Par André Heitz.
L’« ONG indépendante » – c’est un concept nouveau mais c’est ainsi qu’elle se présente sur mon moteur de recherche favori – Pollinis est manifestement désireuse d’acquérir une stature internationale.
Elle a été à la manœuvre pour le lancement d’un appel présenté ainsi sur son site en français : « Risque des biotechnologies pour les pollinisateurs : l’appel des scientifiques ».
Notez l’article défini…
En chapô :
« Plus de 100 scientifiques, experts et organisations ont lancé un appel sur les dangers des biotechnologies génétiques pour les pollinisateurs. Ils demandent aux décideurs internationaux l’application du principe de précaution, pour éviter que la dissémination des organismes issus des ces biotechnologies ne précipite le déclin en cours des pollinisateurs. »
Voilà déjà une nuance de taille !
Selon les « points forts » de la version originale, en anglais, l’appel émane « d’éminents scientifiques, experts politiques et organisations ». Vraiment ?
En parcourant la liste, je n’ai trouvé que trois noms connus liés à l’abeille : un chercheur réputé de l’INRAE ; un autre qui fut scientifique en chef d’Apimondia, qui milite contre les pesticides ; un troisième présenté parfois comme un chercheur à gages. Il y en a certes d’autres, mais sans grande envergure médiatique (ce qui ne dit rien sur leur compétence dans leur domaine).
En parcourant la liste, j’ai aussi trouvé par une recherche simple 7 apiculteurs, 2 journalistes, 1 archéologue, 1 ingénieur en mécanique, 1 juriste, le délégué général de Pollinis Nicolas Laarman, 2 membres de l’organisation activiste ETC Group, 2 (au moins) militants anti-OGM…
Pour les spécialistes des biotechnologies, « génétiques » ou non, je cherche encore…
Les organisations se comptent sur les doigts d’une main : Vigilance OGM, Save Our Seed (SOS Group), African Center for Biodiversity, Friends of the Earth US, ETC Group.
Notons encore qu’il y a une pétition complémentaire. Elle est intéressante par les ressorts qu’elle fait jouer pour inciter à la signer (la méchante « industrie », les « grandes multinationales », l’«effondrement »…) – 39 320 signatures à l’heure où j’écris.
Une dépêche de l’AFP…
Il s’est pourtant trouvé quelqu’un à l’Agence France Presse pour produire (ou reproduire) une dépêche absconse, mélangeant tout. Elle a été relayée par des médias, tels Sciences et Avenir et France 24 qui titrent à l’unisson : « Des scientifiques appellent à la prudence envers les biotechnologies génétiques ».
Si le premier paragraphe se réfère à « [p]lus de 100 scientifiques et experts du monde entier », le second se limite aux « scientifiques » (et l’appel devient une tribune) :
« Dans une tribune, rédigée à l’initiative de l’ONG française Pollinis et présentée à Montréal vendredi, les scientifiques (écologues, biologistes moléculaires, généticiens etc.) demandent le « respect du principe de précaution » à l’échelle mondiale « tant que les preuves n’auront pas été réunies établissant l’innocuité des effets directs et indirects d’une application de ces nouvelles biotechnologies génétiques, et de leurs produits, organismes et composants« .
Mais que veulent-ils ?
L’ennui – enfin pour les rationalistes –, c’est que selon les points forts précités,
« Il n’est pas possible de fournir des évaluations de risques robustes et fiables pour garantir que le déclin des pollinisateurs ne sera pas davantage précipité par la diffusion de ces biotechnologies. »
C’est bien sûr faux. Mais cela tombe bien pour les activistes : le « moratoire » ne peut qu’être perpétuel, puisqu’il empêche d’acquérir les connaissances et l’expérience qui permettraient de le lever…
Le moratoire devrait s’appliquer aux « biotechnologies génétiques ». Quésaco ? Le résumé en français cite « les molécules de silençage génique et les organismes de forçage génétique ».
Mais la logique veut que l’expression s’applique aussi aux technologies appliquées aux plantes comme la transgenèse (les OGM au sens classique) et les nouvelles techniques génétiques comme celles qui utilisent CRISPR/Cas-9, qui valut un prix Nobel à la française Emmanuelle Charpentier et l’américaine Jennifer Doudna.
L’activisme anti-OGM n’est du reste pas loin. Selon le résumé en français :
« Les signataires concluent en rappelant qu’il est « vital d’encourager l’intensification écologique pour l’amélioration des rendements agricoles, plutôt que d’utiliser des biotechnologies qui risqueraient de mettre en danger des écosystèmes complets« ».
Faire peur… au conditionnel
Dans leur longue « explication » agrémentée de 77 références, les auteurs de l’appel/tribune s’emploient à décrire les potentiels effets dévastateurs que ces technologies pourraient avoir. En succombant à des exagérations et en coupant quelques angles… Ainsi :
« Les organismes dotés d’un forçage génétique sont expressément conçus pour se propager, créer des changements à grande échelle dans les populations naturelles et ainsi transformer des écosystèmes entiers. Esvelt & Gemmell (2017) notent que la création d’un système de forçage génétique standard, auto-propagateur, basé sur CRISPR, est « équivalente à la création d’une nouvelle espèce hautement invasive » qui peut se propager à n’importe quel écosystème dans lequel il est viable, « causant éventuellement un changement écologique« . »
Les auteurs cités ont utilisés par deux fois le mot « likely » : « est probablement équivalent » et « se propageront probablement ». La première occurrence n’est pas reflétée dans l’appel/tribune.
Et voyons de plus près.
Selon les lois de la génétique (loi de Hardy-Weinberg), en l’absence de pression de sélection, de migration et de mutation, la fréquence d’un allèle (une version particulière d’un gène, appelée communément « gène ») est inchangée d’une génération à l’autre. Un organisme doté d’un allèle donné à un exemplaire le transmettra à la moitié de sa descendance. Le forçage est un mécanisme qui lui permet de le transmettre à toute sa descendance. La fréquence de l’allèle va donc augmenter et théoriquement atteindre 100 %.
Le forçage génétique a été envisagé pour éradiquer une espèce invasive – par exemple le rat dans certaines îles – ou vectrices de maladies – par exemple le moustique-tigre vecteur du chikungunya, de la dengue, de Zika… Pour cela, la construction génétique forcée comporterait un élément qui rend les femelles stériles ou non viables, ne laissant prospérer que les mâles jusqu’à ce qu’il ne reste plus de femelles (les tests en cours en milieu naturel n’utilisent pas le forçage génétique).
Mais ce n’est pas la seule application possible ! Empêcher le moustique-tigre d’héberger un virus dangereux pour l’Homme ne modifie en rien « des écosystèmes entiers »… La première phrase du paragraphe précité est donc fausse.
Mais tout est bon pour impressionner les délégués à la COP15, à condition évidemment que cet appel/tribune arrive sur leurs tables. À voir les retours d’informations, cela semble loin d’être le cas. ETC Group, expert en communication et pourtant signataire de l’appel/tribune, n’en a pas fait la promotion sur son site. C’est un signe (à moins que ETC Group défende son pré carré, le monde des ONG n’étant pas un monde de bisounours).
L’abeillecalypse, relayée par France Info
L’appel/tribune est disert sur un autre risque :
« Il est possible que les organismes dotés d’un forçage génétique puissent transmettre des gènes modifiés à des espèces étroitement apparentées, comme les insectes pollinisateurs, par la propagation verticale des gènes par le biais du flux de gènes. Ils pourraient également affecter d’autres espèces non ciblées par le biais du transfert horizontal de gènes. »
Ce colossal risque a fait mouche chez Mme Marie Dupin pour sa chronique matinale sur France Info (c’est le service public audiovisuel…).
Elle a donc déroulé des « [e]xplications avec l’agent secret OX5034, un moustique qui partage avec James Bond le permis de tuer ».
Le premier problème est qu’elle a allégrement produit un gloubiboulga, mélangeant une technologie d’Oxitec – un moustique-tigre qui n’est pas doté d’un forçage génétique et a été testé avec succès au Brésil et aux États-Unis d’Amérique – avec les plantes génétiquement modifiées ou éditées. Et voici le clou :
« Pourquoi ces produits si attirants ont-ils autant de détracteurs ? Prenons l’exemple du moustique OX5034. Comme tout bon agent secret, il a la fâcheuse habitude de survivre et ne recule devant aucun obstacle pour mener à bien ses missions. Et tant pis si ses gênes modifiés se transmettent à d’autres espèces animales et notamment les pollinisateurs, les abeilles sauvages ou domestiques, essentielles à la biodiversité et à la production agricole. »
Non, le moustique OX5034 n’a pas « la fâcheuse habitude de survivre ». Il est qualifié d’« autolimitant ». La technologie en cause implique un apport régulier de mâles modifiés dans le milieu à assainir.
Et on imagine un moustique OX5034 forniquant avec une abeille (une reine dans une ruche…) et refourguant ses méchants gènes modifiés à la descendance de l’abeille qui, par miracle, serait de l’espèce abeille…
Mais, en fait, ce n’est pas le clou :
« Tant pis, si en éliminant les moustiques femelles, il bouleverse la chaîne alimentaire des grenouilles, des oiseaux, des chauves-souris. »
Nous disons pour notre part : tant pis pour les victimes de la dengue, du paludisme, etc.
Tant pis aussi pour la qualité de l’information.
Épilogue : rien que des frais, rien que des frais
La langue allemande a une belle expression : « ausser Spresen, nichts gewesen ».
Un projet de décision sur la biologie de synthèse a été présenté à la plénière le 16 décembre 2022. Il porte essentiellement sur les procédures d’un « [p]rocessus d’analyse prospective, de suivi et d’évaluation élargi et régulier », avec des activités qui seront entreprises « sous réserve de la disponibilité des ressources ».
La sort de cette décision est incertain à l’heure où j’écris, mais il n’y a pas de raison de ne pas l’adopter dans la liesse. Il n’y a aucune référence à ce texte dans le projet de décision « Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal » présenté par le président et adopté par la Conférence.
Il y a toutefois un considérant intéressant dans le projet de décision sur la biologie de synthèse :
« Rappelant les paragraphes 9 à 11 de la décision 14/19, et demandant aux parties et aux autres gouvernements, compte tenu des incertitudes actuelles concernant le forçage génétique, d’appliquer un principe de précaution, conformément aux objectifs de la Convention ».
En résumé, ce remue-ménage et ce lobbying a porté sur une question déjà traitée et résolue à Sharm El-Sheikh en novembre 2018.
Si vous voulez savoir à quoi servent vos dons, le cas échéant…
Et, comme les dons donnent droit à une déduction fiscale, en pratique – si l’on exclut les 210 € de cotisations (oui… 210…) et quelque 500 euros de produits –, l’association est financée à 66 % aux frais de l’État.
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