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09 septembre, 2022

Ferghane Azihari : les écologistes contre la modernité

 Par Johan Rivalland.

La modernité peut-elle être jugée responsable de l’essentiel de nos maux en matière d’écologie ? Ceux qui le prétendent perdraient-ils de vue l’amélioration évidente de nos conditions de vie au cours des derniers siècles et les avancées des progrès techniques ?

Contrairement aux idées reçues, développement ne rime pas nécessairement avec pollution incontrôlable et régression. Bien au contraire, nous montre Ferghane Azihari – rejoignant en cela un Johan Norberg qui démontrait dans un brillant essai de 2017 que Non, ce n’était pas mieux avant – le développement est par de nombreux aspects source de progrès, notamment à travers le rôle joué par le progrès technique parvenant ainsi à résoudre ou atténuer un certain nombre d’obstacles ou de difficultés que peuvent rencontrer les sociétés humaines.

Dans la préface, il remarque d’ailleurs à juste titre qu’il est infiniment plus rare de voir des personnes fuir la modernité pour rejoindre des pays qui connaissent la pauvreté matérielle que l’inverse. Et il remarque aussi que la pollution tue cinquante fois plus en Afrique subsaharienne qu’en Europe occidentale. Ce qui devrait laisser songeurs ceux qui affirment, si sûrs de leur fait, que le capitalisme serait la source essentielle de nombre de nos maux.

 

Ce qu’a permis la civilisation industrielle

De fait, s’habituant au confort que l’on connaît, on oublie rapidement la multitude des maux à bout desquels l’ère moderne est parvenue (et qu’à vrai dire nous n’avons pas vécus pour la plupart). Il est donc d’autant plus facile de critiquer et de condamner, faisant fi des efforts conséquents et de la persévérance qu’ont nécessité l’atteinte de tels résultats. Une forme d’ingratitude qui s’assimile davantage à de l’aveuglement ou à des formes de nostalgie irrationnelle, mues très souvent par une forte dose d’ignorance.

« L’ironie veut que ceux qui assignent les plus humbles aux vertus de la misère soient toujours les plus opulents », constate Ferghane Azihari, notant que la protection de l’environnement est un « produit de luxe », que les partisans de la décroissance, d’inspiration rousseauiste, sont toujours prêts à magnifier, « assumant le sacrifice d’une partie de l’humanité sur l’autel d’une nature déifiée », quitte à recourir à des régimes autoritaires, si nécessaire. Les coupables désignés continuant d’être, outre le capitalisme, l’Occident et – chose nouvelle – l’Homme lui-même, destructeur de la Terre.

À travers un certain nombre de rappels historiques, Ferghane Azihari nous livre notamment une intéressante évocation documentée de ce qu’était vraiment la vie des nomades (cités en modèle par un certain nombre d’écologistes) avant l’ère néolithique. Malthusianisme, tueries inter et intra-groupes, infanticides routiniers (surtout des filles), épuisement des ressources de la nature les contraignant à migrer et éliminer les plus faibles… Une autre réalité que celle que veulent bien nous dépeindre les partisans du mythe du bon sauvage. Ces pratiques ont disparu avec l’arrivée de l’agriculture, qui a constitué un véritable tournant à bien des égards, dont on trouve pourtant des détracteurs, même s’ils sont très minoritaires, y compris parmi les décroissants.

Mais surtout – en rappelant ce qui pourrait sembler une évidence, à savoir que « la richesse fait le bien-être » (ce qui n’est pas contradictoire avec l’idée que « l’argent ne fait pas le bonheur »), et que la civilisation industrielle a bel et bien amélioré à plus d’un titre notre condition (espérance de vie, alphabétisation, santé, alimentation, mortalité maternelle et infantile, pauvreté, temps et conditions de travail, violence, loisirs, libertés, et même… environnement), du moins celle de l’immense majorité de l’humanité (ce qui ne signifie évidemment pas que tout est parfait, bien loin de là) – il montre que l’écologisme constitue quant à lui une régression :

« L’écologie s’éloigne de l’altermondialisme traditionnel qui s’indigne de la pauvreté des pays du Sud. En les assignant à la misère perpétuelle, ne devient-elle pas un néocolonialisme ? Alors que le développement était hier partagé par tous, il devient la « source du mal », comme le martèle Serge Latouche » (dans un colloque au nom tristement évocateur : « Défaire le développement, refaire le monde »).

Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, l’ignorance tue. L’idéologie aussi. Et Ferghane Azihari montre que l’ère pré-industrielle n’a en réalité pas grand-chose à envier à la révolution industrielle, y compris en matière de travail des enfants et de temps ou de conditions de travail, pour lesquels les débuts de notre légitime indignation datent du moment où justement nous étions en passe de pouvoir les éradiquer, et que la pénibilité ne constituait plus la norme de toujours.

Ainsi qu’il le relève :

« C’est le paradoxe de Tocqueville : les peuples ne se révoltent que lorsque leur situation s’améliore. »

 

Combattre les idées reçues

Car sur de très nombreux points, les rappels historiques qu’effectue non sans raison Ferghane Azihari avec un grand souci de documentation et de précision, replacent clairement les faits dans leur contexte.

Quelles étaient les réelles conditions de vie des Européens avant la révolution industrielle (et même après), qui le sait encore ? Qu’en est-il des types et des niveaux de pollutions ou de toxicité que connaissaient (et que connaissent toujours dans certains endroits du monde) les gens aussi bien dans les villes que dans leur foyer ? Quelle était la réelle qualité de l’eau pendant de nombreux siècles ? Sur ces questions et bien d’autres encore, beaucoup seraient surpris. Mesurant ainsi l’immensité des progrès accomplis.

Nos sociétés n’ont jamais été aussi saines, montre l’auteur. En déplaise à certains pourfendeurs de la société industrielle, du capitalisme, et de nos modes de vie. Or, c’est bien le développement qui a permis et permet encore les progrès fantastiques réalisés, tant en termes de santé que de pollution, d’espérance de vie, ou même de violence et de guerres (aussi contre-intuitif cela peut-il sembler, et données à l’appui).

De même, qui sont réellement les pays les plus pollués (les statistiques officielles le prouvent là aussi) ? De très loin les pays dont le développement est encore peu avancé, la plupart du temps en raison de guerres, de pouvoirs corrompus ou de non-respect du droit de propriété dissuasif en termes de prises d’initiative et de création. Et inversement.

Quant au traitement des déchets, au recyclage, à la diminution des nuisances de manière générale, force est de constater qu’ils progressent au rythme de la technique et des connaissances scientifiques, à condition de ne pas se trouver ralentis par les pressions issues de l’idéologie et de ne pas perdre de vue les progrès qu’ils ont permis.

Le cas du plastique est jugé symbolique, à cet égard, par Ferghane Azihari, qui écrit ceci :

« Hier vénéré pour la sécurité alimentaire et la protection antimicrobienne qu’il procurait, il est désormais décrié par les écologistes occidentaux. Ces derniers demandent son éradication pour sauver les océans. Ils ignorent cependant que, si les pays riches sont les principaux producteurs de plastique, les déchets retrouvés dans les fleuves, les rivières et les océans proviennent, hélas, des pays en voie de développement, qui n’ont pas encore les moyens de se doter des infrastructures appropriées pour recycler, enfouir ou incinérer leurs déchets. »

On constate les mêmes excès en matière de changement climatique, d’attitudes face au nucléaire, de craintes liées à la surpopulation ou à la surconsommation. Là encore, plutôt que de se fonder sur les faits, les progrès des techniques et de la connaissance, ou de tirer des leçons des importantes erreurs d’appréciation répétées en termes de prévisions largement erronées, les mêmes s’accrochent à leurs illusions et persistent dans leurs erreurs, pour ne pas dire leur idéologie.

Le rôle de la propriété privée, reconnue dès Aristote en opposition à Platon, est à ce titre bien mis en exergue. La propriété implique la responsabilité et le sens de la mesure. Ce que ne permet pas toujours, loin de là, le collectivisme.

« Le piètre bilan environnemental du collectivisme est connu. Toutefois, nous n’en entendons guère parler chez ceux qui appellent à la fin du capitalisme sans lui opposer de concurrent crédible. »

L’auteur prend l’exemple de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sur laquelle il s’était rendu et où il avait pu recueillir le témoignage de certains zadistes, pour montrer en quoi prétendre vivre en excluant l’idée de propriété mène à des résultats peu probants. De même qu’en ce qui concerne la gestion des forêts, des ressources marines ou des espèces en voie de disparition, pour lesquelles il montre que l’absence de propriété ou de gestion au moins en partie privée, comme du temps des chasseurs cueilleurs, mène aux résultats inverses de ceux recherchés. Sans même compter le manque de connaissances sur les réalités historiques (« On estime que 99 % des espèces ayant un jour vécu sur Terre ont disparu ») et scientifiques (théories de l’évolution).

 

La Nature déifiée

Dans des développements et démonstrations là encore bien nourris, Ferghane Azihari passe en revue un certain nombre de contradictions des écologistes, au sujet desquels Jean de Kervasdoué donnait à l’un de ses ouvrages le titre évocateur de Ils croient que la Nature est bonne.

Or, l’être humain est bel et bien l’une des composantes de la Nature. Et il est faux de penser que tout ce qui vient de lui s’oppose à elle. De même que des milliers d’années de sa présence, outre des tas d’autres évolutions, ont nécessairement conduit à ce que la Nature sauvage telle qu’on peut la concevoir en théorie ne soit plus du tout la même que celle qu’elle a pu être.

De fait, toute la surface terrestre est anthropisée, tant et si bien que de très nombreux endroits considérés comme sauvages sont en réalité issus d’aménagements humains. Parfois de manière étonnante, comme dans l’exemple du – au départ contesté – lac du Der-Chantecoq, situé au cœur de la région Champagne-Ardenne, dont l’auteur rappelle qu’il s’agit du plus grand lac artificiel de France, « devenu un passage obligé des migrateurs de printemps et d’automne » et dont il est probable que son rétablissement en tant que paysage de bocage en contrarierait plus d’un.

Même l’Amazonie n’est pas vierge d’interventions humaines depuis des milliers d’années, par exemple dans la sélection d’espèces d’arbres.

De fait, « la nature est amorale et anomique […] D’autant que le « sauvage » est souvent une fiction que nous projetons sur nos artifices ». Cette idée va à l’encontre de la vision que tentent d’imposer ou de faire valoir les tenants du biocentrisme, parmi lesquels les antispécistes et leur éthique bioégalitariste, dangereuse lorsqu’on connaît la virulence des fléaux multiples et répétés de la nature (dont Ferghane Azihari en rappelle quelques-uns bien concrets et extrêmement mortels). Qui pourraient mener, si on applique avec rigueur ces principes, tout simplement au dépérissement de l’humanité.

 

Le chemin de l’autoritarisme

C’est vers des formes de tyrannie que semblent vouloir nous mener bon nombre d’écologistes. Ramener la population à un milliard d’habitants pour l’un (Yves Cochet), pourquoi pas 100 millions pour tel autre (Arne Naess), stériliser des populations à leur insu en empoisonnant des sources d’eau (Paul Ehrlich en 1968), instaurer des tickets de rationnement, renoncer à concevoir des enfants ou concevoir un permis de procréer, ainsi qu’un certain nombre de militants le promeuvent… Le désastre de la politique de l’enfant unique en Chine n’a pas suffi, certains sont toujours prêts à aller loin dans la démesure tant ils croient en leur cause, et à prescrire des mesures répressives despotiques. Le tout, bien entendu, en employant un vocabulaire châtié ne les assimilant aucunement à des dictateurs potentiels.

La période du confinement a d’ailleurs donné bien des idées à certains, qui souhaitent s’en inspirer en proposant de véritables programmes d’action n’ayant pas grand-chose à envier à ceux qu’a pu engager naguère l’Union soviétique. Dans ces conditions, on comprend à quel point ils haïssent à la fois le capitalisme, mais aussi le libéralisme. Un avant-goût de l’imagination à l’œuvre nous a d’ailleurs été offert à travers la très officielle Convention citoyenne et ses propositions déjà parfois très « inspirées ». Quant à l’usage décomplexé de la violence contre les biens, promue par certains (Andréas Malm), elle a d’ores et déjà commencé.

 

Mus par l’Envie

En définitive, Ferghane Azihari se pose la question de ce qui motive tous ces gens à aller si loin alors même qu’ils savent pertinemment vers quelles régressions humaines cela nous mènerait ; et qu’ils sont pétris de contradictions et de discours dissonants.

La recherche de l’argent, du pouvoir, d’une forme de religion, ainsi que certains l’analysent ?

Plutôt de l’Envie, selon lui. Dont l’origine résiderait dans une détestation des inégalités, une haine des riches et des possédants, de manière générale de ceux qui ont réussi. Un dérivé du marxisme d’autrefois étendu à l’Homme en général.

À l’inverse, Ferghane Azihari nous propose de relever le défi écologique – à notre portée – par le biais des sociétés entreprenantes, créatives et ouvertes sur le monde, dans le respect de la dignité humaine et des libertés.

 

Ferghane Azihari, Les écologistes contre la modernité, Presses de la Cité, octobre 2021, 240 pages.

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