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16 juin, 2023

Anniversaire d’Adam Smith : l’économie de marché au service des plus modestes

 Par Rainer Zitelmann.

Nous savons très peu de choses sur Adam Smith. Nous ne connaissons même pas la date de naissance du célèbre Écossais. Tout ce que nous savons, c’est la date de son baptême, le 5 juin 1723 (calendrier julien), ce qui signifie que, selon notre calendrier grégorien, il a été baptisé le 16 juin. Il n’a pas connu son père, fonctionnaire des douanes, mort à 44 ans, quelques mois avant sa naissance.

Parmi ceux qui n’ont jamais lu ses livres, certains le considèrent comme un partisan de l’égoïsme ultime, voire peut-être, comme le père spirituel du capitalisme extrême à la Gordon Gekko, qui s’exclame « Greed is good ! » dans le film Wall Street. C’est une image déformée qui découle de l’importance pour Smith de l’intérêt personnel des acteurs économiques dans son livre La richesse des nations.

 

Smith partisan de l’égoïsme ultime ?

Mais cette image est sans aucun doute erronée.

Le premier chapitre de son livre Théorie des sentiments moraux commence par une section intitulée « De la sympathie », qu’il définit comme « le fait de se sentir solidaire d’une passion, quelle qu’elle soit ».

Aujourd’hui, nous utiliserions probablement le mot « empathie » :

« Quel que soit le degré d’égoïsme de l’homme, il est évident qu’il existe dans sa nature certains principes qui l’intéressent à la fortune des autres et qui lui rendent leur bonheur nécessaire, bien qu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de le voir. C’est de ce genre que relève la pitié ou la compassion, l’émotion que nous ressentons pour la misère d’autrui, soit que nous la voyions, soit qu’on nous la fasse concevoir d’une manière très vivante ».

La sympathie de Smith allait surtout aux moins fortunés. De diverses sources de revenus il gagnait 900 livres par an, soit trois à quatre fois le salaire d’un professeur d’université. Mais à la lecture du dernier testament d’Adam Smith, son neveu David Douglas est déçu. Le testament confirme ce que les amis d’Adam Smith soupçonnaient depuis longtemps : il hérite beaucoup moins que ce qu’il espérait car Smith avait fait don de la quasi-totalité de sa fortune aux plus pauvres, la plupart du temps en secret. Sa générosité lui avait même valu, à un moment donné, de rencontrer des difficultés financières.

Si vous lisez ses deux principaux ouvrages, La richesse des nations et La théorie des sentiments moraux, vous aurez du mal à trouver un seul passage où il parle des riches et des puissants en termes élogieux. Les marchands et les propriétaires sont presque exclusivement dépeints sous un jour négatif, principalement comme des personnes égoïstes et avides de monopoles.

« Nos marchands et nos maîtres-fabricants se plaignent des effets néfastes des salaires élevés qui augmentent les prix et diminuent ainsi la vente de leurs marchandises, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Ils ne disent rien sur les effets néfastes des profits élevés. Ils ne disent rien des effets pernicieux de leurs propres gains. Ils ne se plaignent que des autres ».

Ou encore :

« Les gens du même métier se réunissent rarement, même pour se distraire, mais la conversation se termine par une conspiration contre le public ou par un stratagème pour faire monter les prix ».

Le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels contient davantage de critiques positives sur les capitalistes que n’importe quel ouvrage d’Adam Smith : Marx et Engels écrivent avec admiration que la bourgeoisie crée constamment des forces de production plus puissantes que toutes les générations précédentes réunies.

 

Adam Smith : entre critique des riches et compassion envers les pauvres

Aucune trace d’une telle admiration dans l’œuvre de Smith. Au contraire, les riches sont la cible d’une critique caustique. Les défenseurs de Smith affirment que cela ne reflète pas un quelconque ressentiment général à l’égard des entrepreneurs ou des riches, mais plutôt le fait que Smith prône la libre concurrence et s’oppose aux monopoles. C’est certainement en partie vrai, mais à la lecture de ses deux principaux ouvrages, il semble qu’en fin de compte, Smith aime les riches autant qu’il n’aime pas les hommes politiques. Même lui n’était pas exempt du ressentiment traditionnellement entretenu par les intellectuels à l’égard des classes possédantes.

À l’inverse, de nombreux passages témoignent de sa sympathie pour la condition des plus modestes,  c’est-à-dire de la grande majorité de la population qui doit échanger son travail contre un salaire afin de gagner sa vie.

Dans Adam Smith’s America, Glory M. Liu passe en revue la perception d’Adam Smith et l’état de la recherche, quasi unanime à conclure que pour Smith, la caractéristique la plus importante de la société commerciale était qu’elle améliorait la condition des pauvres.

Citons un passage célèbre de La richesse des nations :

« Aucune société ne peut être florissante et heureuse si la plus grande partie de ses membres est pauvre et misérable. Il est d’ailleurs équitable que ceux qui nourrissent, vêtent et logent l’ensemble du peuple aient une part du produit de leur propre travail qui leur permette d’être eux-mêmes raisonnablement bien nourris, vêtus et logés. »

Aujourd’hui, ces mots sont parfois interprétés à tort comme un plaidoyer en faveur d’une redistribution des richesses par le gouvernement. Ce n’était pas son intention, et il n’appelait certainement pas à une révolution sociale. Mais selon lui, la pauvreté n’était pas inéluctable, et surtout, il ne faisait pas confiance aux gouvernements.

Dans le chapitre 8 de La richesse des nations, il souligne que la croissance économique continue est le seul moyen d’élever le niveau de vie et d’augmenter les salaires, car une économie stagnante entraîne baisse des salaires, et donc du niveau de vie.

Selon lui, « la famine n’a jamais eu d’autre cause que la violence d’un gouvernement tentant, par des moyens inappropriés, de remédier aux inconvénients d’une disette ».

Nous savons parfaitement à quel point il avait raison 250 ans plus tard, après des centaines, voire des milliers de tentatives infructueuses de maîtrise de l’inflation par le contrôle des prix.

 

Adam Smith vs Karl Marx

Karl Marx, quant à lui, pensait avoir découvert plusieurs lois économiques qui conduiraient nécessairement à la chute du capitalisme, telles que la « tendance à la baisse du taux de profit » ou l’appauvrissement du prolétariat.

Avant l’apparition du capitalisme, la plupart des habitants de la planète vivaient dans une extrême pauvreté.

En 1820, environ 90 % de la population mondiale vivait dans la pauvreté absolue. Au cours des dernières décennies, depuis la fin du communisme en Chine et dans d’autres pays, le recul de la pauvreté s’est accéléré à un rythme inégalé dans l’histoire de l’humanité. En 1981, le taux de pauvreté absolue était de 42,7 % ; en 2000, il était tombé à 27,8 % et il est aujourd’hui inférieur à 9 %.

Smith avait prédit que seule l’expansion des marchés pouvait conduire à une prospérité accrue.

C’est précisément ce qui s’est produit depuis la fin des économies planifiées socialistes. Rien qu’en Chine, l’introduction de la propriété privée et les réformes du marché ont permis de réduire le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté de 88 % en 1981 à moins de 1 % aujourd’hui.

À ma question de savoir en quoi Adam Smith était pertinent en Chine, Weiying Zhang, économiste spécialiste du marché libre à l’université de Pékin, m’a répondu :

« Le développement économique rapide de la Chine au cours des quatre dernières décennies est une victoire du concept de marché d’Adam Smith. Contrairement aux interprétations qui prévalent en Occident, la croissance économique et le recul de la pauvreté en Chine n’ont pas eu lieu à cause de l’État, mais malgré l’État, et ont été permis par l’introduction de la propriété privée. »

Alors que Karl Marx pensait que la condition des pauvres ne pouvait être améliorée qu’en abolissant la propriété privée, Smith croyait au pouvoir du marché.

Il n’était pas partisan d’une utopie libertaire sans État – il estimait que les gouvernements avaient des fonctions importantes à remplir.

 

L’importance de l’intérêt personnel

Néanmoins, en 1755, deux décennies avant la parution de La richesse des nations, il a lancé un avertissement lors d’une conférence :

« L’homme est généralement considéré par les gouvernements et les planificateurs comme le matériau d’une sorte de mécanique politique. Les planificateurs dérangent la nature dans le cours de son évolution dans les affaires humaines ; il ne faut rien de plus que les laisser tranquilles, leur donner libre cours dans la poursuite de leurs fins, pour qu’elles puissent établir leurs propres desseins […] Tous les gouvernements qui contrarient ce cours naturel, qui forcent les choses dans une autre voie, ou qui s’efforcent de freiner le progrès à un point particulier, sont contre nature, et pour se soutenir, sont obligés d’être oppressifs et tyranniques ».

Ces paroles étaient en effet prophétiques. La plus grande erreur des planificateurs a toujours été de s’accrocher à l’illusion qu’il est possible, théoriquement, de planifier un ordre économique. Ils croient que quelqu’un, assis derrière un bureau, peut façonner un ordre économique idéal et qu’il ne reste plus qu’à convaincre suffisamment d’hommes politiques de le mettre en pratique.

Aujourd’hui, on reproche souvent à Smith d’avoir souligné l’importance de l’intérêt personnel. En effet, il a souvent insisté sur le poids de l’égoïsme, précisément parce que les individus ont constamment besoin de l’aide d’autrui. Toutefois, il pensait qu’il ne fallait pas compter uniquement sur cette bonne volonté. C’est dans ce contexte qu’il a utilisé l’expression main invisible, qui l’a rendu si célèbre, bien qu’elle n’apparaisse que trois fois dans l’ensemble de son œuvre (ce que l’on retrouve avec Schumpeter et l’expression destruction créatrice, qu’il n’a utilisée que deux fois) :

« Comme chaque individu s’efforce donc, autant qu’il le peut, d’employer son capital au soutien de l’industrie nationale et de diriger cette industrie de manière à ce que son produit ait la plus grande valeur, chaque individu s’efforce nécessairement de rendre le revenu annuel de la société aussi élevé qu’il le peut. En général, en effet, il n’a pas l’intention de promouvoir l’intérêt public, ni ne sait dans quelle mesure il le promeut […] Et il est, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, conduit par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de son intention. Et ce n’est pas toujours le pire pour la société que cela ne fasse pas partie de ses intentions. En poursuivant son propre intérêt, il promeut souvent celui de la société plus efficacement que lorsqu’il a réellement cette intention. Je n’ai jamais vu beaucoup de bien fait par ceux qui affectaient de commercer pour le bien public ».

Les idéologies totalitaires cherchent à réduire le moi. Elles ne veulent rien d’autre que le subordonner au nous, comme le démontrent deux des maximes du national-socialisme :

« Du bist nichts, dein Volk ist alles » (tu n’es rien, ton peuple est tout) et « Gemeinwohl vor Eigenwohl » (l’intérêt public avant l’intérêt personnel)

Dans un discours prononcé en novembre 1930, Adolf Hitler a déclaré :

« Dans toute la sphère de l’économie, l’intérêt public est plus important que l’intérêt personnel : dans toute la sphère de la vie économique, dans toute la vie, il faut en finir avec l’idée que l’intérêt individuel est l’essentiel et que l’intérêt de la collectivité repose sur celui de l’individu, c’est-à-dire que ce dernier est à l’origine de l’intérêt de la seconde. L’inverse est vrai : le bénéfice du collectif détermine le bénéfice de l’individu. Si ce principe n’est pas reconnu, alors l’égoïsme s’installe inévitablement et déchire la communauté ».

Cette conviction est celle de tous les penseurs totalitaires, révolutionnaires et dictateurs, de Robespierre à Lénine, Staline, Hitler et Mao.

Hannah Arendt, l’un des plus grands penseurs du XXe siècle, a écrit dans La révolution :

« Ce n’est pas seulement dans la Révolution française, mais dans toutes les révolutions que son exemple a inspirées, que l’intérêt commun est apparu sous les traits de l’ennemi commun, et la théorie de la terreur, de Robespierre à Lénine et Staline, présuppose que l’intérêt de l’ensemble doit automatiquement, et même en permanence, être hostile à l’intérêt particulier du citoyen. »

Oui, de manière absurde, Arendt prétend que le désintéressement est la plus haute vertu, et que la valeur d’un homme peut être jugée par la mesure dans laquelle il agit contre son propre intérêt et sa propre volonté.

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