Par Pascal Richet.
Le principal de ces gaz émis est le dioxyde de carbone (CO2), dont l’équivalent de 36 milliards de tonnes a été émis en 2021, principalement via la combustion de pétrole, de gaz (surtout méthane), de charbon et d’autres substances pour la plupart extraites du sous-sol, d’où l’épithète fossile accolée à ces sources d’énergie. De la fin du XIXe siècle au début du XXIe, la teneur en CO2 de l’atmosphère est ainsi passée de 0,03 à 0,04 %. Cette augmentation aurait engendré une situation tellement préoccupante, entend-on parfois dire, qu’il faudrait qualifier de crime contre l’humanité toute politique ayant pour conséquence d’aggraver le réchauffement de la planète, et de négationnistes ceux qui nient la réalité de l’urgence climatique à l’image de ceux qui nient le drame de la Shoah.
Cesser d’interférer dangereusement avec la nature et assurer ainsi l’avenir des générations futures impose donc de procéder à une transition écologique qui assurera une « neutralité carbone » à l’horizon de quelques décennies. Toute personne sensée partage bien sûr l’opinion selon laquelle il faut ménager les ressources de la planète et limiter autant que possible l’impact des activités humaines afin de préserver en particulier la biodiversité dont l’importance est justement soulignée à l’heure actuelle. La raison s’efface cependant devant l’émotion, voire se dissout dans des attitudes de nature religieuse quand il s’agit de passer à l’acte. Comme on va le voir, des mesures « fortes » arrêtées en Europe dans cet esprit, telle l’interdiction en 2035 de la vente de véhicules à moteur thermique, pourraient en réalité être clairement contre-productives au regard du but visé.
Savoir regarder le gain mais aussi le coût global de la transition
Une évidence trop facilement oubliée est que d’importantes dépenses d’énergie, et les émissions de CO2 qui en résultent, se trouvent derrière tout investissement, qu’il soit d’ailleurs lié ou non à la transition écologique. Le débat actuel sur les transports aériens illustre cet oubli jusqu’à la caricature puisque ne sont comparées que les consommations d’énergie de l’avion et du train ; les coûts économiques et environnementaux respectifs des infrastructures sont laissés de côté bien qu’ils jouent bien sûr un rôle important dans les différences de tarifs relevées entre ces moyens de transport.
A propos de la transition écologique, la question élémentaire qu’il faudrait donc se poser est de savoir si son coût global sera largement compensé ou non par les gains attendus et si l’exploitation des ressources matérielles nécessaires pour le succès de l’entreprise ne se heurtera pas elle-même à de graves problèmes économiques et environnementaux. La généralisation du moteur électrique pour les transports routiers, qui est donc à l’ordre du jour en France, va permettre d’entrevoir l’ampleur sous-estimée des défis technologiques, économiques et miniers à surmonter pour parvenir en quelques décennies à un système reposant sur des énergies renouvelables.
Sur le papier, cette transition électrique des moyens de transport routier a un intérêt environnemental, et même géopolitique, qui n’a pas besoin d’être souligné. Mais comment produire et stocker l’électricité nécessaire et à quel coût ?
Le problème se résume alors à trois questions auxquelles on va répondre par de simples règles de trois :
– quel est le volume annuel de carburant (gazole et essence) consommé en France ?
– quelle serait la quantité d’énergie et la puissance électrique dont on aurait besoin pour assurer les mêmes services ?
– et, puisque les batteries embarquées sont le seul moyen existant pour alimenter en énergie les moteurs de véhicules électriques, quelles seraient les ressources minérales et l’énergie nécessaires pour les produire, ainsi que leur coût de fabrication et les émissions de CO2 afférentes ?
Les données nécessaires pour répondre à ces questions sont disponibles. Elles seront principalement tirées des statistiques publiées pour la France par le Comité Professionnel du Pétrole et, pour les batteries, du récent rapport exhaustif de M. Romare et L. Dahllöf ainsi que de l’étude de G. Martin et al.[1] On notera au passage que les données employées et les résultats obtenus sont nécessairement entachés d’incertitudes. Celles-ci ne sont pas aisément estimées, mais elles ne peuvent pas affecter de manière significative les conclusions tirées puisqu’il n’est ici question que d’ordres de grandeur. Il en est de même pour les changements les plus divers des paramètres pris en compte dans la présente étude depuis sa rédaction initiale en 2019.
La puissance électrique nécessaire à la transition
En 2017, les Français ont consommé 51 200 000 m³ de carburant (gazole 80%, essence 20%). À partir de l’énergie spécifique de ces carburants, on calcule que l’énergie dépensée sur la route a été cette année-là de 534 milliards de kWh. La puissance électrique moyenne qui serait nécessaire pour produire cette même quantité d’énergie en un an est donc de 61 GW, soit quasiment celle du parc électronucléaire français qui a assuré 86 % de la production électrique en 2017.
Mais il faut affiner le propos !
Comme un moteur électrique est environ deux fois plus efficace qu’un moteur thermique, l’énergie dépensée serait deux fois plus faible de sorte que la puissance électrique réellement nécessaire ne serait que de 30 GW. Mais si l’on veut produire cette énergie au moyen d’énergies renouvelables, il faut tenir compte de ce que :
- le potentiel hydroélectrique est complètement exploité en France ;
- l’éolien et le photovoltaïque ne produisent respectivement que 20 % et 14 % du temps, en ayant donc un facteur de charge moyen de 17 %.
En raison de ce faible facteur de charge, la puissance renouvelable installée pour fournir la moyenne voulue de 30 GW devrait donc approximativement être de 180 GW, soit trois fois celle du parc électronucléaire existant. Et si l’on ajoute à cela que les transports routiers ne représentent que 25 % de la consommation de l’énergie en France, on mesure d’emblée l’ampleur du défi posé si l’on décide d’exclure le nucléaire d’une économie complètement décarbonée.
De la production des batteries
Venons-en maintenant aux batteries. Leur fonctionnement n’impliquant aucun changement de nature de l’énergie, les inévitables déperdition d’énergie se comptent par pourcents seulement quand on les charge et décharge. C’est l’avantage énorme des batteries par rapport à tous les autres moyens de stockage de l’électricité : si on transforme l’énergie électrique en une autre forme d’énergie (chimique, mécanique, etc.) qui est ensuite retransformée en énergie électrique, un rendement pourtant très élevé de conversion qui serait de 70 % dans chacun des deux sens conduirait en effet à perdre en fin de compte la moitié de l’énergie produite et, donc, à devoir doubler la taille des moyens de production. Avec des rendements encore bons de 60 %, les deux tiers de l’énergie seraient perdus. C’est un des grands handicaps de la pile à combustible, indépendamment du coût de la technologie (70 000 € pour les véhicules produits à l’heure actuelle) et des problèmes posés par le transport et la distribution de l’hydrogène, un gaz qui doit être comprimé à une pression de 700 atmosphères pour obtenir une densité d’énergie appropriée.
Examinons d’abord le coût « écologique » des batteries « lithium- ion », de loin les plus efficaces à l’heure actuelle. Prenons pour exemple celles de la petite Renault ZOE, vendues 10 000 € l’unité, dont les 41 kWh assurent une autonomie de 300 km, sans toutefois se prêter à de longs parcours à cause d’une durée de recharge nominale de 7 à 8 h (réduite à 1h40 pour les bornes « rapides » dont la loi LTECV de 2015 a dû limiter à 10 % la fraction pour éviter de déséquilibrer le réseau électrique). Chaque kWh de ces batteries permet donc de parcourir 300/41 = 7,3 km. Or l’énergie dépensée pour fabriquer une telle batterie est environ de 163 kWh par kWh de capacité, soit au total 41 x 163 = 6680 kWh. Cette énergie représente donc celle que la ZOE consommera en parcourant 6680 x 7,3 = 49 000 km.
Un bilan analogue est fait pour l’ensemble du CO2 émis le long de la chaine de production, qui doit être de 150 à 200 kg de gaz par kWh de capacité : les 6,1 ou 8,2 tonnes émises pour produire une batterie de 41 kWh représentent ainsi les émissions d’un moteur thermique produisant 95 g de CO2 par km (la norme imposée en Europe depuis 2021) sur des distances de 64 000 ou 86 000 km. Pour assurer une autonomie plus utile de 600 km avec des batteries de 82 kWh, ces chiffres devraient naturellement être doublés. Avant même d’avoir pu rouler, un véhicule électrique (avec sa batterie) accuse donc un très sérieux handicap vis-à-vis de son équivalent thermique (avec son vulgaire réservoir de carburant en tôle) du double point de vue de l’énergie dépensée et des émissions de CO2.
Voyons ensuite les aspects économiques. Le parc automobile français est composé de 32 millions de voitures, de 6 millions d’utilitaires de moins de 5 t, et de 750 000 camions, autocars, etc. de plus de 5 t. Les véhicules particuliers, les utilitaires de moins de 5 t et les tracteurs de 40-45 t parcourent en moyenne respectivement 13 000, 42 000 et 120 000 km par an. Si nous supposons que, du point de vue de la consommation d’énergie, l’ensemble des véhicules routiers équivaut à un total de 80 millions de voitures toutes munies d’une petite batterie de 41 kWh coûtant 10 000 € (soit 240 € par kWh), le parc de batteries devrait alors avoir une capacité de 3,4 milliards de kilowatts heure et représenterait un investissement total de plus de 800 milliards d’euros, soit par exemple un investissement annuel de 40 milliards d’euros pendant deux décennies.
Cet investissement ne représenterait par surcroît qu’une partie de la facture. Trois autres sources de coûts énormes doivent en effet ne pas être oubliées. Elles concernent : (1) l’installation de la puissance de production éolienne et photovoltaïque de 180 GW calculée plus haut ; (2) la distribution du courant produit des lieux de production aux lieux de consommation ; (3) les capacités de stockage pour assurer la continuité de la fourniture de courant rendues nécessaires par la nature intermittente de l’énergie électrique d’origines éolienne et photovoltaïque. Avec des batteries de stockage, il faudrait sans doute doubler les investissements faits pour les véhicules eux-mêmes. On se contentera donc de noter ici que, comme l’a montré J.-M. Jancovici [2], ces coûts sont dix fois plus importants pour l’énergie électrique produite par les moyens renouvelables que par les centrales nucléaires.
Considérons finalement le problème des ressources minérales devant être exploitées. Selon les données disponibles, une batterie « lithium ion » comporte entre 114 et 320 g de lithium métal par kWh de capacité. Prenons le cas favorable d’une valeur basse de 160 g et supposons à nouveau une capacité totale de 3,4 milliards de kWh nécessaire pour les batteries des véhicules en France à l’exclusion de tout moyen de stockage de l’énergie électrique. Il en résulterait un besoin de 540 000 tonnes de lithium. Pour mémoire, la production mondiale annuelle de lithium métal était de 32 000 tonnes environ en 2014. Elle serait donc complètement absorbée pendant 17 ans pour subvenir progressivement aux seuls besoins français en batteries pour le transport routier.
Mais la transition « électrique » n’aurait bien entendu aucun sens écologique si elle était limitée à la France : à commencer par l’ONU, les hautes instances internationales soulignent que la solution à apporter au problème climatique doit être globale. Or le parc français de véhicules ne représente à l’heure actuelle que 4 % d’un parc mondial qui vient de doubler de taille en dix ans pour atteindre 2 milliards d’unités, et va selon toute vraisemblance continuer à croître rapidement. Pour subvenir aux besoins mondiaux en lithium, la production devrait donc être accrue dans de très brefs délais de plusieurs fois un facteur 10 dans un contexte où une légère hausse de la demande a déjà conduit le prix de ce métal à augmenter de 325 % de 2010 à 2018. Un essor de la production de batteries risquerait ainsi de ne pas bénéficier d’économies d’échelle, mais plutôt de souffrir d’un coût accru du lithium. Pour terminer, notons que les réserves mondiales aujourd’hui économiquement exploitables de lithium sont de l’ordre de 35 millions de tonnes. Certes, une hausse des prix rendrait de nouveaux gisements rentables, mais à un coût écologique nécessairement accru par leurs teneurs moins élevées.
Quoi qu’il en soit, un tel accroissement de l’exploitation des ressources mondiales nécessiterait des développements à la fois immédiats et pharaoniques des activités minières et d’extraction des métaux. Cela paraît particulièrement problématique dans les pays développés où l’ouverture de mines rencontre systématiquement de fortes oppositions en dépit des conditions d’exploitation de plus en plus strictes (et coûteuses) imposées par les régulations environnementales.Le Monde, un journal pourtant résolument favorable à la transition énergétique, a dû le relever par exemple en Laponie pour le cuivre (9/4/2019), un métal critique pour toutes les applications électriques, en Serbie et aux Etats-Unis pour le lithium (6/9 et 23/11/2021), en Suède pour le vanadium (6/9/2021) ou encore, de manière générale, pour le cobalt (14/6/2021). Pour se restreindre à la France, on notera que la simple réouverture d’une mine de tungstène à Salau, en Ariège,fait l’objet de recours judiciaires depuis 2014 et qu’on voit même la création de très modestes retenues d’eau devenir de véritables affaires d’État !
L’exploitation de ressources moins riches impliquera par ailleurs une hausse des dépenses d’énergie, des émissions de CO2 et des coûts liés aux procédés d’extraction. Celui du lithium, à partir des aluminosilicates dont il est l’un des constituants, met par exemple en œuvre des hautes températures et des attaques chimiques par des acides minéraux (fluorhydrique, sulfurique) assez peu appréciés du grand public. Le cobalt est par ailleurs un élément très important des cathodes de ces batteries dont la production devrait également être considérablement accrue, dans un contexte problématique dû à la situation politique instable de la République Démocratique du Congo qui en est le principal producteur. Indépendamment de tels problèmes politiques, un paradoxe de la transition électrique serait alors que la « propreté » environnementale des pays développés soit acquise en repoussant au loin l’exploitation de ces ressources minérales et les dépenses d’énergie et émissions de CO2 afférentes, dans des paysoù le charbon reste la principale source d’énergie, la moins onéreuse et aussi de loinla plus productrice de CO2 et de décès accidentels.
Il n’est pas indifférent que ces différents aspects retiennent peu ou pas du tout l’attention des auteurs de scénarios désireux de démontrer la faisabilité générale de la transition énergétique. Un exemple récent est une étude commanditée par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) qui entend démontrer comment une conversion majoritaire aux énergies renouvelables pourrait être effectuée dès 2030[3]. Les auteurs y estiment le coût de batteries de 1000 kWh, d’une durée de vie de 10 ans, à 99 € en 2030 (soit 2400 fois moins cher qu’aujourd’hui !) et à 78 € en 2050. Tout comme ceux de l’association Négawatt, de tels scénarios donnent en fait l’impression que leurs données cruciales sont fixées pour les rendre crédibles, en entretenant alors un rapport des plus brumeux avec la réalité physique. Or des scénarios bien trop optimistes ne peuvent être source que de gaspillages et de déconvenues dont les effets néfastes ne manqueront pas de se manifester tôt ou tard
Conclusions
Quelques réflexions pour terminer :
- Pour des raisons aussi bien économiques qu’écologiques, comment pourrait-on en même temps fermer des centrales nucléaires et procéder à l’électrification des véhicules routiers ? Dès avril 2017, l’Académie des Sciences a donc averti qu’il y a « une véritable contradiction à vouloir diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant à marche forcée la part du nucléaire. En réalité de nombreuses études montrent que la part totale des énergies renouvelables dans le mix électrique ne pourra pas aller très au-delà de 30-40 % sans conduire à un coût exorbitant de l’électricité et des émissions croissantes de gaz à effet de serre et à la mise en question de la sécurité de la fourniture générale de l’électricité »[4]. Quant au coût actuel relativement faible de l’électricité éolienne et photovoltaïque, qui ne représentait en 2017 que 1,9 % de la production, il a été permis en 2018 par 5 milliards d’euros de subventions alors que les produits pétroliers rapportent chaque année une quarantaine de milliards d’euros. Qui peut par ailleurs penser que cette masse de taxes ne sera pas transférée vers l’électricité à mesure que diminuera la part des carburants dans les transports ?
- Comme l’a pour sa part souligné en mai 2019 l’Agence Internationale de l’Energie (Rapport Nuclear Power in a Clean Energy System), le développement d’une électricité décarbonée nécessiterait au contraire une augmentation de 80% de la production nucléaire d’ici 2040. Il sort du cadre de cet exposé de discuter la question de la sécurité de la filière nucléaire. On se contentera de souligner que, en dépit de la fraction relativement faible de la production d’énergie électrique qu’elle a fournie au niveau mondial, elle a jusqu’ici permis d’économiser deux fois les actuelles émissions mondiales annuelles de CO2.
- Surtout, quand on tient compte non seulement de la fabrication des batteries mais aussi de leur durée de vie limitée et des investissements à réaliser dans la production et la distribution des énergies renouvelables (par des moyens à durée de vie également limitée), la réalité de la réduction des émissions de CO2 assurée par une motorisation électrique des transports reste à démontrer. Tout comme les primes à la casse pour des véhicules en bon état de marche, dont le coût écologique de construction est déjà amorti, la mise au rebut de centrales nucléaires et autres moyens de production pouvant encore fonctionner de longues années est en outre une aberration écologique si aucune évaluation de l’impact environnemental des mesures prises ne peut démontrer des avantages nets en termes de bilan énergétique et d’émissions de CO2.
- Que la transition « écologique » soit contre-productive de ces points de vue est en réalité plus qu’une hypothèse, en étant en outre source de problèmes miniers et environnementaux. En particulier, la nature réaliste des améliorations importantes qui sont supposées être apportées dans un proche avenir aux batteries en termes de coût et de densité d’énergie n’est pas établie. Dans un autre registre, les 121 milliards d’euros (avec un pic de 7,2 milliards en 2025) d’ores et déjà engagés pour le soutien accordé avant 2017 aux énergies renouvelables a suscité en avril 2018 les inquiétudes de la Cour des Comptes sur la mauvaise appréciation du coût des choix effectués, tels les 38,4 milliards d’euros qu’auront coûté les subventions accordées avant 2010 pour une énergie photovoltaïque qui ne représente que 0,7 % de la production[5].
- Le fondement rationnel de toute politique doit être une allocation optimale des ressources. D’un strict point de vue économique, la transition électrique se heurte au fait que, dans un marché français où le prix moyen d’achat d’un véhicule est actuellement de 25 000 €, des batteries assurant une autonomie de 600 km représenteraient un surcoût rédhibitoire d’environ 20 000 € qui ne serait compensé qu’à la marge par le coût moindre d’un moteur électrique. La transition ne peut donc avoir lieu qu’avec l’aide de lourdes subventions publiques venant s’ajouter à celles dont bénéficient déjà les productions éolienne et photovoltaïque. En matière d’émissions de CO2, la question est alors de savoir si des réductions bien plus importantes ne pourraient pas être atteintes en France pour un coût bien moindre dans d’autres secteurs, l’habitat, par exemple, via l’isolation thermique ou le chauffage au bois ou par pompes à chaleur.
- Comme la France ne représente même pas un pourcent des émissions mondiales de CO2, investir des sommes énormes pour un bénéfice au mieux marginal défie aussi la raison quand la combustion du charbon demeure dans le monde la principale source d’énergie. Pour ne citer qu’un exemple frappant, l’accroissement de production de ciment de 1,3 à 2,2 milliards de tonnes par la Chine de 2007 à 2012 a induit des hausses d’émissions de CO2 supérieures aux émissions annuelles de la France. Si le CO2 est réellement l’ennemi numéro un, le passage du charbon au gaz naturel est la première mesure à mettre en œuvre dans le monde. Quant aux remarquables concentrés de technologie moderne que sont les cellules photovoltaïques[6], ce n’est pas en Europe du Nord qu’il faut les déployer mais dans les régions du globeplusfortement ensoleillées dont beaucoup, en Afrique notamment, souffrent de graves problèmes énergétiques.
- Il convient enfin de souligner le contraste surprenant entre le coût colossal plus que certain d’une transition énergétique générale, d’une part, et la nature des plus nébuleuse de ses bénéfices escomptés, de l’autre. La situation est paradoxale puisque la recrudescence des phénomènes extrêmes, qui sous-tend largement cette transition, n’est qu’un mythe (cf. le rapport très circonstancié de la compagnie d’assurances AON, qui est concernée au premier chef par la question[7].)
En résumé, la raison s’est-elle effacée devant l’émotion suscitée par les tableaux remplis de catastrophes brossés par les médias ? Dans le cadre d’une religion séculière, déjà décrite par R. Aron, aurait-elle fait place à un culte d’une nature jadis vierge d’influences humaines ? Prise sans aucune justification motivée, la décision de réduire à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans la production électrique apparaissait en tout cas sous un jour de vérité révélée, en accord avec la manière dont les principes de la thermodynamique et autres lois physiques semblent être oubliés devant ce qui s’apparente à des dogmes. Mais ces lois ne sont pas nécessairement tendres envers ceux qui prétendent s’en affranchir. Tôt ou tard, elles manifestent leur prééminence comme l’a illustré à ses dépens le Parlement français qui, après avoir voté en 2015 la loi prévoyant de réduire en 2025 à 50 % la part du nucléaire, a dû reculer cette échéance de 10 ans dès 2019.
Postface
Un long rapport parlementaire[8] rédigé par H. Tiegna et S. Piednoir a été publié en mars 2019 à l’appui de l’interdiction des moteurs à carburants fossiles qui était alors prévue à l’horizon 2040 dans le cadre officiellement fixé de la réduction du parc nucléaire. Un coût de plusieurs centaines de milliards d’euros sur 20 ans y était mentionné, ainsi que le problème d’une dépendance vis à vis des producteurs asiatiques de batteries qui possèdent une décennie d’avance en matière technologique.
Curieusement, nulle estimation n’est cependant faite des facteurs cruciaux que sont les coûts économique et environnemental du système énergétique renouvelable à établir ainsi que l’énergie dépensée et le CO2 émis lors de la fabrication des batteries. Des diminutions de 50 % du coût de fabrication des batteries et des doublements de leurs densités d’énergie sont en revanche supposés à l’horizon 2040. Le problème posé des ressources métalliques est résolu par un développement à venir de l’exploitation minière qui ne laisse pas l’Europe à l’écart et pourrait même concerner la ressource hautement sensible écologiquement des nodules polymétalliques des grands fonds océaniques. Quant à la disparition des recettes actuelles de 38 milliards d’euros procurées par les taxes sur les carburants, elle est compensée par des augmentations de la taxe « carbone » et combinée à des subventions à l’achat allant de 3000 à 10 000 € par véhicule jusqu’en 2040, les subventions les plus élevées devant être accordées aux véhicules à pile à combustible. Considérées dans leur ensemble, ces conjectures sont d’autant plus audacieuses qu’aucune n’est individuellement assurée d’être avérée. Quid, alors, du fameux principe de précaution ? Pour éviter que la transition écologique n’évoque finalement certains aspects du malheureux grand bond en avant chinois, ses conséquences environnementales néfastes ne devraient-elles pas être envisagées posément le plus tôt possible ? De ce point de vue, Il convient de souligner que l’inflammabilité des liquides organiques (carbonates d’éthyle et de méthyle) actuellement employés dans les batteries lithium-ion représente un sérieux problème de sécurité publique. Malgré les importants travaux de R&D effectués pour leur substituer des électrolytes « solides » — en pratique, des verres de sulfures —, la mise sur le marché de ce nouveau type de batterie ne cesse d’être reculée en raison des difficultés techniques considérables qui doivent être surmontées[9]. Pour mémoire, la première batterie au lithium fut conçue au début des années 1970, les premières batteries lithium-ion ont été produites en 1991 et n’ont commencé à équiper des voitures qu’en 2008. Vieille de deux bons siècles, l’électrochimie n’avance pas à la vitesse de la micro-électronique…
[1] M. Romare et L. Dahllöf, The Life Cycle Energy Consumption and Greenhouse Gas Emissions from Lithium-Ion Batteries. A Study with Focus on Current Technology and batteries for Light-Duty Vehicles (IVL Swedish Environmental Research Institute). G. Martin et al., “Lithium market research — global supply, future demand and price development,” Energy Storage Materials, 6 (2017) 171-79.
[2] Voir : https://jancovici.com/transition-energetique/renouvelables/100-renouvelable-pour-pas-plus-cher-fastoche/
[4] https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/lpdv_190417.pdf
[6] N. Richet, Les Cellules photovoltaïques au silicium : Théorie et fabrication (EDP Sciences, 2016).
[7] AON, Weather, Climate Catastrophe Insight 2020 Annual report, www.aon.com › weather-climate-catastrophe
[8] http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-off/i1766.asp
[9] Voir A. Hayashi et M. Tatsumisago, “Sulfide-glass electrolytes for all-solid-state batteries,” p. 1125-34 in P. Richet (ed.), Encyclopedia of Glass Science, Technology, History and Culture, 2 vols (J. Wiley & Sons, 2021).
Aucun commentaire:
Publier un commentaire