Par Johan Rivalland.
Frédéric Beigbeder est un homme médiatique et, par certains côtés, sans doute souvent excessif. Pour autant, il dispose de certaines qualités et est capable aussi d’introspection. À travers son dernier livre, son témoignage est celui d’un repenti, qui affirme chercher à confesser – non sans une bonne dose d’humour et de provocation – ses erreurs ou dérives passées. Faisant preuve, de la sorte, d’une certaine sagesse et surtout de réflexion.
Refuser les formes de censure
Il commence par expliquer comment des individus – à la grande frayeur de ses enfants en bas âge – se sont introduits en pleine nuit dans son jardin en 2018, puis ont enduit sa maison et sa voiture de peinture et de tags le traitant de violeur et de salaud, pour avoir signé une pétition contre la pénalisation des clients de prostitués. Lui, amoureux des livres et des débats d’idées, préférerait de loin, dit-il, engager le débat avec eux autour d’un verre, plutôt que de devoir endurer une violence qui, comme dans le cas de Salman Rushdie, qu’il cite, peut aller très loin dans la démesure et l’horreur.
Si les livres ne peuvent plus raconter les crimes et délits, comment allons-nous sonder l’âme de l’homme ? Est-il raisonnable de penser qu’un art moral peut améliorer les humains ? Pol Pot a sincèrement essayé de « rendre les hommes plus purs » en exterminant les porteurs de lunettes. 1,7 million de morts plus tard, la poésie khmère n’a pas énormément progressé… et il y a toujours des Cambodgiens myopes. La purification des œuvres ne nous empêchera jamais d’être humainement faillibles.
En cette époque où le wokisme et autres formes de censure sévissent de manière très inquiétante, il est donc en effet souhaitable de chercher à défendre une culture en péril face aux assauts répétés de ceux qui entendent la dépouiller de toute aspérité jusqu’à l’affadir ou l’orienter dans la direction qu’ils entendent imposer.
Frédéric Beigbeder poursuit son pamphlet en évoquant quelques faits marquants de victimisation qui l’ont touché comme d’autres, entretenus par certains médias complaisants et aux méthodes peu orthodoxes. Se trouvant acculé à devoir évoquer brièvement sans s’y attarder comment la vie d’un hétérosexuel blanc âgé de plus de 50 ans et, circonstance sans doute aggravante, né à Neuilly, n’est pas ou n’a pas été forcément la vie idyllique que d’aucuns pourraient imaginer. Loin de là. Sans tomber pour autant totalement dans l’impudeur, mais en temporisant surtout les excès de victimisation dans l’air du temps.
On est tous victimes de quelque chose ou de quelqu’un. Ceux qui n’ont pas été violés ont été battus. Ceux qui n’ont pas été battus ont été abandonnés. Ceux qui n’ont pas été abandonnés ont été pauvres. Ceux qui n’ont pas été pauvres ont vu leurs parents se déchirer. Ceux qui n’ont été ni violés, ni battus, ni abandonnés, ni pauvres, ni témoins de violences conjugales ont perdu toute leur famille dans un accident de voiture, ou avaient un père alcoolique, ou une mère toxicomane, internée à Sainte-Anne. Il n’y a pas d’un côté des victimes et de l’autre des bourreaux. Il n’y a que la phrase de Sartre : « L’important n’est pas ce qu’on fait de nous mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. »
Si on ne souhaite pas rester une victime jusqu’à sa mort, on peut aussi sortir de ce statut et se reconstruire. Le message de ce livre est clair : je préfère être une ancienne victime qu’une victime professionnelle.
Le tribunal médiatique
Derrière l’humour, on sent la détresse d’un homme médiatique, dont la vie n’a pas été le long fleuve tranquille que certains présument, mis en demeure de devoir perpétuellement se justifier, procéder à son autocritique, répondre aux assauts de tel « écoféministe », tel journal, tel ou tel accusateur lui reprochant de simples prises de position, voire une conversation privée remontant à de nombreuses années, en oubliant au passage ses actions antisexistes lui ayant parfois valu sa place, et confondant pour nombre d’entre eux l’amour et la guerre ; quand d’autres encore ne nient pas tout simplement la différence des sexes.
Ce que réclame Frédéric Beigbeder, c’est le débat. L’immense majorité des mâles hétérosexuels ne demandent pas mieux que d’envoyer en prison les agresseurs sexuels, insiste-t-il. Mais dans le respect des principes fondamentaux du droit, et non en rendant justice sur un plateau de télévision, en « balançant des noms sans preuve sur les réseaux sociaux » et en ne respectant aucunement la présomption d’innocence, en se situant sur le terrain de la posture médiatique.
Tourner le dos au conformisme
Ce qui est intéressant dans le livre de Frédéric Beigbeder est à la fois le regard d’un homme sur lui-même et son passé, arrivé à un âge charnière (la cinquantaine), mais aussi et peut-être surtout la manière dont il prend conscience de son « conformisme » (c’est le terme qu’il utilise), alors qu’il s’était toujours voulu « transgressif » (il n’hésite pas à l’assumer également).
Loin d’être une fête permanente, la vie est bien plus fragile et profonde que ce que l’on veut bien en faire lorsqu’on se sent encore jeune et relativement insouciant. Et au-delà de l’humour relativement sombre, c’est plutôt à la confession d’un homme révolté que l’on a plutôt le sentiment d’assister. Celle aussi d’un homme qui a versé dans les excès et s’en repend aujourd’hui, mettant en garde ses lecteurs contre l’idée de suivre un chemin analogue (il évoque d’ailleurs l’attrait pour la ravageuse et mortelle cocaïne qu’ont pu constituer pour lui des films, romans ou chansons des années 1980, avant de tomber sous l’influence de son entourage et… du conformisme, souvent caractéristique de la jeunesse influençable plus encore que les autres classes d’âge).
De confession, il est bien question. Le reste du livre est composé de chapitres d’une crudité presque sans limites, entre ironie et mea culpa. Le mea culpa d’un homme mi-pessimiste, mi-déprimé, à l’ornière de deux générations, qui fait mine de se repentir de ne pas être parvenu à être un homme « déconstruit ». Faisant référence à plusieurs reprises à Virginie Despentes et Annie Ernaux, il dresse un portrait assez pathétique et plein d’autodérision de l’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans, faisant mine d’entrer dans leur jeu. Mais il s’adresse avant tout aux femmes et aux hommes qui ont une conception moins idéologique de la vie, leur laissant malgré tout un message porteur d’espoir et non dénué d’un sens profond de l’ironie.
Frédéric Beigbeder, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Albin Michel, avril 2023, 176 pages.
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