Par Yves Bourdillon.
Et si la guerre en Ukraine illustrait, une fois de plus, la supériorité du libéralisme ?
Pas seulement sur le plan moral, puisque ce conflit oppose une démocratie à un régime autoritaire et enclin à menacer ou envahir ses voisins, mais en termes tout simplement d’efficacité.
Certes, les succès de Kiev s’appuient sur le courage de ses soldats et l’appui d’une population unie dans un patriotisme qui a surpris les Ukrainiens eux-mêmes, en sus de la qualité du renseignement satellite, ou aérien américain et de la fourniture d’armes occidentales, missiles antichars, radars, lance-grenades avant l’invasion, ainsi que canons et blindés depuis un mois.
L’agilité contre la procédure
Mais quelque chose de plus diffus est à l’oeuvre, qui s’appuierait sur des principes disons libéraux, hé oui. Si on considère sommairement que le libéralisme mise sur l’initiative individuelle, la conduite des opérations ukrainiennes s’appuie bien davantage sur la capacité des sous-officiers ( » toute guerre se gagne avant tout grâce à des sergents », selon un idiome militaire) à faire des choix de manière autonome, grâce pour certains à leur formation aux États-Unis, que l’armée russe.
Cette dernière semble engluée, suivant sa tradition séculaire, dans une culture de type « attendons les ordres supérieurs et tenons-nous-y strictement », sans trop s’adapter aux circonstances. Management bottom-up contre top-down, en quelque sorte. C’est d’ailleurs pourquoi l’armée russe perd tant de généraux, déjà neuf sur les vingt déployés sur le théâtre d’opération, puisqu’ils sont obligés de s’approcher de la ligne de front pour analyser la situation et donner leurs instructions.
Et de nombreux témoignages de soldats ukrainiens, ou russes (lors d’échanges téléphoniques avec des proches) indiquent une différence spectaculaire d’agilité des unités au combat, avec notamment des colonnes de blindés russes lancées sans reconnaissance ni appui-feu. Comme disait Patton « aucun plan n’a jamais résisté à la réalité du champ de bataille ».
Deuxième point, les achats d’équipements militaires. Une activité, par définition, étatiste mais où sont en jeu des mécanismes libéraux, appel d’offres, transparence de marchés publics, audit et contrôle. Là encore, la différence est spectaculaire entre Kiev et Moscou. Si les autres secteurs d’activité de l’Ukraine sont encore affectés par une corruption endémique, en revanche les pouvoirs publics y ont refondu de fond en comble le système de military procurement après l’humiliation de l’annexion de la Crimée en 2014, époque où le pays ne pouvait aligner qu’une seule division d’infanterie en état de marche. Cet enjeu existentiel a poussé l’Ukraine à faire passer ses dépenses militaires d’environ 1 % de son PIB à 6 %, un des niveaux les plus élevés de la planète.
À Kiev, en novembre, des députés des divers partis d’opposition à qui je demandais s’ils pouvaient citer une mesure du gouvernement qu’ils approuvaient avaient cité unanimement et sans hésiter la refonte du système d’acquisition d’équipements ; et un député du parti au pouvoir avait reconnu qu’elle avait été amorcée par la précédente administration.
À l’inverse, l’armée russe est un nid patenté de corruption, qui explique pourquoi des généraux peuvent se payer des demeures somptueuses avec un salaire relativement modeste. En fait, la corruption est le moyen par lequel le régime s’assure la loyauté des forces armées en permettant à chacun de piller un peu le système.
Ce qui explique que du carburant s’évapore, que des composants ou des armes tombent du camion, ou que le matériel livré se révèle sub-standard à l’issue d’appels d’offres biaisés au profit de firmes bien connectées. Juste un exemple parmi mille : les blindés à roues russes n’osent pas s’aventurer hors des routes, où leurs colonnes constituent des cibles faciles, par peur de crevaison. Il suffit de zoomer sur une photo de pneus de blindés pour comprendre au vu des fissures… On estime aussi qu’un missile russe sur quatre est inopérant.
Dernier point : dans un régime militaire, la remontée d’informations est toujours défectueuse, marquée par la crainte de la colère de l’échelon supérieur, avec par conséquent la tentation de ne lui dire que ce qu’il aimerait entendre et donc de rosir le tableau. L’image de Sergueï Narychkine chef des services de renseignements extérieurs (SVR), bégayant de trouille à la télévision fin février face à Vladimir Poutine, a ainsi marqué les esprits.
Rien d’étonnant, de ce fait, que le maître du Kremlin ait cru que les Occidentaux resteraient les bras croisés, que l’armée ukrainienne s’effondrerait rapidement et que la population accueillerait les soldats russes avec du pain, des fleurs et du sel au lieu des cocktails Molotov. Erreur d’appréciation qui a poussé le Kremlin à ce qui pourrait être son pire désastre géopolitique depuis presque un siècle…
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