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10 septembre, 2022

La loi des débouchés (4) : les auteurs classiques post-Keynes

 Par Marius-Joseph Marchetti.

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Dans ce dernier billet qui clôture notre chronologie de la Loi des débouchés, nous nous intéresserons aux économistes qui ont écrit sur la loi de Say après l’effet de Lord Keynes dans le domaine de la science économique.

Je passe, ici, volontairement sur Leijonhufvud et Hutt, car ils ont chacun fait l’objet d’un article qui peut être relié au concept théorique de la Loi de Say (la théorie de l’oisiveté des ressources pour Hutt, la théorie Z pour Leijonhufvud).

Je m’intéresserai donc tout spécifiquement à Robert Clower, en invitant le lecteur à lire les précédents exposés que j’ai fait des deux autres.

 

Les auteurs classiques après l’ère Keynes : Robert Clower, Alex Leijonhufvud et William Harold Hutt

« Soit Keynes avait une hypothèse de double décision au fond de son esprit, soit la plus grande partie de la Théorie générale est un non-sens théorique. » Robert Clower

Comme nous l’avons dit précédemment, pour Robert Clower, Keynes pensait que Kloweravait été doublé par Frederick Lavington, alors que celui-ci ne faisait que décrire toutes les implications de la Loi de Say. Dans son livre Say’s Law and Keynesian Revolution, Steven Kates soulève également le fait que Clower pensait que Keynes avait en tête une certaine idée de l’hypothèse de double décision que lui-même utilise (mais que La Théorie Générale, ouvrage relativement obscur et contradictoire, est restée ouverte à l’interprétation des propos de son auteur).

Voilà ce qu’écrivait Robert Clower plus particulièrement sur cette hypothèse :

« L’hypothèse de la double décision implique effectivement que la loi de Walras, bien qu’elle soit valable comme d’habitude en ce qui concerne les demandes notionnelles excédentaires du marché, n’est en général pas pertinente dans toutes les situations autres que le plein emploi. Contrairement aux conclusions de la théorie traditionnelle, la demande excédentaire peut ne pas apparaître n’importe où dans l’économie dans des conditions de moins de plein emploi ». 

Sur la notion de demande notionnelle, je renvoie le lecteur à mon article « La Loi de Say et la Loi de Walras » pour comprendre les crises. La valeur des ressources fournies peut être considérée comme les biens que l’on peut potentiellement acheter avec le revenu généré par la vente ou la location de ses ressources. C’est la demande notionnelle. À l’inverse, il appelle la valeur des biens réellement demandés la demande effective.

On pourra également exprimer cela comme le fait ailleurs Robert Clower :

« L’argent achète des biens et les biens achètent de l’argent ; mais les biens n’achètent pas de biens. »

Plus loin encore, Robert Clower écrit :

« Aucun commerçant ne prévoit consciemment d’acheter des unités d’une marchandise quelconque sans prévoir en même temps de financer cet achat soit par les recettes des bénéfices, soit par les unités de vente d’une autre marchandise. »

C’est le problème de la double décision, qu’on aperçoit déjà chez les classiques.

Au lieu d’interpréter correctement Keynes, Robert Clower a en réalité redécouvert la loi des débouchés. Le principe de fonctionnement de base de la loi de Say est que la demande est constituée par l’offre : on fait des achats avec les recettes de ses ventes. Chez Clower, cette variante se nomme le Principe de Say. Clower et son élève Axel Leijonhufvud, en déduisent ce qu’ils décrivent comme la version agrégée du Principe de Say :

« La demande excédentaire agrégée pour chaque bien ou service vendu sur chaque marché, y compris le marché monétaire, est nulle. Il ne s’agit pas seulement de la demande excédentaire pour les biens et services, au sens moderne de la demande agrégée telle qu’elle s’est développée dans le cadre de l’économie keynésienne. Il s’agit de la demande excédentaire pour tout ce qui est acheté et vendu, y compris tous les biens intermédiaires, qui sont éliminés dans l’analyse agrégée keynésienne. Dans cette définition, qu’ils appellent « la version agrégée du PS », la demande agrégée est identique à l’offre agrégée. » Steven Kates

L’économie ne souffre pas d’une déficience de demande effective mais d’une réduction de demande notionnelle sur un marché du fait d’erreurs de production, d’anticipations négatives, ce qui réduit le pouvoir d’achat dégagé et nuit dans le même temps aux autres secteurs de l’économie. C’est l’essence de ce qui est décrit par Lavington, et par la version agrégée du Principe de Say.

Les économistes classiques étaient parfaitement conscients de cette catégorie de déséquilibres, et John Stuart Mill y portait déjà un jugement similaire :

« Les économistes classiques n’ignoraient pas cette catégorie de déséquilibres ni leur gravité ….. Les notions naïves de laissez-faire ne figurent pas du tout dans la théorie de la politique économique de l’école classique britannique. La pensée classique sur ce sujet n’était pas non plus inhibée de quelque manière que ce soit par les opinions dominantes sur la « loi de Say sur les marchés ». Le PS est tout à fait cohérent avec une incrédulité confirmée quant à la possibilité de surabondances générales et, simultanément, avec une reconnaissance claire de l’actualité des accès fréquents et prolongés de déflation générale. Les Principes de John Stuart Mill, la « Bible de l’économie » de la dernière période classique, en sont la parfaite illustration. » Axel Leijonhufvud et Robert Clower

Quel avis discordant avec ce qu’il est possible de trouver dans les cours d’économie en faculté, lorsqu’on en vient à présenter la loi de Say en la réduisant à la présentation biaisée qu’a pu en faire John Maynard Keynes dans sa Théorie Générale :

« Je crois que la science économique a été partout, jusqu’à une époque récente, dominée, beaucoup plus qu’elle n’a été comprise, par les doctrines associées au nom de J.-B. Say. Il est vrai que sa « loi des marchés » a été abandonnée depuis longtemps par la plupart des économistes ; mais ils ne se sont pas dégagés de ses hypothèses de base et notamment de son erreur selon laquelle la demande est créée par l’offre. Say supposait implicitement que le système économique fonctionnait toujours à pleine capacité, de sorte qu’une nouvelle activité se substituait toujours à une autre activité, sans jamais s’y ajouter. Presque toute la théorie économique ultérieure a dépendu de cette même hypothèse, en ce sens qu’elle l’a exigée. Pourtant, une théorie ainsi fondée est clairement incompétente pour aborder les problèmes du chômage et du cycle commercial. » 

 

Conclusion

La loi de Say n’implique pas l’absence de chômage de masse et de récession : elle permet simplement d’exclure les explications liées à l’insuffisance de demande effective. Les problèmes viennent de soucis de disproportionnalité de production.

Il n’y a pas de résumé plus clair de ce fait que celui exposé par Mill fils. Les classiques n’excluent pas les crises aggravées par des éléments monétaires, et là encore, John Stuart Mill expose des éléments dont Keynes se jugeait un novateur, notamment sur la préférence pour la liquidité.

Si vous le pouvez, faites lire cette série d’articles aux étudiants qui entrent en faculté, avant qu’ils ne  soient biberonnés à l’économie keynésienne quelques années. Ensuite, invitez-les à lire les Classiques et les travaux de Steven Kates, le meilleur sur le sujet. Vous leur rendrez un grand service.

Puissent nos dirigeants, à l’instar de Churchill durant le discours du budget en mai 1929, se rendre compte qu’il n’y a pas de prospérité à attendre d’un accroissement des dépenses publiques de l’État, car c’est précisément la direction qu’ils prennent, eux qui sont perclus des bons sentiments de la dissipation :

« Pour ce qui est de la lutte contre le chômage, les résultats ont certainement été décevants. Ils sont, en fait, si maigres qu’ils donnent une couleur considérable à la doctrine orthodoxe du Trésor qui a été fermement maintenue, à savoir que, quels que soient les avantages politiques ou sociaux, très peu d’emplois supplémentaires et aucun emploi supplémentaire permanent ne peuvent en fait et en règle générale être créés par les emprunts et les dépenses de l’État. » Winston Churchill

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