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18 août, 2022

Raymond Aron (4) : la richesse du legs aronien

 Par Pierre Robert.

Première partie de cette série ici.

Seconde partie de cette série ici.  

Troisième parie de cette série ici.

 

La fécondité de son scepticisme

Son humanisme se teinte d’un grand scepticisme, ce que traduit sa manière très lucide de concevoir la nature humaine, le devenir historique et l’action politique.

Sur l’homme, il ne nourrit pas de grandes illusions lyriques. On peut résumer sa position par une formule de son ami le philosophe Éric Weill :

L’homme est un être raisonnable mais il n’est pas démontré que les hommes soient raisonnables.

De l’histoire il a une vision shakespearienne. Il la perçoit comme un tumulte insensé plein de bruit et de fureur qui entremêle l’héroïsme et l’absurdité, des saints et des monstres, des progrès incomparables et des passions aveugles. Sa conviction est qu’elle est tragique.

De la politique, il a une conception très réaliste : tous les combats politiques sont douteux. Ce n’est jamais la lutte entre le bien et le mal. C’est le préférable contre le détestable.

Il en déduit qu’avoir des opinions politiques, ce n’est pas adhérer une fois pour toutes à une idéologie. Dans une certaine mesure, quand le monde change c’est aux opinions de s’adapter à la réalité. Toute sa vie Raymond Aron a enseigné l’art du compromis sans jamais transiger sur la droiture avec la conviction qu’être réaliste ne signifie pas trahir ses convictions ni les valeurs qui les sous-tendent.

 

Son refus d’une lecture messianique de l’histoire

De ces positions fondamentales découle un ensemble de principes directeurs de la réflexion.

Il ne croit pas que l’histoire ait un sens prédéterminé ; il ne croit donc pas que l’intellectuel puisse être ce qu’il appelle « un confident de la providence ». Pas plus que les autres il ne sait à qui la providence réserve la victoire. Il refuse le messianisme et toute lecture messianique de l’histoire. Le seul projet raisonnable est d’analyser les situations en fonction des évènements, sans avoir l’illusion de connaître l’issue du drame ou de la tragédie qui s’appelle l’histoire humaine. Sorte de magma en fusion, elle donne pourtant prise à l’exercice de la liberté humaine et de la raison avec pour guide des questions somme toute simples : dans le cadre très contraignant de l’action quels sont les choix pertinents et quelles sont les décisions qui en découlent ?

Au rêve Aron préfère l’explication, ce que lui ont reproché ceux qui dénoncent sa froideur et le tranchant de ses conclusions.

 

Son rejet de la dictature de l’émotion

Analyste réputé froid il n’adopte en effet jamais d’attitude compassionnelle, ne cherche jamais à convaincre par l’émotion ni par des arguments directement moraux. Il part toujours de l’observation des faits tels que la raison peut les ordonner.

Il ne cherche pas à être une belle âme et laisse ce soin à d’autres, comme il le dit lui-même avec un petit sourire dans le spectateur engagé :

Une fois pour toutes il est entendu que je ne suis pas une belle âme.

Toujours il met à distance ce qu’il analyse : son projet est d’écrire sur les problèmes politiques comme un homme qui observe, réfléchit et cherche la meilleure solution pour le bien des hommes.

Il ajoute :

Je trouve un peu prétentieux de rappeler à chaque instant mon amour de l’humanité.

De là découle le refus des attitudes compassionnelles, du sentimentalisme facile, de la dégoulinade des émotions qui empêchent de penser.

Question typiquement aronienne :

Faut-il déraisonner pour montrer qu’on a bon cœur ?

 

Sa conception raisonnée du progrès

Morale et politique ne se confondent pas.

Se cantonner au terrain de la morale c’est refuser de penser la politique ou s’empêcher de la penser, c’est-à-dire d’essayer, à partir de ce que l’on sait, de prendre des décisions raisonnables.

Persuadé que l’action politique est impure et que l’histoire peut être une marâtre, il l’est aussi que le pire n’est pas toujours sûr.

À sa manière Aron est un progressiste qui pense que l’humanité n’a d’autre espoir pour survivre que la raison et la science. Mais une fois pour toutes, il faut accepter qu’il n’y a pas de progrès qui ne comporte un négatif. Tout ce que l’homme conquiert a un prix qui finit toujours par être payé d’une manière ou d’une autre.

Ces principes directeurs de la réflexion se fondent sur ces valeurs essentielles que sont la vérité et la liberté, les deux étant pour lui indissociables car pour pouvoir exprimer la vérité, il faut être libre. Il ne faut pas qu’un pouvoir extérieur contraigne les individus. Dès lors il faut faire confiance à la manière de penser qui donne sa chance à la vérité.

La grande question est en effet « est-ce qu’on accepte le dialogue ? À cette question seule la démocratie répond positivement. Elle est donc la condition de la liberté et de la vérité.

Il n’y a pas d’autre modèle. Ce qui prétend en être un autre a toujours en fin de compte le masque hideux du totalitarisme. Ce qui est important c’est notre capacité à préserver un modèle de civilisation, celui de l’Occident, et un système de valeurs qui est contingent et fragile. Pour faire vivre ce modèle, il faut se souvenir que dans une démocratie les individus sont à la fois des personnes privées et des citoyens. Notre civilisation libérale est aussi une civilisation du citoyen, et pas seulement du consommateur ou du producteur.

Comme le rappelle Aron dans son Plaidoyer pour l’Europe Décadente (Paris, Laffont, 1977), une morale du citoyen est nécessaire pour que l’Europe garde sa résolution collective.

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