La propriété privée n’est pas un concept intuitif ou
évident puisqu’elle n’a jamais pu s’établir pendant 4000 ans. Ce n’est qu’avec
les Lumières et les révolutions anglaises, puis françaises et européennes que
la propriété devient un droit de l’Homme reconnu par le pouvoir et qui lui est
opposable. La propriété est ici garantie par l’administration en dehors de
toute éthique imposée. Elle devient privée c’est-à-dire que tous
ceux, pouvoir compris, qui n’ont pas de droits de propriété sur un bien
sont officiellement privés de cette propriété.
Le pouvoir libéral, protecteur de la propriété, et privé
de la promulguer
Le pouvoir assure la protection de la propriété de façon
neutre en s’assurant seulement que les règles de son acquisition répondent à
des principes simples : chaque individu est propriétaire de son corps, de ses
talents et des fruits de son travail. Toute propriété acquise par l’échange
volontaire ou le don est considérée comme régulièrement constituée.
En même temps qu’il protège la propriété, le pouvoir en
assure la publicité. Tous les autres doivent être clairement informés
de ce que chacun possède afin de ne pas le revendiquer.
Les terres, les maisons, les moyens de production, deviennent des
propriétés privées, c’est-à-dire garanties par l’administration et dont tous
les autres savent avec certitude qui les détient.
C’est parce que la propriété est garantie, protégée et reconnue que chaque
individu peut obtenir des prêts, former une société, accumuler du capital,
obtenir la confiance de ses fournisseurs et de ses clients. C’est le modèle de la société dite capitaliste (on devrait
dire capitalienne) qui est en rupture totale avec les précédentes
organisations. Le principe révolutionnaire énoncé en 1789 garantit à tous, aux
plus faibles comme aux plus forts, la reconnaissance et la défense de leur
propriété :
Le but de toute association politique est la conservation
des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté,
la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
Première conséquence de cette reconnaissance : le pouvoir se
doit d’abolir toute forme d’esclavage. Le capital humain est reconnu en tant
que tel et appartient uniquement à chaque individu en propre.
L’incompréhension socialiste de la propriété privée
Les socialistes n’ont jamais accepté ni même bien souvent
compris ce renversement des valeurs dans lequel les hommes de l’État
post-révolutionnaire sont chargés de protéger la propriété et non plus de la
promulguer.
Dans le régime libéral le capital humain et tout ce qui en
découle sont la source de l’éthique. La propriété n’est plus soumise à une
éthique définie par le pouvoir, elle en devient l’un des constituants
majeurs, sans toutefois être la seule. Dès l’origine John Locke met
des limites à l’appropriation et exclut que l’on puisse « corrompre et
rendre inutile » ce qui existe. Il existe donc dans la philosophie
libérale d’autres sources morales que la propriété, et le bien commun doit être
pris en compte. Que la propriété individuelle soit au fondement de la morale et
du bien commun est très difficilement compréhensible par les socialistes, largement
influencés par les morales religieuses qui ont toujours considéré de façon
hostile l’accumulation individuelle des richesses, y compris et surtout si
elles résultent de l’échange volontaire.
Incapables de modéliser ce nouvel ordre spontané dans
lequel le capital humain n’est plus entravé par le pouvoir, les socialistes
inventeront la notion de capitalisme, une fiction dans laquelle des
forces organisées (la bourgeoisie) complotent pour asseoir leur pouvoir. Il n’y
a pourtant jamais eu de mouvement destiné à inventer ou promouvoir le capital ;
aucun guide, aucun grand timonier, aucun mouvement politique n’a créé le
capitalisme rêvé par les socialistes. Les théoriciens de la société
capitaliste, les économistes, les rédacteurs de la DDH de 1789, ne font
que reconnaître, constater ou expliquer le phénomène. Le capital est un
fait naturel lié à la nature de l’Homme, ce n’est ni une doctrine, ni un
mouvement politique et il ne peut être affublé du suffixe -isme.
La propriété privée en tant qu’ordre social
Dans le modèle libéral, la propriété privée n’existe
qu’après l’impôt régalien. Celui-ci n’est jamais du vol puisque la propriété ne
devient privée, donc stable, garantie et publique, qu’après l’action
du pouvoir.
Au-delà de l’impôt destiné à couvrir les dépenses
régaliennes de l’État, d’autres impôts peuvent être considérés comme des
facilitateurs de formation du capital : le financement de l’éducation publique
est destiné à augmenter le capital humain, celui des infrastructures à
faciliter les échanges, donc le développement du capital. Les philosophes
libéraux classiques, Hayek compris, n’excluent pas une forme de
redistribution émanant du gouvernement si celle-ci ne fausse pas les mécanismes
du marché.
Si l’ordre libéral abolit la collectivisation de la
propriété, il faut bien comprendre qu’il instaure une autre forme de collectif.
Tout le monde, c’est-à-dire la population du monde entier, doit admettre de gré
ou de force que la propriété d’un individu ne peut être réclamée par aucun
autre individu ou groupe d’individus. L’État régalien, police, justice,
garantit cette propriété à l’intérieur du pays ; l’armée est chargée de
dissuader le reste du monde de toute atteinte à cet ordre interne. Ce constat
peut être résumé par une formule : l’ordre ancien et les socialismes
organisent la propriété collective ; l’ordre libéral organise la non-propriété
collective.
L’ordre libéral repose donc lui aussi sur un équilibre
social.
L’État garant de la propriété privée peut aussi devenir
son ennemi
Dans la conception libérale classique, l’État, émanation
du peuple réuni en nation, est donc le garant de la
propriété-droit-de-l’Homme. Ce sont les hommes de l’État qui transcrivent ce
droit naturel en droit positif et transforment la propriété-droit-de-l’Homme en
propriété effectivement privée pour tous les autres. Mais l’État peut
aussi devenir son ennemi s’il dépasse ses prérogatives.
L’impôt peut ainsi devenir abusif, démesuré, oppressif, s’il s’oppose à la
propriété-droit-de-l’Homme, c’est-à-dire s’il empêche la formation ou le
maintien du capital humain. Il devient alors une forme de spoliation légale.
L’ordre libéral n’est donc jamais acquis. En tant qu’ordre
spontané il est massivement promu par ceux qui, en dehors de toute idéologie, cherchent
naturellement à développer leur capital humain. Mais il est combattu par les
mêmes individus qui au sein du gouvernement ou à travers des lobbies cherchent
à imposer leurs morales : socialiste, écologiste, hygiéniste, identitaire,
islamiste.
Le poids politique des libéraux conscients est aujourd’hui extrêmement faible
dans cet équilibre.
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