Par Maria Lily Shaw et Krystle Wittevrongel.
Des milliards de dollars ont été engloutis dans le système de santé québécois pour améliorer la capacité de ses technologies de l’information. Les résultats laissent cependant beaucoup à désirer. Par exemple, lorsque les autorités de santé. ont eu un besoin urgent de données en temps réel sur le nombre de cas de COVID-19 dans les établissements de la province ou la population en général, elles ont réalisé que les renseignements étaient encore transmis par télécopieur. Il est tout simplement inacceptable qu’une méthode de transmission de données aussi inefficace soit encore utilisée en 2022.
Du point de vue du patient, la situation peut être tout aussi exaspérante. L’information du dossier médical ne peut pas être échangée facilement entre les hôpitaux à cause du manque de compatibilité entre les systèmes de dossiers de santé électroniques, ce qui nécessite que les patients répètent leurs antécédents médicaux plusieurs fois, ou même qu’ils apportent eux-mêmes leurs rapports d’imagerie à un rendez-vous. Non seulement est-ce un fardeau pour les patients et les fournisseurs de soins, mais il en découle un risque que de l’information cruciale se perde dans le processus de traitement.
Qui plus est, les dossiers de santé électroniques québécois ne sont même pas complets; il y manque encore des renseignements essentiels : vaccins passés ou récents, allergies, feuille sommaire d’hospitalisation rédigée par le médecin traitant après un séjour à l’hôpital. Les heures passées par les médecins (et donc les dollars des contribuables!) à jouer les détectives afin de retrouver tous les morceaux manquants sont un gaspillage honteux.
Si l’accessibilité des antécédents médicaux pour les patients et les professionnels de la santé tombe sous le sens, des données détaillées sur la santé recueillies systématiquement sont également indispensables à la recherche, et pourtant, les systèmes obsolètes et inefficaces du Québec compliquent encore inutilement l’accès aux données pour les chercheurs. Ainsi, en plus des coûts actuels, les Québécois sont aussi perdants sur le plan des innovations locales en santé.
Il est évident que la collecte et l’accessibilité des données de santé dans la province ont désespérément besoin d’être réformées. Heureusement, il semble que le ministre de la Santé soit d’accord, puisque l’une des priorités de son récent plan de réforme consiste à régler enfin les problèmes technologiques évidents du système de santé. Il n’a pas besoin de regarder bien loin pour trouver des exemples de pratiques exemplaires en matière de collecte et de transmission de données de santé à des fins de recherche : on trouve quelques exemples prometteurs ici même au Canada.
L’Alberta a conçu un système de dossiers de santé électroniques reconnu à l’échelle mondiale, Netcare, qui agit comme un portail récupérant toute l’information clinique des divers systèmes de la province et la présentant sous forme de dossier de patient unique.
Lorsqu’il y a un dossier électronique unifié et compatible, l’information peut facilement être utilisée en recherche. En Ontario, l’ICES collabore depuis 1992 avec le gouvernement, des décideurs et des acteurs du système de santé pour l’analyse de données administratives anonymes sur la santé.
L’information détenue par l’ICES est recueillie lors de visites chez le médecin et à l’urgence, et d’hospitalisations, et peut comprendre les médicaments prescrits. Grâce à ces données, on peut étudier de multiples aspects des soins de santé en Ontario, notamment les issues d’interventions médicales ou des mesures de l’efficacité du système de santé. Le Québec pourrait apprendre de ce modèle de transmission sécuritaire de données anonymisées destinée à la recherche.
Il en reste beaucoup à faire pour moderniser et uniformiser l’information répertoriée dans le système de santé québécois. D’abord, le Québec doit collecter les renseignements de santé systématiquement, avec un souci d’exactitude. Ensuite, le catalogage et le stockage de renseignements papier doit être abandonné et les systèmes électroniques utilisés pour recueillir les renseignements de santé doivent communiquer. Enfin, il faut autoriser la transmission sécurisée de données anonymisées sur la santé à des fins de recherche.
Le Québec a désespérément besoin de mettre en place un écosystème de santé numérique moderne et robuste. Cela favorisera la santé des patients d’aujourd’hui et encouragera l’innovation pour offrir de meilleurs soins demain.
Maria Lily Shaw est économiste à l’IEDM et Krystle Wittevrongel est analyste en politiques publiques à l’IEDM. Elles sont les auteures de « L’accès aux données sur la santé au Québec: un enjeu crucial » et signent ce texte à titre personnel.
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