance des dépenses.
En un mot, le Québec se doit de ramener la progression de ses dépenses à un rythme soutenable suivant l’inflation et la courbe de croissance démographique.
En avons-nous pour notre argent?
Non seulement cette progression des dépenses est insoutenable dans le long terme, mais elle ne produit pas les fruits escomptés. En effet, peut-on dire que nous en avons pour notre argent quand nous analysons l’état de la santé et de l’éducation au Québec? Nous entendons régulièrement parler des enseignants et enseignantes qui décrochent peu de temps après être entrés sur le marché du travail(8)… et même pendant la formation(9)! Les enseignantes et enseignants expérimentés dénoncent aussi leurs conditions de travail et l’insuffisance chronique du soutien de l’État(10), malgré les sommes colossales injectées année après année.
Quant à la qualité de l’éducation, elle ne suit pas non plus la courbe des dépenses. De 2006 à 2016, le nombre d’élèves dans le système d’éducation public du Québec a diminué de 3,6 % alors que les dépenses par élève augmentaient de 18,4 %(11). Pourtant le taux de diplomation secondaire du Québec est encore un des pires du Canada, étant d’environ 20 % inférieur à celui de l’Ontario(12).
La situation n’est guère plus reluisante du côté de la santé : rappelons qu’un peu plus de 20 % de la population n’a pas accès à un médecin de famille et que le Québec se retrouve en queue du classement national à cet égard en 2019(13). La médecine générale s’avérant de moins en moins attrayante pour la relève, un fossé se creuse sur le plan de la main-d’œuvre, entre le recrutement et les départs à la retraite(14). Pendant ce temps, les listes d’attente stagnent : en 2021, le temps d’attente moyen au Québec était de 599 jours(15). Quant aux infirmières, non seulement l’effectif est restreint, mais on oblige celles en poste à travailler des heures supplémentaires(16). La COVID-19 n’a évidemment pas amélioré l’état du système, au point que le ministère a envisagé recourir à une baisse de la qualité des soins(17).
Sur le plan macroéconomique, la performance du Québec n’est pas non plus celle à laquelle on serait en droit de s’attendre au vu de ses dépenses. De 2000 à 2020, le PIB du Québec a augmenté annuellement en moyenne de 1,43 %, contre 1,64 % pour le reste du Canada(18).
L’amélioration de la qualité des services publics ne se trouve pas du côté de l’augmentation des dépenses. Il faut plutôt allouer les ressources de manière plus efficace, notamment en recourant davantage au secteur privé, tout en freinant les dépenses.
Le budget de 2022-2023 pose aussi la question du montant consacré au service de la dette. Les dépenses de portefeuilles représentaient environ 84,4 % des recettes annuelles en 2000, or ce chiffre est passé à 97,2 % en 2021(19); ainsi, le Québec dispose d’une marge de manœuvre de plus en plus mince pour rembourser sa dette. Pour l’année financière 2020-2021, le service de la dette a coûté 7,69 milliards à la province, soit 6,27 % de ses recettes totales; autrement dit, pour chaque dollar entré dans les coffres de l’État, 6 cents ont servi à payer de l’intérêt sur la dette. Cela peut sembler peu, mais c’est plus du quart du budget de l’éducation, et il est indéniable que la province s’en porterait mieux si cet argent avait été alloué ailleurs ou, encore mieux, s’il n’avait simplement pas été dépensé.
Le coût du service de la dette va d’ailleurs s’accroître durant les prochaines années, au vu, entre autres, de l’augmentation potentielle des taux d’intérêt qui se profile avec un taux d’inflation qui a atteint au début de 2022 des sommets jamais vus depuis des décennies(20). La Banque du Canada, dont le taux directeur est la référence du marché, a déjà amorcé cette hausse(21).
L’équité intergénérationnelle est un aspect à prendre en considération. Un bébé qui naît aujourd’hui hérite d’une dette de 34 032 $. Pour ce qui est d’une famille de quatre, celle-ci est endettée de 136 128 $(22). D’où l’importance pour le Québec de réduire son endettement et de ralentir la croissance de ses dépenses publiques.
Conclusion
Les dépenses de portefeuilles annoncées dans le budget provincial 2022-2023 sont élevées, et la tendance est à renverser. Alors que les dépenses publiques augmentent constamment depuis 2000, il aurait été possible d’optimiser les dépenses, ou alors de réduire la ponction fiscale, comme le montrent nos scénarios. La tendance ne pourra pas se prolonger indéfiniment, car, entre autres, les recettes ne suivent pas au même rythme.
Cette situation est d’autant plus déplorable qu’elle ne se traduit pas par une amélioration proportionnelle des services à la population (santé, éducation, etc.). Pendant ce temps, le service de la dette devrait atteindre 8,8 milliards $(23) et est appelé à augmenter avec la hausse des taux d’intérêt. En freinant la croissance des dépenses de portefeuilles et en consacrant plus de ressources au remboursement de la dette, le Québec pourrait établir un budget plus réaliste et ramener le fardeau fiscal des contribuables à un niveau plus raisonnable.
Références
Calculs de l’auteur.
Gouvernement du Québec, Budget 2022-2023, Plan budgétaire, mars 2022, p. A.22.
Statistique Canada, Estimations démographiques par âge et sexe, provinces et territoires, septembre 2021.
Calculs de l’auteur.
Julie S. Gosselin et Luc Godbout, Comment se compare le fardeau fiscal des Québécois dans une perspective canadienne?, Chaire en fiscalité et en finances publiques, janvier 2021, p. 9.
Tommy Gagné-Dubé et al., Bilan de la fiscalité au Québec, édition 2022, Chaire en fiscalité et en finances publiques, janvier 2022, p. 6.
Joséphine Mukamurera, Sawsen Lakhal et Maurice Tardif, « L’expérience difficile du travail enseignant et les besoins de soutien chez les enseignants débutants au Québec », Activités, no 16, vol. 1, avril 2019.
Suzanne-G. Chartrand, « Comprendre les causes de la pénurie d’enseignants », Le Devoir, 13 novembre 2021.
Idem.
Miguel Ouellette et Luc Vallée, « Éducation : contenir les dépenses tout en améliorant la qualité des services », IEDM, Le Point, août 2019, p. 1.
Institut du Québec, Décrochage scolaire au Québec : dix ans de surplace, malgré les efforts de financement, Institut du Québec, avril 2018, p. 3.
Statistique Canada, « Feuillets d’information de la santé – Fournisseurs habituels de soins de santé, 2019 », octobre 2020.
Davide Gentile et Daniel Boily, « Orphelin de médecin, pris en charge par une infirmière », Radio-Canada, 23 février 2022.
Miguel Ouellette et Maria Lily Shaw, « Projet de loi 11 : le mauvais remède à prescrire », Le Journal de Montréal, 7 février 2022.
Gisèle Carrière et al., « Heures supplémentaires travaillées par le personnel professionnel en soins infirmiers pendant la pandémie de COVID-19 », Statistique Canada, septembre 2020.
Jesse Feith, « Quebec plans to reduce care standards in hospitals if COVID-19 surge continues », Montreal Gazette, 19 janvier 2022.
Calculs de l’auteur. Statistique Canada, Tableau 36-10-0402-01 : Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par industries, provinces et territoires (x 1 000 000), 2000-2021.
Calculs de l’auteur.
Statistique Canada, Le Quotidien, « Indice des prix à la consommation, janvier 2022 », 16 février 2022.
Banque du Canada, « La Banque du Canada relève le taux directeur », communiqué, 2 mars 2022.
Calcul de l’auteur. Gouvernement du Québec, op. cit., note 3, p. J17; Institut de la Statistique du Québec, Population et composante de l’Acroissement démographique, Québec, 1971-2022, 17 mars 2022.
Gouvernement du Québec, Ibid., p. I.5.
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