Par Raphaël Roger.
L’élection présidentielle est finie depuis le 24 avril et le Conseil constitutionnel a officialisé les résultats du second tour avec la victoire d’Emmanuel Macron, comptabilisant 58,55 % des suffrages exprimés. Pour autant, loin d’être une victoire éclatante qui exprimerait le ralliement des citoyens français à son programme, le résultat du second tour à de quoi inquiéter.
En effet, en tenant compte non pas des suffrages exprimés mais des inscrits, Emmanuel Macron fait 38,52 % avec une abstention (abstention stricto sensu + votes nuls + votes blancs) de près de 35 %. De quoi interroger évidemment sur la légitimité d’un tel suffrage. Bien sûr, cette situation est loin d’être unique, et elle existait déjà pour les élections précédentes, notamment les régionales et départementales, où un grand nombre d’élus l’avaient été avec moins de 10 % des inscrits. Cette situation, qui pouvait sembler conjoncturelle est devenue structurelle au fil des années sous la Ve République.
Certains observateurs étrangers prédisent même une révolution dans les années qui suivent. Pour autant, il ne semble pas y avoir chez les électeurs du président de la République sortant, une réelle réflexion sur l’évolution de la société. Cette lacune aboutit alors à ignorer la carence démocratique en France, ou plutôt à l’absence de démocratie délibérative/participative.
Il s’agira donc, en deux articles, d’aborder tout d’abord le constat de cette maladie française, qui fera l’objet de deux parties, et ensuite les solutions que l’on pourrait apporter, en se basant sur les constats du premier article.
Le constat d’une société bloquée remplie de défiance
Face aux mouvements populistes que sont le Rassemblement national et la France insoumise, l’un prônant un populisme de droite avec une défiance à la fois vis-à-vis des institutions et des individus, l’autre prônant, en s’appuyant sur les thèses de Chantal Mouffe, un populisme de gauche avec une critique forte des institutions actuelles, le « bloc élitaire » composant l’électorat Macron, qui peut aussi être vu comme le « populisme des élites », tend à préférer le statu quo institutionnel au risque d’exacerber les tensions autour de lui. En ne voulant pas remettre en cause le modèle démocratique actuel, le président de la République concentre tous les éléments alimentant une nouvelle crise institutionnelle.
Dans Le Mal français, Alain Peyrefitte avait déjà évoqué les problèmes de la société française. Il commençait par déclarer :
« Voici la France, qu’on dit ingouvernable ; qui détient le record des révoltes, des effondrements de régime, des luttes civiles, des malheurs collectifs. Et voici les mêmes passivement soumis à leur administration, et amoureux de l’autorité ; rebelles à leur État, en même temps inaptes à vivre sans ce tuteur tracassier. »
Ainsi, la société française serait remplie de contradictions, preuve d’une certaine immaturité institutionnelle. Selon Peyreffite, la société française se caractérise par la défiance.
Autrement dit, dans ce genre de société :
« L’homme relève de hiérarchies diverses pour tous les actes de sa vie. Elles le commandent, le jugent, lui indiquent ce qu’il doit faire. L’autorité s’exerce de haut en bas. Le chef a un caractère sacré. Le citoyen se sent entouré d’interdits et se replie sur des activités routinières. S’il se libère, c’est par la critique, l’agressivité et parfois la révolte. »
À l’inverse d’une société de confiance où les individus peuvent librement vivre et s’organiser, la société de défiance semble se créer des hypostases, ici l’État, qu’elle aimera mais aussi détestera quand elle ne sera pas satisfaite par lui.
Comme l’affirme De Gaulle :
« Les Français attendent passivement que la puissance publique fasse tout à leur place, ils ne se conduisent pas en adultes. Comment gouverner la France si les Français sont ingouvernables ? »
Une démocratie malade de sa bureaucratie
L’un des éléments de cette société de défiance est l’existence d’une bureaucratie omnipotente, décourageant l’esprit d’initiative.
Comme l’affirme Peyrefitte :
« La France fut bâtie par l’État. Et pas d’État sans une administration. Mais l’emprise trop forte, et qui n’a jamais fait que s’accentuer, de la centralisation a fait de la France une société de méfiance : de la monarchie administrative à la république administrative, l’initiative des individus et des groupes a été refoulée. »
La conséquence de cette organisation bureaucratique excessive conduit alors à « l’effacement des politiques et l’émergence des technocrates ».
La bureaucratie alors, « ne se contente pas de se substituer au pouvoir politique placé au-dessus d’elle. Elle tend à se substituer aussi aux administrés situés au-dessous d’elle ». Cette concentration des pouvoirs dans les mains d’une bureaucratie centralisée, conduit à la méconnaissance des situations locales.
Parce qu’elle pense pouvoir tout diriger et tout réglementer, la bureaucratie devient incapable de mener à bien ses missions essentielles, préférant ne pas agir et laisser un service vacant plutôt que de laisser l’esprit individuel résoudre le problème.
Cette centralisation excessive renforce évidemment la société de méfiance. Prenons alors l’exemple des élections au niveau local. Du fait de la confusion des compétences entre les différentes collectivités territoriales, les élections locales perdent de leur intérêt (surtout les départementales et les régionales), amenant alors le citoyen à délaisser ces élections au profit des élections nationales. Ainsi, les élus le comprenant, les élections locales deviennent pour eux un marchepied vers le pouvoir central.
Les cas de Valérie Pécresse et de Xavier Bertrand l’illustrent parfaitement. Le problème, c’est que cette centralisation finie par concentrer la vie politique à Paris, amenant à une « versaillisation » de la vie politique faite de drame en tout genre, crispant le reste de la Nation qui se sent déconsidéré, aboutissant in fine à des attitudes de guerres civiles sèches. La centralisation, censée éviter les crises, finit par les entretenir.
Ainsi pour reprendre Louis Blanc, « si la centralisation politique est nécessaire, la centralisation administrative est haïssable ». La rigidité bureaucratique ne semble plus favoriser l’unité nationale et participe même au délitement de l’État par la menace de la liberté d’initiative.
Ainsi pour reprendre Peyrefitte :
« Le centralisme bureaucratique est incompatible avec une société de liberté et de responsabilité, qui en revanche, s’accommode parfaitement d’un pouvoir politique rassemblé. La centralisation législative et gouvernementale fait la force d’un pays ; la centralisation administrative fait sa faiblesse. »
Le parisianisme a alimenté le blocage de la société française, en asséchant l’initiative et la vie politique locale, où « confondu avec la haute administration, l’État est parisien comme jadis, réduit à la Cour, il était versaillais ».
Dès lors, « le pouvoir parisien est puissant et fragile, fragile parce que puissant. Paris assèche l’État, le coupe des sources vives de la nation, l’enferme dans un milieu surchauffé et instable ». Cette centralisation excessive a conduit à une nécrose des extrémités, où au fur et à mesure que la population locale diminuait, le nombre de service fourni par l’État diminuait.
La société française, outre qu’elle restera vulnérable en attendant tout de l’État, est le lieu où se diffuse la décharge permanente de responsabilité.
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