André Dorais
Pour se faire une idée à savoir si une répétition des années 1930 est possible, on doit comparer les tendances actuelles aux politiques mises en place à l’époque et évaluer les interprétations des uns et des autres. À l’aune de ces critères, il est difficile d’être optimiste. La majorité des gens, dont les autorités gouvernementales et financières, ont une compréhension de ces années diamétralement opposée à celle de l’École autrichienne d’économie à laquelle je souscris. Parce que le diagnostic posé est erroné et parce que l’interventionnisme politique est plus important qu’à l’époque, on doit craindre une répétition de ces années difficiles.
Un portrait succinct de l’époque
En 1907, les États-Unis sont en récession et New York est pratiquement insolvable. J.P. Morgan, fondateur de la banque du même nom, achète des obligations de la ville pour 30 millions de dollars. Un service en appelle un autre et le gouvernement américain, en 1913, finit par accéder à sa demande, soit de mettre sur pied une banque centrale, connue sous le nom de Réserve fédérale, ou plus communément «Fed». (Pour plus de details, on peut lire A History of Money and Banking in the United States, de Murray N. Rothbard)
La première guerre mondiale éclate en 1914 et dure quatre longues années. Elle est suivie de la «grippe espagnole», qui se répand sur tous les continents et fait plus de victimes que la guerre elle-même. En 1920-1, on est en récession. Celle-ci est prononcée, mais de courte durée aux États-Unis. Elle est plus importante en Europe, notamment en Allemagne. Les années qui suivent sont qualifiées d’années folles, car il y a un fort sentiment de soulagement et de libération. L’École autrichienne les qualifie aussi de fortement inflationnistes.
Cette inflation (monétaire) et d’autant plus grande que la nature de la monnaie tend à changer suivant la création de la Réserve fédérale. On voit de plus en plus de monnaie de papier et de moins en moins de monnaie métallique. On endoctrine tranquillement la population à faire confiance à l’État pour monopoliser la monnaie. Une forte création de monnaie conduit inévitablement à des investissements qui n’auraient jamais vu le jour sans elle. Le vénérable indice boursier Dow Jones s’enflamme pour ensuite s’écrouler en octobre 1929. C’est que la monnaie, à elle seule, ne suffit pas à créer de la richesse. Plutôt qu’une récession «normale», d’une durée de 6 à 24 mois, celle des années trente dure pas moins de 10 ans. On la qualifie de «Grande Dépression». Selon le prix Nobel Milton Friedman et ses disciples, dont l’actuel président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, la raison principale de cette dépression est la crainte de la Fed d’augmenter trop rapidement la masse monétaire.
- «La Fed est largement responsable de [l’ampleur de la crise de 1929]. Au lieu d’utiliser son pouvoir pour compenser la crise, elle réduisit d’un tiers la masse monétaire entre 1929 et 1933 […] Loin d’être un échec du système de libre entreprise, la crise a été un échec tragique de l’État.» Milton Friedman, Two Lucky People : Memoirs
- «Vous avez raison […] Nous sommes désolés. Mais grâce à vous nous ne referons pas cette erreur.» Discours prononcé par Ben S. Bernanke, en 2002, en l’honneur du 90e anniversaire de naissance de Milton Friedman.
L’École autrichienne rejette cette interprétation de l’histoire et conséquemment les leçons à en tirer. Elle attribue le krach boursier de 1929 à l’inflation monétaire qui l’a précédée et la Grande Dépression aux multiples interventions gouvernementales qui suivirent. Ces interventions de toutes sortes avaient pour but de remettre l’économie sur ses rails, mais elles ne firent que prolonger la récession. On ne s’est guère soucier des coûts engendrés par elles, sous le prétexte d’agir rapidement. On misait sur l’emploi, mais celui-ci n’est pas un gage de richesse. Faut-il rappeler que tout le monde travaillait en ex Union Soviétique?
Les programmes d’aide gouvernementaux ne se soucient pas de rentabilité, car on les qualifie de nécessaire. Ils sont certes utiles à plusieurs individus, mais ils ne sont pas moins établis par la force de la loi, c’est-à-dire à l’encontre de ce que la majorité se serait procurée si elle en avait eu le choix. Que les contribuables soient contraints de financer les gestes précipités des politiciens ne peut faire autrement qu’accentuer la crise. En effet, puisque les politiciens ne sont pas plus intelligents que les autres individus et qu’ils ont le pouvoir de les entraîner dans leurs décisions, ceux-ci sont contraints d’encourir des risques plus grands que s’ils avaient été laissés à eux-mêmes pour prendre ces décisions.
On peut qualifier ce danger d’«effet multiplicateur démocratique», c’est-à-dire que les bons et les mauvais coups des politiciens sont multipliés par le pouvoir de taxation qu’ils exercent sur les contribuables. C’est le danger de la démocratie dépourvue du principe de propriété. On devrait même dire, c’est le danger de la démocratie tout court, car elles ont toutes enterrées ce principe, qui leur a pourtant donné naissance. Depuis le 17e siècle, on cherchait à réduire le pouvoir du roi pour le transférer aux individus, mais force est de constater qu’on l’a plutôt remis à des collectivités. Celles-ci changent d’une élection à l’autre, mais le contribuable s’en trouve toujours plus pauvre. Les décisions «collectives» ne constituent guère une amélioration sur les décisions du roi. On ne revendique pas la monarchie, ni même la démocratie, mais la liberté d’être maître de ses choix sans être obligé de payer pour les décisions des autres.
Lorsqu’on constate que les politiciens du monde entier s’empressent d’occuper les tribunes pour rassurer la population qu’ils viendront à sa rescousse en concoctant de nouvelles interventions (nationalisations, interdictions, réglementations, subventions, programmes d’aide, emprunts, taxation, inflation, etc.), on craint pour l’avenir rapproché. On le craint d’autant plus que pratiquement tout le monde leur demande de l’aide. Les financiers revendiquent l’aide de la banque centrale, les entreprises demandent au gouvernement d’intervenir auprès des banques pour qu’elles leur octroient du crédit, les organismes à but non lucratif revendiquent des subventions et une panoplie d’individus et de groupes d’intérêt quémandent l’intervention de l’État sous une forme ou une autre.
L’économie, selon l’École autrichienne, est beaucoup plus que des statistiques, des chiffres et des mathématiques. Elle cherche à concevoir les conséquences de l’action humaine et elle ne se gêne pas pour remettre en question le rôle de l’État, qui semble incapable de voir plus loin que le bout de son nez. On ignore l’enseignement de cette école à ses risques et périls.
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