Par Robert Guiscard.
Le Club de l’économie du Monde se propose de faire débattre décideurs et « experts » sur les grandes mutations économiques. Quels traits constitutifs se dégagent de leur Cité idéale ?
Trois aspects semblent se dessiner : la souveraineté européenne et numérique, la transition écologique et enfin des conceptions économiques originales sur la dette, l’inflation ou la dépense publique que je regroupe sous le terme de nouveaux économistes.
Malheurs de la souveraineté : l’autarcie et la citadelle assiégée
Sur l’Europe, les avis sont unanimes : des nuages menaçants s’amoncellent autour des bureaucrates de Bruxelles. Seraient-ce les volontés d’hégémonie de la Chine ou de la Russie ? Que nenni ! Non, le danger véritable provient des démocraties : l’élection de Donald Trump et le Brexit ! Les décideurs dépeignent l’Union européenne en citadelle assiégée et veulent la refermer sur elle-même. Il faut donc revenir sur certains principes fondateurs comme la libre circulation des capitaux et mieux contrôler les investissements étrangers, forcément suspects.
La souveraineté n’est donc ici plus une autorité suprême qui donnerait un droit à régner, mais une volonté d’autarcie, la chimère éternelle de l’autosuffisance, comme en Corée du Nord. Ce que la Russie est contrainte de faire sous l’effet des sanctions internationales, l’UE doit le faire d’elle-même ! En effet, le but poursuivi est de mettre fin à la mondialisation, les interdépendances, c’est-à-dire les échanges et la spécialisation créateurs de richesses, afin de relocaliser, particulièrement certains secteurs sensibles. L’éternel retour de l’État stratège… Le truculent Cédric O se paie le luxe de ressortir l’antienne des géants du numérique européens et en même temps de préciser qu’il n’est ni possible ni souhaitable de se passer de leurs concurrents américains : Doctolib a ainsi eu besoin des services d’hébergements d’Amazon.
Le premier de ces secteurs stratégiques est le cloud souverain, sujet de l’intervention de Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes, alléché par le projet d’identité numérique de Thalès. Pour lui, il s’agit de redevenir sérieux, autrement dit de remettre les destinées humaines, du berceau au tombeau, sous l’empire du Léviathan.
Son raisonnement est le suivant : il commence par inclure dans la sphère de l’État l’ensemble du monde terrestre, « la Terre, l’air, la mer et même les fréquences radio. » qui seraient politiques par nature, après tout Knut le Grand prétendait bien commander aux flots… Puis, il constate que les services rendus par les entreprises du numérique viennent se superposer à la vie réelle. Il serait donc logique d’inclure également cet espace numérique dans l’orbite des pouvoirs publics. Sans doute s’avisera t-il sous peu que les idées et les croyances complémentent tout autant le monde réel et il s’empressera de les confier aux bons soins étatiques.
Fort de ce principe, cet émule de Thomas Hobbes propose de mettre à jour les instruments de contrôle du Léviathan : territorialisation d’Internet via la création de frontières et attribution à chaque citoyen d’une identité numérique, comme en Chine. Eh oui, dans la droite lignée de nos sénateurs, la Chine communiste est la nouvelle Atlantide de nos élites dont ce capitaine d’industrie qui « félicite les initiatives des Chinois. Ils ont su, par une politique intelligente, développer leur écosystème de non-dépendance numérique ». La censure et le filtrage d’informations par un parti unique, quel bonheur !
Faut-il rappeler que le PCC a forcé Blizzard à contrôler les passeports des joueurs hongkongais afin de bannir ceux ayant participé aux manifestations pro-démocratie ? Et qu’en plus les autorités tentent d’entraver la diffusion de vidéos et de témoignages du confinement de Shanghaï ? Quand on sait que notre président a mis en doute la citoyenneté de certains de nos concitoyens, faut-il lui mettre entre les mains de nouveaux outils pour emmerder ceux que l’on qualifie au choix de complotistes, de séparatistes ou d’obscurantistes ?
Dans la pensée du directeur de Dassault, l’identité numérique, c’est-à-dire l’immixtion de l’État dans la moindre parcelle de vie privée des individus, permettrait de tracer, contrôler et « garantir » nos transactions numériques. C’est là sa présomption fatale, l’État n’est pas un tiers de confiance mais un tuteur, dont il est bien imprudent de renforcer le pouvoir en lui donnant nos données numériques. Qui plus est, ce tuteur est bien inutile : les individus savent se coordonner et nouer des relations de confiance sans passer par l’État, un vendeur suspicieux demandera des garanties à ma banque ou un proche, et l’affaire sera réglée. Quel stade de paranoïa hyperbolique faut-il atteindre pour penser qu’une société de surveillance et de contrôle total à la chinoise pourrait instaurer le moindre degré de confiance entre les individus ? La loi des suspects, la sainte Inquisition, le crédit social, tant de systèmes favorisant l’entente et la concorde sociale !
Il a l’anonymat en horreur : on ne peut pas savoir qui fait quoi, pur chaos sans foi ni loi ! Tâchons donc de cacher à notre stratège de Dassault système, l’existence de R/Place, une tapisserie numérique où des internautes anonymes peuvent placer des pixels toutes les 5 minutes. Cet audacieux projet concentre toutes les peurs : des individus de tout pays qui ne se connaissent pas parviennent spontanément à se coordonner à partir de règles élémentaires, nouer des alliances, se répartir des zones réservées et créer des œuvres d’art plusieurs jours durant sans la moindre régulation étatique !
La sobriété écologique, cache-misère de la disette
Commençons sur une bonne note, la plupart des invités du journal Le Monde ont la décence de reconnaître que l’énergie dite verte est plus onéreuse et moins rentable que les énergies fossiles ou nucléaires. Tous, sauf Yannick Jadot, qui soutient mordicus que l’énergie verte serait deux fois moins chère que le nucléaire, sans qu’une seule voix ne vienne le contredire durant son intervention. Curieuse conception du débat que de laisser un leader politique débiter ses vérités alternatives en toute quiétude. Mais que font les fact-checkers ?
Toutefois, même là, le bât blesse : les défauts de rentabilité de l’énergie verte étant admis, il faut tout de même généraliser son emploi. En effet, les économistes décrètent qu’absolument tous les Français voudraient consommer plus vert, leurs études sont formelles ! En revanche, ils ne sont pas prêts à en payer le prix. En d’autres termes, les Français font le choix de l’efficacité et choisissent la source d’énergie la moins chère, et l’on voit mal ni comment les experts pourraient deviner les desseins cachés des Français ni d’où provient leur légitimité à contester les choix de consommation de ces derniers.
Ces prémisses une fois admises, Patrick Artus nous explique sagement que 4 points de PIB sont nécessaires pour réaliser la transition écologique (après tout 136 ou 140 % de dette nous ne sommes plus à ça près), mais, dit-il benoîtement, cela n’augmentera pas la production d’énergie et cela dilapidera un capital qui aurait été investi plus utilement ailleurs.
Les Français devront donc consommer 4 points de PIB de moins pour compenser.
Il conclut :
« Il n’y a pas le choix, La sobriété va donc s’imposer à nous. »
Cet investissement a déjà été décidé (par qui ?) et se fera « que ce soit volontairement ou de force ». Les Français devront donc une fois encore payer les pots cassés au nom des lubies de leurs élites. Concernant la mise en place de la transition, l’État pourra y aller en douceur dans un premier temps, via des incitations financières qui modifieront les comportements (les fameux nudges) soit plus brutalement si le bon peuple ne fait pas ce qu’on lui dit. On retrouve le même schéma que durant les confinements : appel à la responsabilité individuelle suivie sous peu de la coercition collective.
Les nouveaux économistes : tout va bien madame la marquise
Il y avait les nouveaux philosophes, il y a dorénavant les nouveaux économistes.
Le druide Artus nous explique savamment que le déséquilibre budgétaire dérive d’un déficit de compétences et de temps de travail :
« 7 % des Français en âge de travailler ont un emploi contre 80 % des Suédois. »
C’est ce qui entraînerait un manque de recettes fiscales. Mais c’est inverser la situation : c’est parce que ses dépenses publiques sont notoirement élevées et inefficaces que le budget de l’État français est déficitaire, et non pas à cause de rentrées insuffisantes. Rappelons que La France est un enfer fiscal. C’est aussi oublier que la réglementation tatillonne et la fiscalité spoliatrice découragent le travail et l’investissement tandis que le maquis d’aides sociales n’incite guère à augmenter le temps de travail.
Sur la question des retraites, Patrick Artus poursuit sa leçon :
« Aucune économie n’est possible en France, sauf sur les retraites. »
En effet, les aides de l’État aux entreprises, les dépenses militaires, la politique familiale et la culture sont décrétées intouchables (contrairement à la justice et la police ?). Il ne reste donc que les retraites comme variable d’ajustement.
On se demande bien comment font les gouvernements étrangers moins dépensiers ou comment la France faisait pour survivre avant la sécurité sociale et les retraites de Ponzi que le monde nous envie. Fait frappant, cette discussion sur le financement des retraites se concentre sur le nombre d’annuités et n’esquisse pas le moindre signe en direction d’une retraite par capitalisation, curieuse vue du débat d’idées.
Terminons en beauté avec le supplice de Cantillon par Daniel Cohen : la dette de ne coûterait rien aux États car les taux d’intérêt sont bas pour le moment, et le resteront (faites lui confiance). Autant en profiter pour dépenser à foison pour bien relancer la machine. L’inflation me direz-vous ? Mais l’inflation a disparu, comme chacun le sait. D’ailleurs elle n’est pas liée à la monnaie mais à l’augmentation des salaires !
Inversant cause et conséquence, Daniel Cohen explique cette disparition de l’inflation par une baisse du syndicalisme à cause du capitalisme invertébré. Les faibles taux de croissance actuels seraient dûs à la tertiarisation de l’économie : contrairement à l’industrie ou à l’agriculture les services ne créeraient pas de valeur, donc cela ne marche pas. Il fallait y penser ! Reprenant le thème de l’aliénation cher à Marx, l’avènement de la société numérique serait pour lui une nouvelle étape dans la déshumanisation puisqu’elle fait disparaître le présentiel. Soit, mais ne serait-ce pas plutôt l’État qui, par ses confinements et ses couvre-feux à répétition, rompt tout lien entre les individus ?
Conclusion
Les influenceurs du club d’économie du Monde s’inspirent donc des régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie et méprisent les choix des individus tout en se parant de vertus démocratiques, prônent le débat d’idées mais forment un microcosme partageant des valeurs similaires, se déclarent indépendants du pouvoir mais se font les relais de sa propagande.
Enfumés par l’opium des idéologies, les intellectuels se pensent depuis Hegel comme une minorité consciente devant guider le peuple, dépositaires uniques de la volonté générale et de l’héritage des Lumières. Ces épigones de Platon imaginent tisser la Cité idéale, mais leur nouveau monde, véritable costume d’Arlequin, n’est qu’un rapiéçage malhabile des haillons de l’ancien.
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