Par Gabriel Giguère.
Cette Note économique a été préparée par Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Environnement de l’IEDM vise à explorer les aspects économiques des politiques de protection de la nature dans le but d’encourager des réponses à nos défis environnementaux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité.
Le gouvernement du Canada met actuellement en place sa politique « zéro déchet de plastique(1) », qui a pour objectif de réduire les déchets de plastique dans l’environnement. Il a publié l’année dernière un décret visant à ajouter des « articles manufacturés en plastique » dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ce qui lui permet de mettre de l’avant une mesure interdisant la production à des fins d’usage au Canada et l’importation de six produits en plastique à usage unique (voir la Figure 1). Le gouvernement prévoit l’entrée en vigueur de cette interdiction d’ici la fin de 2022(2).
Non seulement cette mesure interdira-t-elle des produits pouvant déjà être traités après leur utilisation, comme c’est le cas des sacs d’emplettes en plastique, mais elle risque d’avoir des répercussions néfastes sur l’économie canadienne(3). En privilégiant une réglementation restrictive, par l’adoption d’une telle mesure, le gouvernement prend une posture à contresens des innovations présentes et futures de l’industrie.
Regard sur l’industrie canadienne du plastique
L’industrie du plastique, qui comprend la fabrication des produits finaux ou intermédiaires à partir de résines plastiques(4) et du même coup la fabrication de résines plastiques(5), occupe une place importante dans l’économie canadienne. Globalement, la production de résines plastiques et de produits en plastique représentait 35 milliards de dollars en 2017, ce qui constituait 5 % des ventes du secteur manufacturier au pays(6).
En 2020, pendant la première année de la pandémie de COVID-19, les revenus liés uniquement à la vente de produits en plastique manufacturés ont atteint plus de 24,6 milliards de dollars(7) au Canada (voir la Figure 2), une réduction d’un peu de plus de 1,5 milliard de dollars par rapport à l’année précédente. L’Ontario, à elle seule, est responsable de plus de la moitié de ces revenus de production de produits en plastique(8).
Plus de 85 % des entreprise de l’industrie du plastique sont de petite taille – moins de 100 employés –, une place au sein de l’industrie loin d’être négligeable(9). L’industrie dans son ensemble employait quelque 93 000 travailleurs canadiens en 2017(10) (voir la Figure 3).
Plus étroitement, l’industrie du plastique à usage unique représenterait, selon une estimation, de 5,5 à 7,5 milliards de dollars, et pourrait atteindre le quart des revenus liés à la production d’objets en plastique au Canada(11). Selon cette même estimation, ce secteur représente entre 13 000 et 20 000 emplois directs et 26 000 à 40 000 emplois indirects au pays(12). L’importance de cette industrie ne fait pas de doute. Le gouvernement devrait donc y réfléchir à deux fois avant de lui imposer une réglementation néfaste, d’autant plus que la petite taille de plusieurs entreprises du secteur les rend vulnérables aux effets d’une telle réglementation.
Les projections de l’utilisation mondiale de plastique sont de bon augure pour l’industrie et pour l’économie canadienne. En effet, l’utilisation de ce matériau essentiel au bon fonctionnement des sociétés modernes(13) devrait continuer de croître et même doubler d’ici 2050(14). Cependant, le gouvernement du Canada ne doit pas mettre de barrières réglementaires trop restrictives qui viendraient miner les investissements privés et qui, ultimement, nuiraient à la capacité des entreprises en sol canadien à répondre à cette demande mondiale future. L’interdiction prévue d’ici la fin 2022 de la production aux fins d’utilisation interne ou de l’importation de six produits en plastique à usage unique envoie d’ailleurs un message négatif à l’industrie quant à la possibilité d’étendre ses activités au Canada, bien que, pour le moment, la production de ces produits aux fins d’exportations soit encore permise.
Le cas des sacs d’emplettes en plastique
De son côté, l’industrie canadienne du plastique a pris certains engagements concernant le développement durable, notamment celui de ne produire que des emballages de plastique entièrement recyclables ou récupérables d’ici 2030. Ces emballages devront être réutilisés, recyclés ou récupérés d’ici 2040(15). À ces engagements s’additionnent les innovations du secteur, notamment en matière de recyclage.
D’ores et déjà, des entreprises ont mis de l’avant des systèmes permettant de recycler certains des produits en plastique que le gouvernement fédéral cherche à interdire. C’est le cas d’une entreprise en sol québécois, Modix Plastique, qui récupère entre autres les sacs en plastique pour ensuite les transformer en pastilles rigides pouvant être réutilisées pour fabriquer des pièces d’automobile(16) ou certains types d’emballage(17). Ce type de technologie permet de donner une seconde vie aux sacs d’emplettes en plastique et donc d’en réduire les impacts environnementaux.
De plus, les autres produits réutilisables ne sont pas ipso facto plus bénéfiques pour l’environnement(18). Avant qu’un sac réutilisable ait un impact environnemental moindre qu’un sac d’emplettes en plastique, plusieurs utilisations sont requises. Pour que certains types de sacs réutilisables en coton soient moins dommageables pour la santé humaine et la qualité des écosystèmes et qu’ils requièrent moins de ressources fossiles que les sacs en plastique à usage unique, par exemple, ils doivent être réutilisés entre 100 et 3657 fois(19), ce qui représente de 2 à 70 ans d’utilisation hebdomadaire.
Ce résultat s’explique, en partie, par le fait que le coton requiert 680 fois plus d’eau par kilogramme pour la production de fibres que des sacs d’emplettes en plastique, sans compter les émissions de pesticides dans les sols durant sa production(20).
L’interdiction de sacs d’emplettes en plastique en Californie a aussi produit des effets inattendus. La réduction de 40 millions de tonnes de déchets de sac d’emplettes a été contrebalancée par une augmentation de 12 millions de tonnes de sacs-poubelle plus épais(21). Ainsi, bannir les sacs d’emplettes en plastique ne garantit pas une réduction de l’empreinte carbone : si cela constituait le seul critère permettant de mesurer l’impact environnemental, l’interdiction en Californie aurait plutôt eu l’effet contraire de celui escompté par les décideurs politiques(22).
Dans un autre cas de figure, suite à l’interdiction des sacs en plastique à usage unique sur le Territoire de la Capitale australienne, l’utilisation d’autres types de sacs a aussi augmenté(23) et les effets bénéfiques de cette politique furent donc limités :
[L]es informations disponibles suggèrent que, si l’interdiction a effectivement réduit les déchets au cours de la période étudiée, les réductions ont probablement été faibles. Pour des raisons similaires, il est peu probable que l’interdiction ait contribué de manière significative à la réduction de la pollution plastique des océans(24).
Alors que certaines entreprises prennent déjà l’initiative de recycler les sacs d’emplettes en plastique, l’interdiction par le gouvernement de produire et d’importer ces sacs d’ici la fin de 2022 à des fins d’utilisation sur le territoire canadien brimerait non seulement les entreprises de production et de recyclage, mais ne générerait probablement pas les résultats escomptés. Les Canadiens se tourneraient vraisemblablement vers des solutions de rechange tout aussi polluantes, voire davantage. Le gouvernement devrait plutôt axer ses efforts sur la mise en place d’un cadre fiscal concurrentiel, notamment au moyen de crédits ou de baisses d’impôt pour encourager le déploiement de technologies nouvelles ou existantes dans le secteur du recyclage, ce qui permettrait d’éviter les répercussions néfastes du recours à des substituts aux sacs d’emplettes en plastique.
Les emballages en plastique et le gaspillage alimentaire
La politique du gouvernement prévoit interdire des emballages alimentaires qu’il qualifie de « problématiques », tel le polystyrène, alors que certains centres de recyclage sont déjà en mesure de traiter ce produit(25).
Qui plus est, le problème du gaspillage alimentaire s’aggravera sûrement si le gouvernement poursuit sur cette voie, car les emballages en plastique permettent de conserver les aliments plus longtemps(26). En diminuant le gaspillage alimentaire, on atténue du même coup les impacts environnementaux découlant des aliments non consommés (les fruits et légumes étant au premier rang)(27). Par exemple, si les émissions de GES de la production d’un nouvel emballage doublaient, mais que celui-ci permettait de réduire le gaspillage de pain de 5 %, il n’y aurait alors pas d’augmentation des impacts environnementaux du cycle de la chaîne alimentaire(28).
Au Canada, le gaspillage alimentaire représente environ 35,5 millions de tonnes par année, et on évalue à 11,2 millions de tonnes la quantité de gaspillage qui pourrait être évité par la consommation ou par des dons aux banques alimentaires, soit suffisamment d’aliments pour nourrir tous les Canadiens pendant près de cinq mois(29). Cette réalité coûte cher aux familles canadiennes qui, selon un sondage effectué en 2020, gaspillent en moyenne l’équivalent de 1100 $ par année en nourriture(30).
Le plastique à usage unique permet d’éviter en partie le gaspillage alimentaire. Le gouvernement ne devrait donc pas emprunter la voie de l’interdiction de ce type de plastique, une approche contre-productive dans la mesure où l’emballage ne représente environ que 5 % des répercussions sur le climat (autrement dit, la production totale de GES) si l’on intègre l’ensemble de la chaîne alimentaire dans le calcul(31).
Conclusion et recommandations
Dans sa configuration actuelle, la mesure visant l’interdiction de six produits plastiques à usage unique de la politique fédérale zéro déchet de plastique mise sur une réglementation restrictive plutôt que sur les innovations mises de l’avant par l’industrie canadienne du plastique, ce qui aura des conséquences économiques négatives au Canada. De plus, les produits en plastique, notamment l’emballage pour les aliments, peuvent jouer un rôle bénéfique dans la lutte aux changements climatiques en réduisant le gaspillage alimentaire. Comme on l’a vu, des méthodes de recyclage des sacs d’emplettes existent aussi et sont davantage souhaitables qu’une interdiction de ce type de produit.
Afin de réduire la quantité de déchets de plastique dans l’environnement sans pénaliser les acteurs de cette industrie et les consommateurs canadiens, le gouvernement fédéral devrait opter pour les solutions suivantes :
- Retirer la mention « articles manufacturés en plastique » de l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et, du même coup, annuler l’interdiction des six produits en plastique à usage unique actuellement ciblés par la politique fédérale. Le gouvernement devrait plutôt miser sur les innovations de nos entrepreneurs.
- Établir un cadre fiscal concurrentiel permettant de stimuler l’innovation, notamment des crédits ou des baisses d’impôt – et non des subventions comme c’est le cas actuellement(32) –, pour encourager le déploiement de technologies nouvelles ou éprouvées, et ainsi augmenter le taux de recyclage.
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