Par Johan Rivalland.
Vingt-cinquième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».
Il y a quelques mois, j’ai lu quelque part sur Internet une personne qui émettait l’idée selon laquelle le libéralisme serait « la recherche du plaisir immédiat », là où l’écologie rechercherait « le bonheur des humains à long terme », en réponse à quelqu’un qui constatait simplement que les progrès sociaux, à l’image du transport aérien rendu accessible aux personnes à revenus modestes, sont le fruit du libéralisme et du capitalisme.
Outre le fait que cette personne a une conception bien étrange du bonheur, cette opposition très caricaturale entre libéralisme et écologie révèle une vision étriquée des réalités.
Des idées bien caricaturales
Le problème avec le dogmatisme, que ce soit dans le domaine de l’écologie ou ailleurs, est cette tendance à recourir à des schémas extrêmement simplificateurs et radicaux dans l’esprit, sans souci de la moindre nuance. Au nom de l’écologie (hélas pervertie par l’idéologie et la politique), on est prêt à tomber – sans même s’en rendre forcément compte – dans la caricature la plus ridicule. Pire, à risquer de pervertir le sens même de la vie, à force d’a priori bien réducteurs et destructeurs.
J’ai d’ailleurs apprécié la citation de Vaunevargues particulièrement juste si l’on se réfère à ce que l’on observe très régulièrement :
Le prétexte ordinaire de ceux qui font le malheur des autres est qu’ils veulent leur bien.
Plutôt que de jouer sur les peurs, souvent de manière irrationnelle, ou de s’en prendre à notre patrimoine sous prétexte de « sauver la planète », avec la prétention d’être plus conscients que les autres de l’importance de ne pas sacrifier l’avenir aux plaisirs immédiats, tout en n’étant parfois pas à une contradiction près, il serait plus judicieux d’agir véritablement, dans un sens constructif.
C’est ce que loin de privilégier l’immédiat, la doctrine libérale envisage parfaitement, puisque l’écologie est conçue par ceux qui s’inspirent de ses fondements, comme une préoccupation essentielle qui donne lieu à de multiples initiatives très concrètes qui ont fait leurs preuves, plutôt que comme une sorte de chimère donnant lieu à des comportements stériles.
Une philosophie fondée sur la responsabilité
Le libéralisme repose sur plusieurs valeurs fondamentales, parmi lesquelles la responsabilité.
Autrement dit, même si l’on part du postulat des droits individuels et de la liberté, l’harmonie entre les individus repose sur la confiance, la collaboration, l’échange, mais aussi bien naturellement sur la conscience des conséquences de ses actes vis-à-vis des autres et de l’ensemble de l’humanité, qu’il s’agit d’assumer pleinement, en se basant sur la raison, et non la rumeur ou le mythe, pas plus que sur les actes inconséquents, érigés en vertus.
En ce sens, dans Le bonheur des petits poissons, paru en 2009, Simon Leys écrivait ceci, qui rappelle la manière dont agissent certains militants écologistes aujourd’hui :
La beauté appelle la catastrophe aussi sûrement que les clochers attirent la foudre […] l’énergumène qui lance un pot d’acrylique sur le dernier autoportrait de Rembrandt, ou celui qui attaque au marteau la madone de Michel-Ange, obéissent tous, sans le savoir, à la même pulsion […] je fus frappé d’une évidence qui ne m’a plus jamais quitté depuis : les vrais philistins ne sont pas des gens incapables de reconnaître la beauté – ils ne la connaissent que trop bien, ils la détectent instantanément, et avec un flair aussi infaillible que celui de l’esthète le plus subtil -, mais c’est pour pouvoir fondre immédiatement dessus de façon à l’étouffer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur universel empire de la laideur. Car l’ignorance, l’obscurantisme, le mauvais goût, ou la stupidité ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de force actives, qui s’affirment furieusement à chaque occasion, et ne tolèrent aucune dérogation à leur tyrannie…
Le libéralisme, en tant que philosophie du droit, respectueuse d’une éthique de l’humanité et d’un sens profond de la responsabilité, n’a aucune raison d’être ainsi apparenté à une quelconque recherche des plaisirs immédiats. Si ce n’est dans l’esprit de ceux qui l’assimilent à tort à un matérialisme, idée reçue que nous avons déjà démontée.
Liberté ne signifie pas culte de l’immédiat
Bien au contraire, cette philosophie reconnaît l’importance de l’éducation, de l’effort, de l’investissement, de la Recherche & Développement, de l’innovation, ou encore de la culture, dans le devenir de l’individu et, au-delà, de la société. Rechercher un certain bien-être, une amélioration des conditions, un épanouissement personnel et collectif, est une entreprise de longue haleine, qui nécessite de la réflexion, de la patience et de la persévérance. Incompatibles avec le culte de l’immédiat. Les libéraux en sont bien conscients, pas moins que d’autres. Il s’agit donc d’un bien mauvais procès et d’une mauvaise vue de l’esprit, complètement pervertie, que d’affirmer le contraire.
Plus encore, on peut sans doute observer que nombre de ces adeptes de cette nouvelle religion qu’est l’écologisme prétendent d’un côté remettre en cause un modèle dit consumériste alors même que, d’un autre côté, une partie non négligeable des générations les plus jeunes des pays développés notamment (parmi lesquels on trouve les plus « engagés » et contestataires) est probablement la plus consumériste que nous ayons connue. Sacré paradoxe !
Un militantisme pétri de contradictions
Beaucoup centrée sur son ego et sur le présent, peu portée sur l’histoire ou sur la compréhension des mécanismes imparables du monde réel, elle préfère la contestation, la protestation, l’utopie, l’écologie punitive (à condition qu’il s’agisse de faire payer les autres) au concret, au réalisme dans les propositions, aux initiatives créatives. Fi des mouvements longs, fi des évolutions forcément lentes et fruit du travail, de la recherche, de la réflexion, du progrès technique, toutes choses incontournables si l’on veut contribuer à résoudre les problèmes qu’ils entendent dénoncer, fi des effets réels qu’auraient une politique de décroissance ou des systèmes punitifs limités à un où quelques pays qui n’auraient pour effet que de détruire leur économie, leurs entreprises locales, leurs emplois locaux, pour y substituer des importations de produits certainement moins écologiques en provenance de pays ayant moins d’états d’âme et de scrupules et qui s’en frotteraient les mains.
Aucun d’entre eux ne serait en réalité disposé à renoncer à son smartphone et aux technologies afférentes, aux voyages vers des destinations dites de rêve, pas davantage qu’à toutes ses formes de consumérisme (le marché de la seconde main pouvant être assimilé aussi, si l’on y réfléchit, à une forme de consumérisme effréné où l’on cherche à renouveler en permanence et toujours davantage sa garde-robe ou la multiplicité d’objets que l’on va accumuler ou échanger, tout en favorisant les nombreuses personnes qui vont le faire prospérer et prospérer encore et toujours plus).
Où se situent les vraies inquiétudes ?
Et que dire de ces propos de Jean-Marc Jancovici dans la revue Socialitaire, que rapporte Luc Ferry dans un débat sur l’écologie, selon lesquels il faudrait peut-être songer à ne plus soigner les plus de 65 ans, afin de contribuer à réduire tout en douceur (sic) la population mondiale ? Digne des pires scénarios de science-fiction ou d’anticipation…
Au nom de l’écologie, vous dîtes ? Et du « bonheur à long terme » ?
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