Par Vincent Geloso.
Cette Note économique a été préparée par Vincent Geloso, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste senior à l’IEDM. La Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation.
Selon le dernier budget provincial, six écoles du Québec sur dix sont en mauvais état. En réaction à cette triste statistique, le gouvernement a annoncé l’injection de nouveaux fonds pour rectifier la situation(1). Il faut toutefois souligner que des « crises » similaires se sont produites à répétition au cours des dernières décennies : résultats décevants aux épreuves normalisées, faible taux d’obtention d’un diplôme, violence dans les écoles, manque de préparation aux études postsecondaires, etc. Chaque fois, les acteurs de la scène politique appellent à injecter de nouvelles sommes, à réinvestir, à refinancer ou à rehausser le financement. Autrement dit, on cherche toujours à améliorer les résultats scolaires en dépensant plus.
Or, en bonifiant les ressources consacrées à l’éducation, on passe à côté d’un enjeu primordial : la manière dont ces ressources sont utilisées. En fait, le Québec gagnerait énormément à réduire les activités du ministère de l’Éducation (notamment en comprimant le personnel administratif), à réaffecter les fonds destinés aux écoles pour que les choix des parents déterminent où va l’argent des contribuables, et à renforcer l’autonomie des écoles. Ces mesures feraient vraisemblablement baisser les dépenses gouvernementales, en plus d’augmenter les retombées cognitives et non cognitives pour les élèves.
Faible corrélation entre les dépenses et les résultats
Beaucoup d’études empiriques – portant sur des cas passés et contemporains – constatent une faible corrélation entre l’ampleur des sommes injectées et les résultats scolaires(2). Dans le meilleur des cas, on observe une petite corrélation positive, mais seulement quand les sommes dépensées par élève sont majeures(3). Ces maigres avantages engendrés dépendent aussi grandement du type de dépense (par exemple, pour des bâtiments et du personnel au lieu de matériel destiné aux enfants)(4). Dans le pire des cas, l’effet peut même être contre-productif dans certaines circonstances(5). C’est le constat – largement dégagé dans les études états-uniennes et internationales – qui ressort de statistiques du Québec montrant que les résultats aux épreuves de mathématiques du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) semblent stagner (-1,5 %) depuis 2006, alors que les dépenses par élève ont considérablement augmenté (+18 %) (voir la Figure 1).
Ce constat cadre avec la théorie économique standard, selon laquelle ce n’est pas seulement la quantité d’argent injecté dans la prestation d’un bien ou d’un service qui compte : le mode de prestation est tout aussi important, voire plus. La structure organisationnelle du système joue donc un rôle déterminant. Par ailleurs, comme le montre clairement la littérature, les systèmes qui décentralisent la gestion à l’échelle locale, offrent des choix et des portes de sortie aux parents, et créent des mécanismes locaux de prise de parole (comme la participation à des associations scolaires) gagnent en efficacité, quel que soit le montant dépensé(6). En général, ces systèmes prévoient que l’État ne s’occupe pas de la prestation du service et se concentre uniquement sur le financement, lequel est orienté par les choix des parents.
Il y a trois raisons principales qui expliquent ces résultats. Premièrement, les caractéristiques socioéconomiques des enfants varient énormément, même à l’échelle locale. En règle générale, les politiques « taille unique » ont tendance à produire des résultats décevants chez des groupes si hétérogènes. En contrepartie, davantage de décentralisation et d’autonomie pour les écoles laisse place à la personnalisation, ce qui permet aux établissements scolaires d’organiser les ressources reçues de manière à en maximiser l’efficacité en fonction des groupes servis. Deuxièmement, les parents jouent généralement un rôle plus important dans les systèmes décentralisés, ce qui crée une boucle de rétroaction positive entre les administrateurs des écoles et la population locale et contribue à améliorer la personnalisation. Troisièmement, quand l’affectation du financement repose sur les choix des parents, ces derniers ont une porte de sortie qui, par ricochet, incite fortement les écoles à faire une personnalisation de grande qualité.
Autrement dit, il est possible de réduire les dépenses en éducation tout en améliorant les résultats par une révision de la structure du système. La littérature états-unienne sur le rapport coût-efficacité des écoles à charte en fournit un bon exemple empirique. Même si les écoles à charte des États-Unis sont financées par l’État, elles bénéficient d’une plus grande autonomie que les écoles publiques traditionnelles, à condition de respecter certains critères de rendement. Une étude récente qui compare le rapport coût-efficacité dans sept grandes villes américaines a révélé que chaque tranche de 1000 $ de dépenses publiques engendrait une hausse des résultats scolaires de 4,5 % à 92,0 % plus élevée dans les écoles à charte que dans les écoles publiques traditionnelles (voir la Figure 2). Cet écart, aussi observé dans de nombreux articles revus par des pairs(7), est attribuable à la flexibilité que procure une autonomie accrue, qui permet d’adapter les méthodes à la population locale.
Retombées cognitives et non cognitives
Cette personnalisation procure des avantages plutôt substantiels, qui vont au-delà d’un simple rapport coût-efficacité. On peut les répartir en deux catégories : les retombées cognitives (soit les résultats aux épreuves) et non cognitives.
En ce qui concerne les retombées cognitives, la littérature est assez solide, reposant sur des essais contrôlés randomisés (ECR). Les ECR ont l’assentiment des économistes, parce qu’ils recréent des conditions expérimentales permettant d’évaluer directement la causalité d’un traitement donné – en l’occurrence, l’instauration des choix pour les parents et de l’autonomie des écoles. Ici, le terme « randomisé » signifie que les parents ont la possibilité de choisir l’école s’ils participent à un système de loterie qui permet à certains d’entre eux d’envoyer leurs enfants dans une autre école publique ou de recevoir des bons d’études. Comme la loterie est aléatoire, nous pouvons comparer l’incidence sur les enfants sélectionnés ou non et ainsi formuler des affirmations sur l’incidence des choix des parents et de l’autonomie des écoles.
La majorité des ECR portant sur l’augmentation des choix des parents établissent clairement une corrélation positive avec les retombées cognitives. En effet, 10 des 17 ECR ont révélé des améliorations statistiquement significatives des résultats en mathématiques et en lecture, 4 n’ont montré aucune incidence, 1 a révélé des effets mitigés et 2, des répercussions négatives(8). De plus, les deux études ayant montré des répercussions négatives portaient sur des cas où la hausse de l’autonomie des écoles et des choix des parents était faible comparativement à d’autres cas étudiés dans la littérature(9). Il est donc très clair qu’une hausse importante des choix des parents et de l’autonomie des écoles améliore généralement le rendement.
Pourtant, les retombées cognitives ne représentent pas la part du lion dans les avantages qu’apportent les choix des parents et l’autonomie des écoles. Pour les parents, l’éducation ne se résume pas aux résultats à des épreuves normalisées testant les capacités en lecture et en mathématiques. Ils se soucient également de l’environnement social où leurs enfants seront éduqués et du bien-être mental qu’il leur procurera. Quand les aspects de santé mentale sont un critère important pour eux dans l’environnement d’éducation, les parents seront mieux à même de trouver un service adapté s’ils ont un plus grand choix d’écoles. Et en effet, la littérature constate une forte corrélation entre l’étendue des choix offerts aux parents en matière d’éducation et l’amélioration de la santé mentale des élèves.
Une étude récente compare la santé mentale des élèves avant et après l’instauration de la possibilité de choisir l’école dans certains États américains et dans les États qui ne donnent pas ce choix aux parents(10). Cette méthodologie, largement répandue dans le domaine des analyses économiques, donne l’occasion aux chercheurs de pondérer les causes des effets constatés(11). Chez les adolescents de 15 à 19 ans, les auteurs ont observé une baisse de 10 % du taux de suicide après l’instauration de la possibilité de choisir l’école(12).
Lorsqu’ils ont intégré à leur analyse d’autres données, comme le pourcentage d’enfants signalant des problèmes de santé mentale (par exemple, anorexie ou boulimie), ils ont constaté des retombées similaires. La probabilité que l’enfant ait des problèmes affectifs diminuait de 1,9 à 2,9 points de pourcentage(13), une amélioration considérable étant donné que 3 % des membres du groupe étudié signalaient ce genre de problèmes(14). Ce constat important vient étayer des études passées, moins solides, qui établissaient un lien entre la possibilité de choisir l’école et la santé mentale(15). Selon les auteurs, les retombées positives découleraient de la meilleure sensibilisation des écoles aux enjeux que sont l’intimidation, les activités parascolaires et l’engagement civique. Elles adaptent donc leurs services aux besoins de la population locale et créent une culture scolaire plus positive.
Alors que la plupart des gens applaudissent les avantages des améliorations cognitives – dont les implications sont évidentes –, il est plus difficile de saisir les retombées des améliorations non cognitives. Cependant, cela ne signifie pas qu’elles ont peu de valeur. En fait, leur importance est probablement équivalente à celle du développement cognitif, car on sait que la santé mentale au début de l’adolescence est un bon indicateur des capacités au travail et du revenu plus tard dans la vie(16).
Le problème de l’intimidation est probablement ce qui illustre le mieux l’importance de ces retombées. Quand une personne est victime d’intimidation entre l’âge de 13 et 16 ans, ses réalisations scolaires et ses revenus sont nettement moindres une fois rendue à 25 ans(17). Comme la possibilité de choisir l’école semble inciter les établissements scolaires à s’attaquer à l’intimidation, les retombées de ce type de politique ne pourront s’observer qu’après un certain temps, mais elles seront néanmoins considérables à long terme.
Conclusion
Tous en conviendront : il est important d’améliorer les retombées cognitives et non cognitives pour les enfants, et les politiques éducatives jouent un rôle crucial à cet égard. Néanmoins, il serait illusoire de penser que c’est uniquement par l’augmentation des dépenses gouvernementales en éducation que l’on obtiendra ces améliorations, car la manière dont l’argent est utilisé a plus d’importance que le montant dépensé. L’essentiel de la littérature empirique dans le domaine de l’économie de l’enseignement indiquent que les politiques augmentant les choix des parents et l’autonomie des écoles ouvrent la voie à une meilleure utilisation des fonds. La seule question qui demeure est de savoir comment adapter les principes du choix de l’école et de l’autonomie des établissements scolaires à la situation particulière du Québec, dans l’intérêt des parents et des élèves de la province.
Références
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