Tout d’abord, d’où provient la dette publique ?
Comme une famille, un organisme public (État, collectivités locales, organismes de protection sociale comme l’assurance retraite ou l’assurance maladie) a des recettes et des dépenses. Pour les recettes, il s’agit essentiellement des impôts et des cotisations sociales. Lorsque les dépenses dépassent les recettes, il y a donc déficit. Toujours comme une famille, l’organisme public finance ce déficit en empruntant : c’est l’origine de la dette publique.
Emprunter pour financer des investissements ?
Ce déficit, et donc cette dette, sont-ils acceptables ?
Cela dépend largement de ce que l’on finance. Pour une famille, tout le monde comprend que si elle veut acheter un logement, et si elle a des revenus réguliers, elle peut légitimement emprunter sur 15 ou 20 ans, par exemple. Si les revenus réguliers sont suffisants, ils permettent de payer les intérêts et de rembourser peu à peu le capital. À la fin du processus, le logement est toujours là et va durer bien au-delà du crédit. S’il arrive malheur, il existe des assurances et, au pire, le logement peut être revendu.
De la même façon, on peut trouver légitime que l’État ou une collectivité locale empruntent pour réaliser un investissement, construire une piscine ou une école, une route ou un hôpital. Certes, pendant la durée de l’emprunt il faudra payer les intérêts et rembourser le capital, ce qui peut impliquer la génération suivante si l’emprunt est de longue durée ; mais cette génération suivante va elle aussi bénéficier de l’investissement réalisé. Il n’est pas anormal qu’elle participe ainsi au financement.
Où emprunter pour financer les dépenses courantes de fonctionnement ?
Il n’en va pas nécessairement de même pour des dépenses de fonctionnement.
Que penser d’une famille qui emprunterait pour financer ses achats courants au supermarché ? Cela peut s’imaginer quand on traverse exceptionnellement une mauvaise passe, mais cela n’a qu’un temps, et de toute façon il faut bien rembourser un jour car il n’est ni possible ni raisonnable de dépenser chaque mois, en achats courants, davantage que ce qu’on gagne, cela finit mal en général.
Or, ce qui est évident pour une famille paraît moins évident pour un organisme public. Certes, lui aussi (un État par exemple) peut être légitimement en déficit dans des circonstances exceptionnelles et ponctuelles, comme une guerre ou une crise majeure. Mais que va-t-il se passer si cela devient une habitude et si l’État finance chaque année ses dépenses de fonctionnement courant à crédit en recourant au déficit ?
Voilà des dizaines d’années qu’en France, l’État et les organismes de protection sociale sont en déficit. Le dernier budget de l’État en équilibre remonte à 1974, soit bientôt 50 années de déficit ininterrompu. L’opinion publique ne réalise pas que cela signifie que depuis tant d’années une partie des dépenses de fonctionnement est financée à crédit, par exemple les traitements des fonctionnaires, ou encore les dépenses d’assurance maladie ou de retraite.
Certes, on peut trouver certaines d’entre elles nécessaires, voire indispensables, mais on refuse de les financer par l’impôt ou les cotisations sociales, ce qui se comprend, car la France est l’un des pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés et pèsent lourdement sur les entreprises et les ménages : 47,5 % du PIB en France, contre 41,3 % en moyenne dans l’Union européenne.
On préfère recourir au déficit, donc à l’emprunt. C’est supportable une année ou deux, en période de vaches maigres, puisqu’on remboursera si les années suivantes sont des périodes de vaches grasses.
Mais lorsque le déficit est ininterrompu depuis près de 50 ans ?
Une dette publique de 3000 milliards, soit 44 000 euros par habitant
Le premier inconvénient, c’est qu’il faut chaque année payer la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts. Parfois les taux sont très élevés. Mais il est vrai que pendant une grande partie de cette période, lorsque l’inflation était faible, les taux l’étaient aussi, et la France a parfois emprunté à des taux situés entre 0 et 1 %. Mais quand l’inflation revient, les taux augmentent ainsi que la charge de la dette. En 2023, cette charge (qui ne concerne donc que les intérêts) représente environ 50 milliards, ce qui en fait un des plus gros postes budgétaires, pas très loin du budget de l’éducation.
Mais il faut bien aussi rembourser le capital. L’État emprunte pour des durées variables, la moyenne actuelle étant d’environ dix années. Donc, au bout de cette période, il faut rembourser le capital. Mais avec quoi, puisque les nouveaux budgets sont encore en déficit ? C’est mécaniquement une fuite en avant, car ne pouvant rembourser le capital grâce aux recettes, on emprunte pour rembourser les emprunts arrivant à échéance.
C’est ainsi qu’en 2023 il faut emprunter environ 156 milliards pour la dette arrivant à échéance, qui s’ajoutent aux 158 milliards de déficit de l’année, qu’il faut bien financer également par l’emprunt ; il nous faut donc emprunter plus de 300 milliards cette année, et cela pour le seul budget de l’État. Depuis des dizaines d’années, le pays emprunte chaque année, non seulement pour combler les déficits de l’année, mais aussi pour rembourser les crédits arrivant à échéance. Résultat : la dette publique ne cesse d’augmenter.
Elle atteint actuellement en France 3000 milliards d’euros.
Ce chiffre est très abstrait et on le compare souvent au PIB : actuellement 112 % du PIB, contre 84 % en moyenne dans l’Union européenne. Cela ne veut pas dire grand-chose, car le PIB c’est la production, à savoir les revenus des Français pendant une année, et ces revenus nous servent à vivre.
On ne mettra donc fin au processus qu’en revenant à l’équilibre budgétaire, et même à l’excédent permettant de rembourser. Ces 3000 milliards de dette représentent environ 44 000 euros par Français, bébés compris : quel beau cadeau de naissance !
Les dangers de la hausse des taux et de la perte de confiance
On mesure les dangers du processus.
Le premier danger, c’est que les nouveaux emprunts servant à rembourser les anciens se font aux nouveaux taux. Actuellement autour de 3 %, contre 1 % ou moins il y a peu ; l’échéance moyenne étant de dix ans, en dix ans l’essentiel de la dette ancienne est remplacé par de la nouvelle. 1 % de taux d’intérêt en plus représente à terme 30 milliards d’euros de charge de la dette en plus ! Et si les taux montent encore, chaque point de plus, c’est à terme encore 30 milliards de plus.
Or, deuxième danger : qui nous prête ? Sans doute en partie des ménages, via des fonds de placement, et des organismes financiers français ; mais la majorité de nos emprunts se fait sur les marchés internationaux. La majorité de la dette française est donc détenue par des non-résidents qui ne font pas de sentiments.
Plus ils sentent la fragilité de la situation, la faible capacité de remboursement, plus ils prêtent à des taux élevés. Cette capacité à emprunter est notamment mesurée par des agences de notation. Actuellement, nos notes sont encore bonnes et nous empruntons à des taux certes en hausse, mais pas encore explosifs. Cependant, dès le 28 avril, l’agence de notation Fitch a légèrement diminué la note de la France, passant de AA à AA- ; c’est un avertissement, qui n’a pas encore de trop graves conséquences, mais dont il faut tenir compte.
En effet, si demain la hausse des taux se poursuivait et la défiance s’installait, qui nous prêterait ou alors à quel taux ?
Chacun se souvient par exemple de ce qui s’est passé pour la Grèce il y a quelques années. Un pays trop endetté devient dépendant des marchés et donc des financements extérieurs. Les pays dans cette situation se voient imposer des plans de redressement des finances publiques.
C’est donc un jeu dangereux, et il faut donc réagir et diminuer notre dette.
Faire payer nos petits-enfants
Au-delà de ces aspects financiers, il y a aussi une dimension morale.
Faire financer un investissement à crédit, comme une piscine, c’est le faire financer en partie par les générations suivantes, qui vont le rembourser, mais elles vont aussi profiter de la piscine. Mais faire financer nos dépenses d’assurance maladie, de retraite ou le revenu actuel des fonctionnaires par nos enfants et petits-enfants, est-ce bien moral quand il leur faudra rembourser un jour nos emprunts actuels ?
On veut leur laisser une planète vivable, mais on leur laisse surtout nos dettes, pour des dépenses que nous voulons faire maintenant, sans en assumer le coût ! Certains pensent qu’il suffirait de refuser de rembourser, d’organiser la banqueroute. Mais outre le fait que c’est ne pas respecter nos engagements, c’est un fusil à un coup, car plus personne ne voudrait alors nous prêter par la suite : les emprunts russes n’ont pas laissé un bon souvenir à nos grands-parents.
On peut aussi imaginer que la Banque centrale européenne en rachète une partie, ce qui se fait aujourd’hui en rachetant des titres en circulation de la dette publique : à cette occasion, de la monnaie est créée, donc de l’inflation ; chacun en mesure les conséquences aujourd’hui sur le pouvoir d’achat. Cela n’a donc qu’un temps.
Les conseils de Turgot à Louis XVI toujours d’actualité
Ainsi, la dette publique, surtout quand elle dure depuis un demi-siècle, est à la fois dangereuse et immorale. Mais ce n’est pas nouveau.
En 1774, lorsque Louis XVI a nommé Turgot à la tête des finances, celui-ci a écrit au monarque :
« Je me borne en ce moment, Sire, à vous rappeler ces trois paroles : point de banqueroute ; point d’augmentation d’impôts ; point d’emprunts. Point de banqueroute, ni avouée ni masquée par des réductions forcées. Point d’augmentation d’impôts, la raison en est dans la situation de vos peuples, et encore plus dans le cœur de Votre Majesté. Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l’augmentation des impositions […]. Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette ».
Deux ans plus tard, Turgot était limogé et son plan de redressement oublié. La dette publique n’a alors cessé de croître et chacun connaît le rôle qu’elle a joué dans le déclenchement de la Révolution. Le message de Turgot n’est-il pas toujours d’actualité ?
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