Le fléau du décrochage scolaire est le symptôme d’un système incapable de remplir le rôle pour lequel il a été créé. Dans l’espoir de sauver le système, la plupart des intervenants proposent de faire plus de ce qui ne fonctionne pas : plus de bureaucrates, plus de conseils, plus de commissions, plus d’argent, plus, plus, plus....
Dans son texte, Mme Elgrably a le mérite de proposer de sortir des sentiers battus pour trouver des solutions à ce problème. À titre d’exemple, elle émet l’hypothèse que les décrocheurs préfèrent le marché du travail à l’école. Donc, elle propose de payer les élèves pour les motiver à terminer leurs études. Elle fait référence au programme mexicain « oportunidades » pour étayer son argument. (Voir ci-après)
Il est vrai que le programme « oportunidades » mexicain donne de bons résultats. Ce programme consiste à payer les familles pour qu’elles envoient leurs enfants à l’école. Toutefois, il faut se rappeler qu’au Mexique beaucoup d’enfants contribuent au revenu familial. Lorsqu’ils fréquentent l’école la famille perd des revenus souvent nécessaires à la survie de la famille. Ce n’est pas exactement le cas de la plupart des familles de décrocheurs québécois.
Cela permettrait certainement de sauver quelques-uns d’entre eux, mais on enverrait le mauvais message aux élèves et aux parents. L’éducation doit être comprise comme un investissement pour l’avenir et non une source de revenu pour consommateurs précoces.
Les polyvalentes sont des usines à produire des diplômés. Les élèves sont la matière première, les profs sont les travailleurs de la chaîne de montage, les gestionnaires sont des exécutants qui répondent aux priorités du ministère. Dans un tel système, les décrocheurs sont des pièces défectueuses que le système rejette parce qu’ils nuisent au bon fonctionnement de l’usine.
Il faut se rappeler que le décrochage c’est le symptôme et non la cause du malaise qui prévaut dans les écoles publiques. L’école est incapable d’intéresser les élèves décrocheurs. Donc, il faut repenser tout le système en se rappelant que l’école est au service des élèves et non le contraire comme cela se produit trop souvent.
L’heure des demi-mesures, des comités, des rapports est révolue. C’est une vraie révolution qu’il faut :
- Il faut des écoles à l’échelle humaine. Les petites polyvalentes ou tout le monde se connait offre un enseignement de meilleure qualité que les grandes polyvalentes anonymes et impersonnelles;
- Il faut recruter des directeurs d’école qui sont des têtes fortes capables de faire face à la musique. Les directeurs compétents qui ne s’en laissent pas imposer par les bureaucrates, les représentants syndicaux et parfois les élèves et les parents décuplent les chances de succès de l’école.
- Les meilleurs profs doivent être supportés, encouragés et rémunérés à leur juste valeur. En éducation, le sacro-saint principe de l’ancienneté est d’une stupidité qui n’a pas sa raison d’être dans une société moderne. Il faut l’abolir.
- Les adolescents ont besoin de défis et d’activités qui leur parlent. Le sport, le théâtre, la musique, la danse, la mécanique, l’ébénisterie, etc. sont des activités susceptibles de retenir à l’école bien des décrocheurs. Il faut couper dans la bureaucratie inutile pour financer ces activités essentielles.
- La compétition est un phénomène qui pousse les intervenants à se dépasser. En appliquant le principe de « l’argent suit les élèves » les écoles devront rivaliser d’ingéniosité pour attirer et garder leur clientèle. Celles qui ne s’adapteront pas disparaîtront au profit des meilleures et pour le plus grand bien des élèves.
L’école doit appartenir à sa communauté, c’est-à-dire les élèves, les parents, les profs et les gestionnaires. Le ministère et les commissions scolaires doivent être des outils au service de l’école et non des empêcheurs de tourner en rond.
Je doute que la ministre Courchesne ait le courage politique d’une telle révolution.
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Sortir des sentiers battus
Par Nathalie Elgrably-Lévy
Économiste sénior, Institut Économique de Montréal
La Presse Canadienne nous apprenait récemment que le taux de décrochage scolaire chez les jeunes du secteur public est passé de 26% en 2000, à 29% en 2007. Puis, la semaine dernière, la Commission scolaire de Montréal révélait qu’à peine 40,7% des élèves entrés au secondaire en 2002 avaient obtenu leur diplôme cinq ans plus tard. Les statistiques sont éloquentes: le décrochage est un fléau!
Comme chaque fois que le décrochage défraye les manchettes, des voix s’élèvent pour réclamer des solutions au problème. Évidemment, vu la fascination des élus pour les bavardages stériles et les rapports aussi inutiles qu’onéreux, il faut s’attendre à ce qu’on nous annonce la tenue de tables de concertation, de forums, de commissions d’enquête, de consultations publiques, de groupes de travail, etc.
Déjà, la Centrale des Syndicats du Québec demande au gouvernement Charest de tenir un sommet sur le décrochage, et de concevoir une politique interministérielle. Après plusieurs mois d’intense réflexion aux frais des contribuables, on nous dévoilera en grandes pompes une série de recommandations savantes comme l’élaboration d’un plan de réussite, la réduction de la taille des classes, l’embauche de professionnels, l’intégration d’enfants en difficultés, l’établissement de règles et de politiques et, bien entendu, l’absolue nécessité de débloquer des fonds. On peut également parier l’école privée sera écorchée au passage et qu’on la rendra responsable de biens des difficultés que rencontre l’école publique.
Le hic, c’est que plusieurs de ces mesures ont déjà été adoptées sans succès. Il est donc temps de sortir des sentiers battus, d’autant plus que si les jeunes décrochent, ce n’est certainement pas parce qu’ils sont insatisfaits du ratio professeur-élèves. En revanche, ne se pourrait-il pas qu’ils abandonnent l’école parce qu’ils sont attirés par les revenus qu’ils peuvent gagner en travaillant, et qu’ils sont incapables d’évaluer les bénéfices de l’éducation? L’école ne serait-elle pas en concurrence avec le marché du travail? Si c’est le cas, il faudrait faire en sorte que l’école devienne plus «payante» que la jobine au salaire minimum.
Ainsi, pourquoi ne pas imaginer un programme d’«allocations pour études» en vertu duquel un jeune obtiendrait un revenu à condition qu’il fréquente l’école? Certes, payer les jeunes pour qu’ils étudient peut coûter cher au trésor public. Mais un tel programme peut être économique si on tient compte de la facture associée au décrochage. À cet effet, l’économiste Pierre Fortin a récemment évalué qu’un décrocheur impose un fardeau de 500 000$ à la société. Une étude du Conseil canadien sur l’apprentissage a également estimé que le décrochage coûte 37 milliards de dollars par année à Ottawa. Et puis, on pourrait certainement financer cette initiative en abolissant la pléthore de programmes inutiles qui grugent les finances publiques.
L’idée semble farfelue? Le Mexique l’a pourtant exploitée en introduisant en 1997 le programme Oportunidades qui consiste à payer les familles pour qu’elles envoient leurs enfants à l’école. Le principe de l’incitation financière a tellement bien fonctionné que plus de trente pays l’ont adopté depuis. Même la ville de New York et la Grande Bretagne se sont inspirées de ce programme pour lutter contre le décrochage.
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