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14 juin, 2023

Contre la croissance de la décroissance, faut-il se tourner vers le progrès technologique ?

 Par Thierry Berthier.

Le concept de décroissance est de plus en plus présent en France : au cœur des débats politiques, dans les médias, les corps intermédiaires, le tissu associatif, les milieux des arts et de la culture, la recherche, les universités et les grandes écoles.

On ne compte plus les conférences, colloques, salons, séminaires sur la décroissance présentée sous toutes ses formes et vertus : les décroissances carbone, verte, radicale, partielle, anticapitaliste, imposée, choisie, sectorielle, industrielle, numérique, technologique, globale, unilatérale… Toutes les options sont disponibles sur la table.

Il suffit d’un peu d’imagination et de courage politique pour les mettre en œuvre en s’appuyant sur une doctrine, un rapport du GIEC, une charte ISR, un support RSE, une initiative de Team building ou une fresque du climat réalisée avec rigueur.

Ce foisonnement d’itinéraires potentiels vers la décroissance nous montre que le sujet, au moins en France et chez les plus jeunes générations, a su traverser toutes les crises majeures (pandémie covid, inflation, guerre aux portes de l’Europe) sans perdre de sa puissance.

 

La décroissance, un concept français en pleine croissance

Il est parfaitement adapté à la montée de l’éco-anxiété et d’une forme de pessimisme générationnel né d’une planète en surchauffe à laquelle s’ajoutent souvent quelques frustrations personnelles.

Par ailleurs, la décroissance bien packagée se vend plutôt bien, si l’on se réfère aux rémunérations de 2000 euros à 7000 euros l’heure de conférencier chez les stars du domaine. Ce dernier point met en lumière un premier décalage sémantique avec un concept « chimiquement pur » de décroissance anticapitaliste qui fait l’objet ici d’un peu de « dilution ».

L’adaptation locale du dogme est nécessaire car : « les temps sont durs pour tout le monde, il faut bien vivre, et ce sont les odieux capitalistes qui osent s’offusquer de la croissance des conférences de décroissance, dans le but d’interdire tout débat ». La lutte des classes reste la meilleure des alliées quand il s’agit de se justifier après avoir succombé à quelques tentations capitalistes.

Mais revenons à l’idée de décroissance.

Un concept dénué de champ d’application est condamné à s’évaporer dans l’espace des idées. Il perd rapidement son intérêt auprès du grand public. Il faut donc lui donner corps à travers un projet politique, une mesure sociale, une norme ou une borne. Ainsi, pour incarner la décroissance à l’échelle nationale puis européenne, certains théoriciens proposent de travailler sur une double limitation imposée :

À l’échelle individuelle

Il s’agit d’une limitation inférieure positive garantissant un revenu minimal à tout Européen actif ou non. Cette mesure ressemble fort à la mise en place d’un revenu universel, qui n’est pas sans intérêt face aux effets schumpétériens attendus de la double révolution technologique de l’intelligence artificielle et de la robotique.

À l’échelle nationale

Il s’agit d’une limitation supérieure négative en instaurant, unilatéralement, un PIB maximal à ne plus dépasser. C’est un peu comme le taux maximal d’alcool dans le sang pour conduire, ou une limitation à trois vols en avion par vie humaine.

On demande à la France de limiter son développement économique, financier, technologique sous la barre d’un PIBmax. Le concept de PIBmax unilatéral doit se comprendre en complément des limitations déjà proposées dans les transports, l’aéronautique, le spatial, l’industrie, la construction, le BTP, l’agriculture, le numérique. On instaure des bornes sectorielles couvrant l’ensemble des activités humaines, puis on complète ce corpus par une borne globale de PIBmax.

Du côté des anticapitalistes décroissants, on estime que la France, à l’avant-garde de la décroissance universelle, serait le premier pays à faire preuve de courage et d’abnégation en installant unilatéralement le PIBmax. Ceci fait, elle partirait ensuite en croisade pour convaincre le reste du monde de l’imiter.

 

Conséquences directes et effets collatéraux

Partons de cette hypothèse PIBmax et essayons d’imaginer les conséquences directes et les effets collatéraux d’une telle mesure.

En toute rigueur, il faudrait construire un simulateur numérique à partir d’un modèle, et le laisser tourner sur cette donnée d’entrée. Sans l’aide de ce simulateur, on peut tout de même imaginer quelques effets immédiats, avec toutes les précautions utiles dans ce genre d’exercice de prévision.

Il faut distinguer les effets courts termes/longs termes, nationaux/internationaux.

Un gouvernement s’engageant dans une politique de PIBmax devrait l’avoir préalablement inscrit dans son programme et avoir été élu pour le mettre en place. On peut penser que ce gouvernement l’aurait astucieusement associé à l’instauration du revenu universel (RU). L’association RU et PIBmax pourrait objectivement séduire une majorité d’électeurs lassés des crises économiques, de la précarité, de l’inflation et du déclassement.

Passons cette étape, et imaginons que la double mesure soit votée.

Comment l’appliquer concrètement ? Il faut financer le RU sans compter sur la croissance économique, puisque celle-ci a été artificiellement limitée.

Comment limiter ensuite le PIB ? Doit-on arrêter toute activité humaine au 250e jour de l’année lorsque PIBmax est atteint ? Doit-on redistribuer le PIB excédentaire interdit ? si oui, vers qui ou quoi ? au détriment de qui ? Comment les catégories actives, les forces vives de la nation pourraient accepter ce « shut down » économique ? les entreprises, startups, ETI, grands groupes pourraient-ils s’adapter à cette discontinuité ? La création de valeur ne serait-elle pas immédiatement transférée aux pays voisins qui n’ont pas fait le choix de PIBmax ? Individuellement, les talents, ingénieurs, chercheurs, créateurs de pépites industrielles ne seraient-ils pas tentés par la délocalisation ?

Bien entendu, nous n’avons pas la prétention d’apporter des réponses à ces questions. Nous en dressons seulement une liste qui pourrait accompagner la construction d’un simulateur d’impact.

Poursuivons notre réflexion.

La France installe le double dispositif RU-PIBmax. Comment faire face à l’afflux de réfugiés économiques qui, de manière très rationnelle, vont rapidement frapper à la porte et prétendre au RU ? Comment le financer si, par ailleurs, on a coupé le robinet des recettes par la limitation PIBmax ?

C’est à l’échelle internationale que les effets du PIBmax seraient les plus dévastateurs : l’industrie française résiduelle, celle qui n’aurait pas délocalisé ses moyens de production et de vente, ne serait plus en mesure d’être compétitive sur le marché mondial. Elle sortirait des mécanismes de marché et devrait se contenter du marché intérieur, lui aussi fortement impacté par la règle du PIBmax et par les turbulences sociales face à une promesse de RU non tenue dans le temps. On imagine où se situerait la note de la France sur les marchés financiers et le niveau de la dette française post PIBmax…

En dehors de nos frontières, comment espérer convaincre 98 % de la population mondiale des bienfaits de la décroissance ?

Comment expliquer au gouvernement du Nigeria qu’il faut décroître ? Comment parler aux pays d’Afrique de l’Ouest qui ne sont plus les amis naturels de la France ? Comment convaincre l’Inde,  l’Asie, l’Amérique du Sud, les BRICS que les chemins du progrès technologique, de la croissance économique ne mènent nulle part et que seule la France sait comment ils doivent corriger leurs trajectoires dans une planète qui brûle ? Quelles seraient alors leurs réponses ?

À l’heure actuelle, la décroissance n’est pas une option acceptable dans 95 % du monde. La partition Chine – USA, la guerre russo-ukrainienne nous ramènent aux rapports de forces géopolitiques qui ont produit les deux guerres mondiales.

Chaque camp se prépare à la confrontation dans une croissance absolue, universelle, qui se situe à l’opposé de ce qu’on imagine dans certains salons parisiens. L’arrogance française, bien connue au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie serait immédiatement dénoncée. On entendrait alors ce type de reproches : « Mais qui sont ces Français donneurs de leçons qui ont profité de la croissance pendant plusieurs siècles et qui veulent nous l’interdire ? » ; « Quelle est la légitimité de la France (et de la vieille Europe) dans le choix stratégique du développement de l’Asie, de l’Afrique, du Moyen-Orient ? »

Comment oserions-nous donner des leçons au reste du monde alors que nous avons du mal à gérer notre propre déclassement ?

L’idée d’une croisade planétaire affirmant les bienfaits de la décroissance est une forme de néocolonialisme cognitif arrogant. C’est une utopie idéologique destructrice pour le rayonnement et la crédibilité de la France à l’étranger.

D’un point de vue strictement comptable, avec 1 % de la production mondiale de CO2, une décroissance forcée de type PIBmax n’aurait par ailleurs aucun impact dans le bilan mondial.

 

La décroissance n’étant pas la solution, que faire ? 

Il existe une autre voie que celle de la décroissance unilatérale pour lutter contre le réchauffement climatique.

Cette voie est celle du progrès technologique mis au service de la résolution du défi climatique. C’est précisément la stratégie choisie par la Chine et l’Amérique du Nord pour limiter, puis résoudre la crise.

Il y a fort à parier qu’à l’horizon 2050 nous disposerons des premiers outils technologiques de maitrise physicochimique de l’atmosphère, déployables à l’échelle planétaire. Il s’agit initialement de prévisions de la NASA, et de l’astrophysicien Carl Sagan réévaluant l’échelle de Kardachev proposée en 1964 pour la classification des civilisations technologiques. La maitrise de l’atmosphère est l’une des sous-conditions de développement des civilisations de type I, avec la conquête du système solaire, de ses sources d’énergie et de ressources.

Bien entendu, les théoriciens de la décroissance répondront immédiatement qu’il ne s’agit que de promesses relevant d’un technosolutionnisme béat face au défi climatique. Ils décrètent que le progrès technologique n’est pas et ne sera jamais une solution efficace.

Cette réponse est aujourd’hui quasi automatique chez les anticapitalistes technophobes. Là aussi il y a un verrou idéologique à dépasser. À la base de tout progrès scientifique, il y a toujours une phase de technosolutionnisme. C’est la phase du « Allo Houston, on a un problème. On va le résoudre ! ». La solution technologique viendra après, car il n’existe aucune raison objective pour que cette solution n’apparaisse pas.

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