Que nous vivions dans un monde aux ressources finies semble une évidence pour tout le monde. De là naissent toutes sortes de théories qui se ramènent essentiellement à la nécessité de ralentir, voire de stopper notre croissance, car comment avoir une croissance infinie dans un monde aux ressources finies ?
Comme souvent, cette évidence n’en est pas une. Elle constitue un cas classique de sophisme, c’est-à-dire de raisonnement faux malgré une apparence de vérité.
Savez-vous ce qu’est le guano ? C’est un amas d’excréments d’oiseaux marins ou de chauves-souris présent sur différentes îles du Pacifique où il s’est accumulé parfois sur plusieurs mètres d’épaisseur. Il constitue un engrais très efficace, en vertu de sa grande concentration en composés azotés. Le guano a été récolté par des compagnies privées ou publiques pendant des siècles. La production des îles Chincha, par exemple, atteignait 600 000 tonnes par an à la fin des années 1860. Ressource essentielle, elle fut l’objet de toutes les convoitises et de toutes les rivalités, menant à la guerre hispano-sud-américaine, aussi connue sous le nom de guerre du guano lorsqu’en 1863, l’Espagne tenta de s’emparer des îles Chincha. Le Pérou et le Chili repoussèrent les forces navales espagnoles. Cependant, à partir de cette période, divers progrès techniques permettent de créer des engrais à partir de sources radicalement différentes, et la demande de guano décline rapidement.
Un faux problème
L’histoire du guano offre plusieurs leçons pour mieux comprendre pourquoi la finitude de nos ressources naturelles est un faux problème.
Premièrement, la rareté doit être pensée de façon économique et non physique. Autrement dit, la rareté d’une ressource n’a d’intérêt que du point de vue de son utilité. Le silex est rare et fini, mais qui s’en préoccupe ? Personne, car nous n’utilisons plus de silex depuis des milliers d’années. Ressource rare, stratégique et finie en 1860, le guano n’est plus utilisé quarante ans plus tard. La finitude d’une ressource n’a donc d’importance que si celle-ci est utilisée. Aucune n’a de valeur en elle-même.
Deuxièmement, et de façon très liée au point précédent, la rareté d’une ressource dépend de nos connaissances et de l’état de notre développement technologique. L’exploitation intensive du guano à la fin du XIXe siècle a menacé d’épuiser les ressources, mais cela n’a eu aucune importance car au même moment, d’autres procédés prenaient le relais pour produire des engrais. Aujourd’hui, les stocks sont reconstitués mais personne ne s’en préoccupe : le guano est abondant et n’a aucune valeur. La disponibilité physique d’un bien ne compte que s’il y a une demande pour celui-ci.
Troisièmement, l’innovation déjoue les prévisions. Avant la Première Guerre mondiale, les alliés étaient persuadés que l’Allemagne ne pourrait faire la guerre car ils contrôlaient l’accès au guano. Sans accès au nitrate, l’Allemagne ne serait pas en mesure de produire des explosifs ou de se nourrir. Elle déjoue ces calculs en industrialisant le procédé Haber qui permet de fabriquer de l’ammoniaque à partir de l’azote de l’air. L’innovation totalement imprévue a complètement changé les règles du jeu et a rendu inutile une ressource absolument stratégique quelques années auparavant.
Le pétrole, une ressource finie ?
On peut appliquer le raisonnement au pétrole.
Si nous disons que la quantité de pétrole sur la Terre est finie, nous ne faisons qu’affirmer une évidence, qui est cependant une approximation au sens où celui-ci met des millions d’années à être créé naturellement. Un raisonnement de physicien nous amène à penser qu’on va brûler le pétrole et qu’un jour, nous brûlerons notre dernier litre de pétrole. Mais à cela l’économiste répond aussitôt : non, si la demande persiste, et que les réserves disponibles diminuent, le prix va augmenter. Ce prix va diminuer la demande, et la reporter vers des énergies alternatives. Il va rendre plus rentables ces alternatives en incitant les investisseurs et les utilisateurs. Il va modifier les comportements : par exemple, les gens vont rapprocher leur domicile de leur lieu de travail. En retour, la diminution de la demande va faire baisser le prix. Le système va s’adapter. On se souvient que le boom actuel des voitures électriques a démarré en 2007 lorsque le prix du baril a atteint 130 dollars. À l’approche de la limite de réserve, le prix tend vers l’infini, le dernier litre de pétrole ne sera jamais brûlé. Mais cela aura commencé bien avant. Autrement dit, en tant que bien économique, le pétrole est infini. Or c’est la seule considération qui nous intéresse.
Et si nous vivions dans un monde infini ?
Le raisonnement peut être généralisé à toutes les matières premières, et pour l’appliquer il n’est pas nécessaire de croire au « tout marché », simplement de reconnaître que le système de prix est un assez bon régulateur, même s’il peut être complété par d’autres approches.
On le voit, l’erreur consiste à voir les ressources comme des biens physiques, alors que ce sont des biens économiques dont la valeur dépend du rapport entre l’offre et la demande, et la rareté des substituts existants. Évaluer leur finitude ne se ramène donc pas à un calcul de type « une baignoire contient 50 litres d’eau, elle se vide au rythme de 20 cl par minute, quand sera-t-elle vide ? »
Dit autrement, il est absolument impossible de prédire cette finitude et ceux qui prétendent le contraire éludent complètement la nature du problème soit par ignorance, soit pour faire avancer un agenda d’ordre politique.
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