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19 janvier, 2022

Covid : comment l’utilitarisme conduit toujours à la dictature

 

Par Élie Blanc

S’il faut en passer par le passe sanitaire pour enrayer l’épidémie, moi je dis allons-y !

Par ces mots, un homme interviewé par CNews résumait bien l’état d’esprit de bon nombre de Français, prêts à accepter à peu près n’importe quoi tant que cela permet d’entretenir l’espoir d’un illusoire retour à la normale. Cette citation est une illustration parfaite du concept d’utilitarisme, cette pensée qui considère que la recherche d’un but jugé collectivement souhaitable (ici mettre un terme à l’épidémie) justifie que l’on y mette les moyens nécessaires, quitte à porter atteinte aux libertés individuelles.

L’objectif du présent article est de montrer que tout utilitarisme ne peut conduire qu’à la tyrannie.

L’utilitarisme est un aveuglement idéologique

Premièrement notons qu’une telle pensée porte déjà en elle le germe de la tyrannie, puisqu’elle considère que la fin justifie les moyens. De plus, l’utilitarisme est une négation de la nature humaine, puisqu’il est extrêmement rare qu’une population soit entièrement acquise à une cause d’une part, et sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir d’autre part. Dans le cas du covid, certains auraient très certainement préféré que tous ces efforts aient été consentis pour une autre cause plus importante à leurs yeux (une autre maladie, la lutte contre la précarité, la lutte contre le chômage…) et les mesures à sanitaires à prendre (ou non) font l’objet de débats quotidiens.

En outre, la pensée utilitariste se perd toujours dans une forme d’aveuglement qui refuse de voir les dommages collatéraux qu’elle entraîne inévitablement.

À titre d’exemple, la psychologue Marie-Estelle Dupont a fait parler d’elle récemment en montrant que les confinements et mesures sanitaires ont provoqué et continuent de provoquer une multitude d’effets extrêmement néfastes sur la santé des enfants et des adolescents.

Alors qu’elle prétend défendre une cause universellement désirable, la pensée utilitariste condamne en fait toujours une partie de la population au profit d’une autre.

Pour reprendre les mots de Bastiat, l’utilitarisme est obnubilé par ce que l’on voit et passe à côté de ce que l’on ne voit pas.

Ce que l’on voit c’est le risque de voir les hôpitaux saturés et ces morts du covid qui alimentent les statistiques de manière bien visible.

Ce que l’on ne voit pas c’est tout ce que nous coûtent tous ses efforts que nous mettons en œuvre pour éviter d’arriver à cette situation, qu’il s’agisse d’un coût purement financier (la fameuse dette covid que nous paierons tôt ou tard), mais aussi sanitaire, comme tous les suicides découlant des confinements et autres privations de liberté, ou tous ces investissements dans la santé qui ne pourrons être menés à force de maintenir l’économie à l’arrêt, et qui se traduiront nécessairement un jour en vies humaines. Mais ces vies perdues, à la différence des morts du covid, n’apparaissent jamais dans les statistiques et n’ont par conséquent aucun poids politique.

Pour que les Français évitent de remettre en question cette approche utilitariste, il est donc capital pour le gouvernement d’éviter toute réflexion sur la gestion de la crise sanitaire et ses conséquences dans son ensemble.

Pour cela, il a entretenu la peur du virus. Cette méthode permet d’activer le système limbique du cerveau, la zone responsable des émotions et qui a la particularité de bloquer l’émergence d’une pensée rationnelle, qui elle seule aurait permis à la population de mieux prendre en considération tous ces « coûts cachés » que nous venons d’évoquer. C’est ainsi que chaque fois que quelqu’un s’indignait des mesures liberticides, il s’est vu rétorquer quelque chose comme : « Mais qu’est-ce que vous voulez ? Que des milliers de personnes supplémentaires meurent du covid ? ». Comme si aucune autre gestion (moins liberticide) de la crise était possible, et comme si la gestion de la crise n’avait pas elle-même fait d’autres victimes, simplement moins visibles.

Les anti-pass ont aussi toujours été assimilés à des antivax, car lorsque la peur bloque la pensée rationnelle il est impossible de faire des distinctions, de faire preuve de nuances. Pire encore, cette communication par la peur a conduit à considérer les restrictions de liberté non plus comme un mal nécessaire, mais comme une mesure désirable, puisqu’autrui est toujours considéré comme une menace potentielle dont le gouvernement se chargerait de nous protéger.

L’utilitarisme covid pave le chemin du totalitarisme

Cette peur qui a inhibé toute pensée rationnelle aura aussi facilité une réécriture permanente du réel et une inversion des normes et valeurs. Ainsi, dans une perversion terrifiante, on aura convaincu les Français qu’il était égoïste de ne pas vouloir se faire vacciner, mais qu’il ne l’était pas de contraindre quelqu’un d’autre à le faire par peur de contracter soi-même le virus. Et peu importe que cette peur soit injustifiée, puisqu’être vacciné n’empêche en rien de transmettre le virus, au mieux il en diminue la probabilité.

Certes, on me rétorquera que les non-vaccinés sont sur-représentés parmi les patients nécessitant des soins intensifs, mais on oublie toujours de mettre ces chiffres en balance avec d’autres variables explicatives au moins aussi pertinente (âge, état de santé…), et l’on fait comme si un jeune sportif de 20 ans non vacciné représentait le même risque de finir en réanimation qu’un senior souffrant d’obésité. Cette objection rejoint d’ailleurs un autre travers de l’utilitarisme, qui est la recherche permanentes d’externalités, qui, comme je l’avais souligné dans un précédent article, ne peut mener qu’à une surveillance généralisée de la population.

Dans le cas du covid, on dénonce en permanence ceux qui sont jugés responsables d’accélérer l’épidémie, des inconscients qui se promènent sans masques ou ne se vaccinent pas, aux jeunes impertinents qui s’adonnent à de scandaleuses rave party. Pour éviter de telles dérives, on surveille toute la population par le passe sanitaire et l’on traque les dangereux délinquants par des contrôles de police jusque dans les cinémas ou les bars.

On entend ainsi de plus en plus de personnes se dire favorables au durcissement des restrictions à l’égard des non-vaccinés, oubliant un peu facilement qu’on peut difficilement reprocher à un individu de faire un choix personnel qui pèse sur un système de santé collectif si on ne lui accorde pas la possibilité de quitter ce même système de santé pour se tourner vers des assurances privées. Et surtout, ces personnes oublient un peu vite que disposer librement de son corps est un droit inaliénable.

Après un échec inévitable, l’utilitarisme désigne des boucs émissaires.

On pourrait enfin soulever qu’avec 90 % de vaccinés, on comprend mal comment 10 % de la population pourrait mettre à elle seule en péril tout le système de santé comme on l’entend régulièrement. C’est là encore un travers courant de l’utilitarisme, qui, puisqu’il est condamné à échouer (car il est contraire à la nature humaine) doit en permanence désigner des coupables à son propre échec.

À partir du moment où l’on a érigé un virus en ennemi à abattre quel qu’en soit le prix, et que même les pires restrictions de liberté n’ont absolument pas permis d’atteindre cet objectif, disposer d’une partie de la population peu encline à se soumettre à toutes ces restrictions est très pratique pour lui faire porter le chapeau de cet échec. Comme l’avait montré René Girard, ces non-vaccinés incarnent parfaitement le rôle du bouc émissaire, puisqu’ils sont à la fois semblables aux autres Français tout en conservant une différence bien visible (le fait d’être non-vacciné).

Ils jouent donc le rôle de bouc émissaire qui permet au groupe, fatigué et excédé par deux ans de pandémie et de décisions liberticides, d’exorciser sa violence en le tuant (symboliquement ou juridiquement en l’excluant progressivement des activités de loisir ou de travail, et de manière générale de la société). Une fois de plus, une terrible perversion est à l’œuvre, puisque le non-vacciné devient le responsable de tous les maux de la société, alors que le gouvernement est celui qui est censé nous en protéger.

Toutes proportions gardées, c’est exactement ainsi que se sont construites les rhétoriques et les politiques des totalitarismes au XXe siècle. Avons-nous réellement envie de poursuivre sur cette voie et de vérifier si elle peut nous conduire aux mêmes atrocités ?

Le libéralisme contre l’utilitarisme covid

On présente souvent le libéralisme comme un utilitarisme aveuglé par la recherche de croissance économique, mais rien n’est plus faux. La pensée libérale est hostile à l’utilitarisme puisqu’elle est une philosophie du droit qui considère que la fin ne justifie jamais les moyens.

Ou pour être plus exact, qu’aucune fin ne saurait être imposée à un individu en violation de ses droits. Le libéralisme est donc un humanisme, qui reconnaît que tous les hommes poursuivent des desseins qui leur sont propres et qu’ils ne sont pas toujours d’accord sur le meilleur moyen pour y parvenir.

Ainsi, si le libéral se méfie des discours qui commencent par « Il faut » (« Il faut sauver la biodiversité », « il faut lutter contre le covid »…), ce n’est pas parce qu’il rêve d’une planète privée de sa faune et sa flore ou que des gens meurent du covid, mais parce qu’il reconnaît que ces objectifs peuvent être contradictoires entre eux et parce qu’ils ne sauraient justifier que l’on porte atteinte aux libertés individuelles.

Il a aussi conscience que des arbitrages sont toujours nécessaires (du capital investi dans la préservation de l’environnement ne l’est pas dans la recherche médicale) et qu’il est donc indispensable de laisser les individus libres de poursuivre les fins qu’ils jugent désirables.

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