Par Yves Montenay.
Une partie des écologistes ne voit que la décroissance comme solution aux problèmes de l’environnement. C’est l’appel lancé dans Le Monde avec véhémence par Delphine Batho, coordinatrice nationale de Génération écologie et ancienne ministre de l’Écologie. Elle illustre ainsi sa méconnaissance des fondamentaux de la croissance.
Delphine Batho tient le raisonnement suivant : pour produire ce que nous consommons, il faut des matériaux et de l’énergie et il en faut encore pour les transporter et les amener jusqu’à nous.
La solution qu’elle propose est donc de moins consommer, donc de produire moins.
La face cachée de la décroissance : les limites des énergies renouvelables
J’ajoute ce qu’elle ne dit pas : les énergies renouvelables ne suffiront pas pour maintenir le niveau de vie actuel parce qu’elles sont intermittentes et ne livrent qu’une petite partie de la puissance installée.
Le solaire ne fonctionne pas la nuit et l’éolien ne fonctionne que s’il y a du vent. On vient d’ailleurs de constater 15 jours sans vent en Allemagne et la nuit tombe tôt en hiver, avant la pointe de la consommation électrique.
Cette intermittence nécessite donc une énorme masse de batteries pour stocker l’énergie pour faire face aux périodes improductives. Or on ne sait pas aujourd’hui produire ces batteries à des coûts raisonnables et elles requièrent elles-mêmes des matériaux rares et de l’énergie pour être fabriquées… C’est aussi le cas pour les panneaux solaires et les éoliennes.
Cette intermittence exigera également une refonte profonde des réseaux électriques qui sont aujourd’hui « en étoile » autour de centrales électriques puissantes, qu’elles soient nucléaires, au charbon, au gaz ou au pétrole…
Pour les écologistes, il faut donc une énergie 100 % renouvelable qui ne fonctionnera qu’à une faible partie de sa capacité, donc des installations gigantesques, elles-mêmes néfastes à l’environnement pour leur construction… puis leur fin de vie. C’est-à-dire des investissements colossaux.
Remarquons que dans l’esprit des écologistes, cet objectif d’énergie 100 % renouvelable exclut le nucléaire, qui pourtant n’émet pas de CO2.
Comme la transition écologique signera la perte des investissements gigantesques fait dans les énergies fossiles, il vaut mieux baisser au maximum les besoins en énergie et donc, d’après les écologistes, diminuer toutes les activités humaines.
Or ce lien implicite entre activités humaines et énergie est contestable, ainsi que je vais le démontrer ci-après.
À quoi ressemblerait la décroissance ?
Diminuer les activités humaines peut se faire en fermant des entités, surtout des entreprises dans la plupart des pays et d’abord celles consommant beaucoup d’énergie. Ces fermetures d’entreprises auraient pour conséquence une chute à la fois de l’emploi et des biens à disposition.
Certains imaginent abstraitement que l’on pourrait freiner cette chute de l’emploi par une régression de la technologie.
Cette idée n’est pas nouvelle, illustrons-la par une petite anecdote d’Alfred Sauvy :
« Jeune conseiller, Sauvy accompagne dans une visite un ministre des Travaux Publics.
– Monsieur Sauvy, tout cela est admirable, mais imaginez le nombre d’emplois qu’on pourrait créer si au lieu de pelleteuses ces hommes avaient des pelles !
– Vous avez raison, monsieur le ministre, et si au lieu de pelles ils avaient des cuillères… »
Bref, revenir sur les technologies engendre soit une chute des salaires (il faut dix ou mille fois plus de personnes pour faire la même chose), soit une hausse vertigineuse des prix. Dans les deux cas, cela entraîne une chute du niveau de vie.
À quoi les partisans de la décroissance répondent : arrêtons de faire des chantiers et de construire ! Faisant rapidement fi des besoins en infrastructures et en logements.
Alfred Sauvy parlait de la technique de son époque.
Aujourd’hui on dirait : « fermons les ordinateurs et tous les centres de données (data centers) faisant fonctionner Internet », qui sont effectivement énergivores, sans parler de la pollution lors de leur fabrication et de leur fin de vie.
Réponse des partisans de la décroissance : « reprenons les papiers, les stylos, utilisons la poste (à pied bien sûr et avec le tri du courrier à la main) ».
Même question : combien coûtera alors le timbre ou quel montant d’impôt faudra-t-il pour sauver la poste ?
Et puis si l’on bloque tout pourquoi continuer à faire de la recherche ? « Je n’ai jamais dit qu’il fallait bloquer la recherche médicale » diront les partisans de la décroissance.
Mais la recherche, notamment médicale, et surtout la mise en place des découvertes, demande toutes sortes de matériels qui deviendront hors de prix ou inutilisables si l’énergie est rationnée.
La découverte rapide et la distribution massive des vaccins anti-covid en Occident a été réalisée grâce à des alliances entre chercheurs et entreprises industrielles.
En résumé, les partisans de la décroissance nous disent que le statu quo est catastrophique et que la décroissance le sera aussi avec comme seule différence que la planète sera sauvée dans le deuxième cas.
En fait, je pense qu’ils ont mal posé le très réel problème de l’environnement : ce n’est pas la croissance qu’il faut accuser mais ce qui pose réellement problème, comme par exemple la consommation de charbon.
Regardons ça de plus près.
La croissance est de moins en moins liée à la consommation d’énergie
La croissance, c’est en gros l’augmentation du niveau de vie. Ce n’est pas forcément lié à une augmentation de la consommation d’énergie. Et ça l’est d’autant moins que le pays est développé.
Pourquoi ce décrochage entre croissance et émissions de CO2 dans les pays développés ?
Tout simplement parce que la production a d’abord été celle de la nourriture et des vêtements puis le chauffage. Tout cela demande certes de l’énergie, mais une fois le gros des besoins satisfaits la consommation plafonne ensuite dans les pays développés car nous n’avons pas deux estomacs, nous sommes suffisamment couverts et suffisamment chauffés.
Cela mène à deux autres questions :
- Qu’en est-il des pays moins développés ?
- Pourquoi la croissance continue avec de moins en moins d’énergie dans les pays développés ?
Le cas des pays en développement
Leur position, répétée une fois de plus pendant la COP 27, est la suivante :
« Ce n’est pas nous qui avons émis la masse du CO2 dans l’atmosphère. Or on veut bloquer notre développement pour limiter les émissions. Nous refusons. Et notamment nous allons continuer à rechercher du gaz et du pétrole et à l’exploiter pour pouvoir nous développer. De plus, nous demandons des fonds importants pour réparer les dégâts à l’environnement qui ont été causés par les pays développés »
Or, nous l’avons vu, c’est justement pendant le développement que la croissance demande de l’énergie : remplir les estomacs, s’habiller mieux, se chauffer ou pire encore en matière énergétique, climatiser.
C’est-à-dire concrètement que les pays pauvres revendiquent le droit de multiplier les transports d’hommes et de marchandises, de construire des voitures et des camions, de les alimenter en carburant… Bref la catastrophe pour les promoteurs de la décroissance.
Ces derniers ont quelques arguments, mais qui sont inaudibles pour les intéressés :
« Pourquoi viser le niveau de vie des pays riches et détruire la planète ? »
« Pourquoi continuer à rechercher et à exploiter du pétrole et du gaz si l’argent correspondant va nourrir une classe politique corrompue et inefficace, sans accélérer le développement ? ».
Il y a du vrai dans ces arguments… mais en pratique ce sont les gouvernants dont certains corrompus qui représentent les pays en développement et n’ont pas intérêt à renoncer aux flux financiers liés à l’exploitation du pétrole et du gaz dont une partie leur bénéficiera personnellement.
Les négociations internationales se font entre gouvernants et se terminent par des compromis. Les arguments des décroissants ne seront donc pas entendus.
Tout au plus les circuits financiers peuvent être canalisés vers des choix techniques moins néfastes pour l’environnement. Par exemple en privilégiant un financement de solutions énergétiques via le nucléaire. Mais les décroissants ne sont pas prêts à l’admettre.
Ce n’est donc pas ce côté-là qu’il faut chercher des solutions.
Par ailleurs la démocratie est liée au développement : les pays les plus développés sont les démocraties et demander de renoncer au développement présente l’inconvénient de maintenir les peuples non seulement dans la pauvreté mais aussi dans l’autocratie.
À supposer que la décroissance globale ménage la possibilité de se développer aux pays pauvres, le corollaire pour compenser sera d’accentuer encore plus la décroissance dans les pays riches, donc la baisse encore plus forte du niveau de vie, ce qui sera démocratiquement et probablement matériellement impossible.
Bref, mettre l’accent sur la décroissance ne donne pas de solution au problème des pays pauvres. C’est une autre illustration que le problème est mal posé.
Analysons plutôt pourquoi la croissance des pays riches demande de moins en moins d’énergie et comment cela peut nous inspirer pour le futur développement des pays pauvres.
À mon avis, ce moindre recours à l’énergie dans les pays développés a deux raisons : la productivité et le fait que la croissance est de moins en moins physique.
Croissance et productivité
Il y a certes un gaspillage dans les domaines de l’alimentation, du vêtement et du chauffage mais le progrès technique diminue peu à peu ce gâchis. Les entreprises s’y mettent et leurs profits sont une bonne mesure de la diminution du gâchis. Je parle des entreprises normales et non pas des entreprises rentières ou proches du pouvoir.
C’est très clair dans mon ancien métier, la gestion de l’énergie dont le poste principal est le chauffage.
En simplifiant, disons que les bâtiments neufs des années 1950–70, HLM, universités, hôpitaux… de cette grande période de construction étaient beaucoup plus mal isolés que les plus anciens qui dataient d’une époque où l’on ne pouvait pas se chauffer facilement.
Ces bâtiments mal isolés étaient chauffés par d’énormes installations au charbon peu souples et la température des appartements étaient réglées en ouvrant les fenêtres !
Le passage au fioul puis au gaz ou à l’électricité, parallèlement au progrès de l’électronique et notamment des régulations, a permis de régler beaucoup plus finement les consommations, tandis que l’isolation a progressé.
Et je passe sur les ampoules LED, les pompes à chaleur et plus généralement la meilleure connaissance du problème.
Bref, la productivité a augmenté comme dans la plupart des métiers depuis plus de deux siècles. Sinon nous aurions encore le niveau de vie de la majorité de la population avant la révolution industrielle sous Louis XV, c’est-à-dire pas très supérieur à celui des paysans du sud que l’on plaint aujourd’hui.
Voir les travaux de Jean Fourastié, célébrité mondiale mal connue en France et que je résume par la formule : « la croissance, c’est la productivité ». Cette productivité vient du progrès technique, des progrès de l’organisation politique et économique, le tout fortement aidé par la diffusion de l’enseignement.
Cela nous donne une piste pour sortir du dilemme posé par les décroissants : bloquer le développement du sud ou tuer la planète. Les pays pauvres ne suivront probablement pas le même chemin de développement que celui défriché pendant plus de deux siècles par les pays du nord.
Ils bénéficieront dès le départ d’une meilleure productivité et des connaissances en économie d’énergie. En témoigne le bouillonnement des « jeunes pousses » (startup) africaines, notamment dans l’usage du téléphone portable et qui sont axées sur l’économie d’énergie au sens large, par exemple en évitant les déplacements pour raisons économiques ou médicales, la meilleure gestion des récoltes qui pourrissent trop souvent sur place etc.
D’ailleurs la Chine, un des principaux émetteurs de CO2, est à la fois du nord, par son niveau technique, et du sud, par sa pauvreté encore importante, et elle a multiplié les raccourcis de développement impressionnants.
Une croissance de moins en moins physique
La deuxième raison du fait que la croissance demande de moins en moins d’énergie est que les besoins par personne en objets physiques plafonnent les uns après les autres.
Nous n’avons pas deux estomacs, nous n’allons pas nous chauffer à 30°, les fichiers numériques remplacent le papier dont la production commence par la destruction des forêts et est particulièrement polluante et énergivore.
Ensuite nous utilisons de plus en plus de biens immatériels (ou très peu matériels par rapport à leur coût) comme les services bancaires, l’enseignement, la médecine de base…
Comme la demande d’une grande partie des biens matériels ci-dessus plafonne, ce sont ces biens immatériels plus ou moins bien regroupés par des économistes dans la rubrique « services », qui se traduisent dans les statistiques par ce qu’on appelle la croissance.
Un exemple : passer du chèque au virement. C’est un petit changement d’habitude apparemment anodin mais si les banques nous le demandent c’est qu’il déclenche un gain sensible productivité :
- côté consommateur, ça vous dispense de remplir un chèque et de le déposer ou de le poster.
- côté banque, c’est beaucoup plus important : recevoir les chèques, les traiter, les entrer manuellement en comptabilité, les classer et les garder un certain temps. Sans parler de l’impression des carnets de chèques et des bordereaux de remise.
Un autre exemple est le remplacement des feuilles de maladie par la carte vitale qui a induit massivement des avantages analogues, notamment l’économie de papier, et a permis la diminution du personnel des caisses de maladie, donc du coût de la sécurité sociale et finalement de la santé.
Rappelons que tout ce qui est production de papier est une catastrophe écologique.
Les partisans de la décroissance vous diront : « tout ça c’est bien beau, mais l’explosion démographique entraîne forcément une plus grande consommation de biens ».
Là aussi ils se trompent.
La décroissance démographique est un danger, pas une solution
Avoir moins d’enfants, c’est vingt ans plus tard un effondrement de la production faute de producteurs, pas seulement la production des biens matériels mais aussi des services.
Moins de soignants, moins d’agriculteurs, de boulangers etc. Tout le monde en pâtira mais d’abord les plus faibles. Un résumé brutal pourrait être : « encore moins d’enfants aujourd’hui, c’est tuer les vieux 30 ans plus tard. »
Mais surtout les partisans de la baisse de la population ont plusieurs décennies de retard.
La décroissance démographique est partout hors Afrique subsaharienne.
Si la fécondité continue à être aussi basse au nord, la grande migration de l’Afrique vers le nord ne sera plus une crainte mais une nécessité : on aura tellement besoin de bras qu’on ira les chercher. D’ailleurs cela a déjà commencé : les pays les plus identitaires, ceux d’Europe orientale voient leurs jeunes disparaître soit parce qu’ils ne sont pas nés, soit par ce qu’ils émigrent vers l’Allemagne qui manque cruellement de bras et de bébés depuis des décennies. Et les Allemands payent leurs immigrés bien plus chers que le pays de départ.
Partout, on s’aperçoit qu’on ne pourra pas nourrir ou soigner les vieux et qu’il sera de plus en plus difficile de donner des services de base à toute la population.
La faiblesse de la fécondité oblige partout à retarder le départ en retraite, soit juridiquement, soit de fait puisqu’on encourage par exemple les médecins retraités à retravailler.
La décroissance, une idée totalement décalée par rapport à la réalité
Au nord, la consommation de biens physiques a probablement atteint son maximum et l’augmentation de la productivité fait décroître la consommation d’énergie et de matériaux… sauf celle exigée par les écologistes notamment pour les batteries.
Au sud c’est une levée de boucliers contre l’idée de maintenir les populations dans le sous-développement et de les priver des recherches et de l’exploitation pétrolière et gazière alors que les progrès de productivité du nord permettent un développement mois énergivore.
Partout la chute de la fécondité et le vieillissement commencent à être visibles pour le grand public.
Ce n’est pas la croissance qui attaque la planète : croître avec le nucléaire est préférable à décroître avec le gaz et le charbon. Or c’est ce qui arrive en Europe suite aux pressions politiques des partis écologistes.
Cet appel à la décroissance se révèle donc d’abord comme une ignorance des évolutions fondamentales. Il ne faut pas se tromper de combat : la décroissance n’est pas un but en soi, l’objectif c’est le climat et l’environnement.
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