Par Élodie Keyah.
Dans un entretien au Nouvelobs, l’économiste Éloi Laurent s’étonne que la défense du pouvoir d’achat fasse consensus à l’heure des crises écologiques qui ne seraient, selon lui, que « le fruit empoisonné de notre pouvoir de tout acheter ». De la même manière, c’est dans une tribune de Reporterre que le pouvoir d’achat est accusé d’être un concept anti-écolo, voire même une forme de réductionnisme stérile pour l’être humain.
Cette vision animiste de la nature couplée à une rhétorique chrétienne culpabilisante n’est pas nouvelle. Dans le passé, les grandes crises ont souvent été accompagnées d’une intensification du phénomène religieux. Ainsi, c’est au XIVe siècle, en pleine peste noire, que le mouvement des flagellants prit de l’ampleur. Face aux maux qui accablaient les populations, des fidèles se flagellaient publiquement en guise d’expiation – persuadés que leur malheur était la conséquence d’un châtiment divin.
Faut-il donc voir les dernières sécheresses, incendies massifs et pénuries d’eau potable en France comme la résurgence du même phénomène ?
En réalité, ces critiques ne sont pas tant animées par le désir de protection environnementale que par la haine récurrente de la société de consommation – notion péjorative pour désigner l’abondance et le confort de vie caractéristique des sociétés occidentales. La conception communément admise consiste simplement à dire que le niveau de revenu moyen est suffisamment élevé pour satisfaire une marge toujours plus grande de besoins – que certains jugeront superflus selon leurs critères subjectifs, à l’instar du philosophe Ivan Illich.
Figure de l’écologie politique, ce dernier fait la promotion de « l’austérité joyeuse » : la paupérisation est jugée davantage souhaitable à un niveau de vie plus élevé dans une société libérale – quitte à ce que les plus démunis meurent de faim. Empreint d’une vision platonicienne à l’image d’une société idéale décrétée par une élite savante, Illich fait preuve d’une prétention toute socialiste à connaître les besoins des individus mieux qu’eux-mêmes, au nom d’un mode de vie qu’il faudrait imposer à tous.
Nous pouvons au moins nous réjouir sur deux points :
Premièrement, une certaine frange des écologistes est de plus en plus honnête sur ses intentions. Si les extrémistes assument leur volonté d’aboutir à une société paupérisée, cela a le mérite de lever le voile hypocrite du souci officiel d’une plus grande protection de la nature. Autrement, il n’y aurait ni cette haine de l’ordre libéral qui caractérise nos sociétés modernes, ni le rejet des solutions qui nous permettent de réduire notre impact environnemental – comme les pesticides, les OGM ou encore l’énergie nucléaire.
Deuxièmement, l’écologie politique conduit systématiquement à la révolte populaire. En effet, ce sont bien les classes les moins favorisées qui s’insurgent le plus contre les politiques décroissantes qui s’attaquent à leur pouvoir d’achat. Ces mouvements de contestation – à l’instar des Gilets jaunes – ont le mérite de mettre en suspens certaines politiques des écologistes. À moins d’avoir déjà fait des ravages humains comme au Sri Lanka, où le pays s’est enfoncé dans la planification du tout bio sous la pression de militants anti OGM… avec des conséquences désastreuses pour la population.
Taxe sur les carburants, interdiction des voitures neuves à moteur thermique, projets d’interdiction des engrais de synthèse vers une agriculture 100 % bio… Le fossé sociologique est tel que le mouvement écologiste souffre autant d’un faible niveau de représentativité politique – 4,63 % de vote aux élections présidentielles de 2022 -, que d’une forte impopularité dans les territoires ruraux – symptomatique d’une incapacité à concilier l’intérêt des citadins conscientisés avec celui des classes populaires.
Le pouvoir d’achat ne serait-il donc qu’un « tour de passe-passe idéologique pour domestiquer les classes populaires », comme le prétend l’écologiste Aurélien Berlan ? Ou, au contraire, la condition sine qua non pour leur permettre de s’élever socialement et s’extraire de leur milieu d’origine ? Ce qui est sûr, c’est que son rejet ressemble de plus en plus à un éventail pour la justification des extrémismes.
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