Par Frédéric Mas
Dans son dernier essai intitulé Le Grand Vieillissement, Maxime Sbaihi tire la sonnette d’alarme sur une révolution silencieuse, celle du vieillissement général de la population et de ses conséquences sociales, politiques et économiques.
La réélection d’Emmanuel Macron en est la démonstration la plus immédiatement visible. Alors que la majorité des actifs a préféré voter pour Marine Le Pen, c’est grâce aux retraités que le candidat président n’a cessé de cajoler, que l’extrême centre s’est imposé face à l’extrême droite.
La France produit des centenaires en pagaille, et c’est heureux, mais voit sa natalité se ralentir nettement :
« Nous comptons aujourd’hui déjà plus de 20 000 centenaires, soit deux fois plus qu’en 1999 et treize fois plus qu’en 1975. La tendance va aller en s’accélérant puisque l’Insee prévoit 270 000 centenaires d’ici à 2070. »
Les boomers à la première place
Le déséquilibre se fait en effet désormais en faveur des boomers. Cette génération de l’après-guerre vit plus longtemps, part plus tôt à la retraite et compte sur les actifs d’aujourd’hui pour l’entretenir, comme elle-même a cotisé pour ses parents selon le principe de solidarité intergénérationnelle.
Seulement, cette génération est plus nombreuse, vit plus longtemps et cotise moins, ce qui déstabilise profondément un modèle social français particulièrement sensible aux variations démographiques.
Il y a de moins en moins d’actifs pour soutenir les inactifs :
« Alors que la France comptait 5 actifs pour une personne âgée inactive en 1945, ce rapport n’a cessé de se dégrader depuis. Il est passé sous la barre de 4 pour un en 1994 puis 3 pour un en 2016 et devrait passer sous la barre de 2 pour un d’ici 2040. »
Ce déséquilibre fait exploser les dépenses publiques, en particulier dans le domaine social, et pire, creuse l’écart social entre la génération des boomers et le reste de la population.
L’accès à la propriété et l’amélioration du niveau de vie ont nettement ralenti après la génération 68 et les retraités, notamment grâce à leur enrichissement patrimonial :
« Les boomers se retrouvent mieux dotés en patrimoine que n’importe quelle génération précédente à leur âge grâce à des trajectoires de carrière favorables à l’accumulation patrimoniale, que ce soit par l’achat de logements ou la constitution d’une épargne financière -conditions que n’ont plus connues les générations suivantes, tour à tour confrontées à un chômage de masse et à une croissance atone qui les force à devoir patienter, ou à s’endetter davantage, pour se constituer un patrimoine. »
Les grands perdants du vieillissement sont les jeunes qui en retour s’abstiennent en masse ou préfèrent voter aux extrêmes plutôt qu’accepter des appareils politiques dominants qui ne parlent qu’aux insiders, cette classe de citoyens protégés des aléas économiques par leurs statuts, leurs CDI ou leurs retraites. Sur le plan politique, le déséquilibre entre générations peut provoquer des catastrophes si la coalition désormais majoritaire des seniors pèse de tout son poids pour empêcher les réformes et maintenir le statu quo en leur faveur, comme ce fut le cas pour la CSG.
Sacrifier les jeunes
Pire, sacrifier la jeunesse pour protéger les intérêts des plus âgés est désormais une tentation bien réelle au sein de la classe politique. On l’a vu avec la crise sanitaire, où le gouvernement a préféré mettre à l’arrêt l’intégralité de la société et confiner tout le monde plutôt que d’isoler les plus fragiles, c’est-à-dire les plus âgés.
L’essai de M. Sbaihi n’est pas une déclaration de guerre entre générations, mais un appel à la concertation de tous pour offrir aux plus jeunes de meilleures perspectives que celles envisagées par un système de redistribution devenu à sens unique. S’inspirant du modèle social-libéral rawlsien et imprégné de solidarisme bien compris, il propose de réformer à la marge un système social qui apparaît pour beaucoup à bout de souffle.
C’est sans doute ici la seule limite pour nous de cet essai pénétrant, nuancé et informé : le vieillissement de la population est aussi une crise de l’avenir, pour paraphraser Marcel Gauchet. Et le perpétuel présent, c’est de vouloir rafistoler le « modèle social français », ce modèle mental hérité de l’après-guerre, et qui n’est qu’une mise en forme de différents corporatismes socio-économiques au profit des insiders et aux détriments des outsiders, et celui depuis de nombreuses décennies, bien avant le tournant démographique évoqué par M. Sbaihi1.
Mais c’est une autre histoire, et dans la grande conversation sur notre avenir collectif, le Grand vieillissement mérite une place de choix.
Maxime Sbaihi, Le grand vieillissement, Editions de l’Observatoire, mai 2022.
- Timothy Smith, La France injuste, 1975-2006, Autrement, 2006. ↩
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