Revue de livre par Mathieu Bock-Côté
Il s’agit d’un tout petit ouvrage. Mais d’un très beau
livre. Je parle de Lettres à un jeune politicien (VLB, 2012) de
Lucien Bouchard. Celui-ci nous avertit d’entrée de jeu : il ne s’agit pas
d’un condensé de sa pensée politique. Non plus que d’un livre de Mémoires («pas
encore», précise-t-il). Plutôt d’une série de lettres à un jeune plus ou moins
imaginaire pour le convaincre de s’engager en politique. L’exercice se situe à
mi-chemin entre la confession autobiographique et de la philosophie de
l’action.
Bouchard y revient sur son parcours pour en tirer quelques
leçons. Il survole certains grands problèmes du Québec contemporain. Il se
livre surtout à une méditation sur l’engagement politique, sur les vertus et
les limites de l’homme d’État. À l’ancienne, on dirait qu’il réfléchit sur la grandeur
et sur le déclin du politique. Il parle en connaissance de cause. Lucien
Bouchard s’y livre à son meilleur. L’homme s’y exprime avec aplomb. Et sans
rancune. Celui qui le lira comprendra mieux la politique. Plusieurs se
sentiront interpellés par le message qui s’y trouve.
À quoi sert la politique ?
La question de fond qui traverse l’ouvrage, c’est le rôle de
l’action politique. À notre époque, on s’en moque. On survalorise l’économie,
la technologie, l’éthique, la communication, l’humanitaire. Mais la politique
n’a plus le beau rôle. Un jeune homme ou une jeune femme qui rêve d’engagement
ne se mettront plus au service de l’État. Bouchard le soutient : les
meilleurs ne s’y engagent plus. Ils ont peur de s’embourber dans la
bureaucratie, de se faire lessiver par la presse, de trop y sacrifier sans y
obtenir de réelles gratifications. Bouchard est pourtant clair : il
faudrait en revenir à une vision élevée de la politique. Elle n’est pas
qu’une petite arène où se joue la comédie de l’ambition.
Le politique, c’est le lieu où une société se projette
collectivement, où elle s’imagine un destin. «L’avenir du Québec […] passe
obligatoirement par la voie politique» (p.114). C’est le lieu d’intersection
entre l’idéal et le principe de réalité. L’homme politique doit porter l’idéal
et projeter son peuple dans l’avenir. Il doit aussi savoir dire non pour éviter
que la société ne se laisse avaler par un fantasme, insiste à plusieurs
reprises Lucien Bouchard. L’homme politique n’est ni rêveur, ni père fouettard.
En d’autres termes que les siens, la vision de la politique de Bouchard relève
davantage dutragique que de l’utopique. La politique n’est pas
l’instance par laquelle tout devient possible, mais par laquelle une société
forge son destin à travers des choix difficiles. De la richesse ou de la
pauvreté de notre conception de la politique dépend l’avenir du Québec.
La politique, nous dit-il, est une ascèse, en revenant sur
les origines de son engagement. «Pour mes collègues […] et moi, le substitut à
la prêtrise, c’était la politique et le désir de participer à ce vaste
mouvement d’émancipation de la société québécoise que fut la Révolution
tranquille» (p.30). Il y a donc, si on le lit bien, une charge sacrée en
politique – une grandeur irréductible dans l’engagement au service du commun.
Cela permet d’endurer les injures, les attaques personnelles, de tolérer les
mesquineries qui accompagnent nécessairement le service public – «il t’en
faudra, de la force de caractère, pour surmonter le manque de respect, les critiques
acerbes et les attaques personnelles» (p.78). Connait-on un seul grand homme
qui n’ait pas la cicatrice d’un coup de poignard au beau milieu du dos?
Bouchard pourrait appliquer ce commentaire à tous ceux qui évoluent dans le
domaine public. Il faut croire aux vertus supérieures de l’action publique pour
tolérer les crachats qui pleuvent sur ceux qui consentent à monter sur une
tribune.
C’est à partir de cette fonction que se dessine le rôle de
l’homme politique. Si je lis bien Bouchard, un politicien canalise les désirs
d’une société, les explicite, et les transforme en vision et en objectifs qu’il
cherchera à atteindre. De là l’importance donnée par Bouchard à la parole
publique, au discours, tout au long de son ouvrage. La politique demeure l’art
de la parole. Bouchard est clair avec son jeune politicien : «il faut que
tu établisses avec les gens une communication fondée sur le rationnel, mais
portée par la passion. Tu dois faire rêver tes auditoires, les mettre en
mouvement. Ce n’est pas évident, je te l’assure» (p.64). Le grand discours,
nous dit Bouchard, n’est pas qu’un exercice de style. C’est la rencontre d’une
vision et d’une circonstance. L’homme politique doit savoir parler. Éveiller
les émotions pour les mettre au service d’un grand projet. Connecter la passion
et la raison. Il y a là une part d’intuition qui manque à ceux qui ne voient
pas l’homme dans la cité mais seulement le consommateur (de biens privés ou de
biens publics) dans une société segmentée en clientèles ou qui s’imaginent l’homme
trop bête pour se soucier de l’intérêt général. Peut-on faire une bonne
politique sans croire au moins partiellement à la permanence de la nature
humaine, même si chaque culture et chaque époque la travaillent différemment?
L’éducation de l’homme politique
Ce qui exige, pour mobiliser les sentiments disponibles dans
une société, une immense culture (à tout le moins, une véritable culture), une
psychologie fine des émotions collectives du peuple auquel on s’adresse – ce
qui implique aussi qu’on en connaisse l’histoire. On trouve là parmi les plus
belles pages de Bouchard – on pouvait s’y attendre, lui qui fut le grand
orateur du Québec des 30 dernières années. Mais pour parler à l’homme, il faut
une culture. Une culture immense qui immunise contre les modes et qui permet de
ressentir – et d’agir sur – les sentiments fondamentaux qui irriguent la
cité : l’honneur, la fierté, la solidarité, sont de ces sentiments qui
lient les hommes même lorsqu’ils se divisent. Je cite encore une fois
Bouchard : «plus tu te renseigneras, mieux tu seras armé pour défendre tes
opinions – et pour résister aux modes» (p.50). Il faut savoir suivre sa route
même quand l’opinion publique va dans une autre direction.
Les passages qu’il consacre à son rapport aux livres sont
magnifiques. Il y raconte comment lui, jeune homme, y trouvait dans la lecture
le seul exutoire possible dans un univers réel un peu trop morne. Il apprenait
et cultivait l’imaginaire. Ce n’est pas sans raison qu’il fera de la Grande
bibliothèque un de ses grands projets. La chose était connue et Bouchard la
confirme : il a acquis au fil des ans l’intégrale de la Pléiade. On
pourrait y voir un fétichisme de collectionneur – ce ne serait pas si mal,
d’ailleurs. Et pourtant, ce serait faux. Cela témoigne surtout d’un homme
qui sait ce qu’est un classique. Car on lit les classiques non pas pour
s’enfermer dans le musée des humanités passées, mais parce qu’ils explorent les
questions fondamentales de la condition humaine. On y revient non pas pour fuir
l’homme, mais pour partir à sa rencontre.
L’homme politique qui ne sait pas qu’on gouverne mieux les
hommes en les ayant étudiés profondément n’en est pas un : c’est un
manager, un gestionnaire. L’homme politique qui n’est pas capable de se retirer
chaque jour pendant quelques moments pour plonger dans une œuvre fondamentale
risque tout simplement de mal gouverner. Car on exerce bien mal le pouvoir si
la vision qu’on a de sa société se résume aux connaissances engendrées et
produites par les grands appareils bureaucratiques. Le politicien n’est alors
qu’un technocrate avec un mandat électoral. L’homme d’État véritable doit non
seulement livrer la marchandise attendue par ses fonctionnaires, mais penser
son époque, et se situer par rapport à elle – ce que dit Bouchard à sa manière
en soutenant qu’il doit y avoir adéquation entre l’homme politique et «l’esprit
de son temps».
La dignité de la politique
L’homme politique doit donc rassembler les hommes malgré
leurs divisions. Il doit être l’homme d’exception, que sa fonction relève, et
non pas un quidam, confondant l’exercice du pouvoir avec un concours de
popularité. On le voit ainsi très sévère envers les bavardeurs qui
acceptent – et encouragent même – le basculement de l’action politique dans la
société du spectacle – envers ceux, dirait-on, qui désacralisent la parole
publique. Je me permets de le citer longuement : «en plus d’être intègre
et compétent, le dirigeant politique doit respecter sa fonction. Celle de
ministre ou de premier ministre a besoin d’une certaine distance. Comprends-moi
bien. Je ne veux pas dire par là qu’il faille se tenir à l’écart de la
population. Mais il faut, selon moi, s’abstenir de participer à des émissions
de variétés. Quand un politicien va se faire enguirlander dans ce genre
d’émissions, c’est inadmissible parce que ça dévalorise la fonction.
Si tu exerces une fonction élective, tu dois te rappeler en
tout temps qu’on t’a conféré un statut à ne pas laisser déprécier. Il ne s’agit
pas de se penser plus «fin» que les autres. Un rôle institutionnel requiert un
certain niveau de dignité, voilà tout. Un premier ministre peut et doit,
bien sûr, être drôle, convivial. Cela ne signifie pas pour autant qu’il doive
faire le joli cœur sur des plateaux remplis d’humoristes. Quand tu respectes ta
fonction, tu ne dis pas à l’animateur et à ses invités : «on est des
chums, tu peux me dire n’importe quoi, et moi je vais faire semblant que je
trouve ça drôle. Tu m’insultes, mais je ris avec toi. Je fais partie de la
gang». Voilà ce que j’appelle banaliser la fonction. On est, tu en conviendras,
bien loin des enseignements du Fil de l’épée, ouvrage dans lequel de Gaulle
explique que l’autorité du chef a besoin d’un certain mystère» (p.44-45). La
grandeur. La réserve. La distance. Bouchard parle ici le langage de l’autorité
(l’autorité n’est le pouvoir autoritaire, pour ceux qui seraient tentés par ce
fâcheux amalgame) – il n’hésite pas à citer un vieux romain qui disait qu’un
homme politique ne se fait pas élire pour suivre ses électeurs mais pour les
gouverner. Le génie de la démocratie ne consiste pas à abolir l’autorité mais à
rendre révocables ceux qui l’exercent.
Il faut donc s’engager, dit Bouchard, qui mise avec un
mélange de ferveur et de candeur sur la jeunesse, comme le faisait un de nos
vieux historiens dont on ne dit plus le nom et qui n’a jamais désespéré d’elle.
Il la voit partout. Grouillante. Riche de projets. Désireuse de se dépasser.
Mais on ne doit pas confondre. Les jeunes auxquels il s’adresse ne scandent
manifestement pas des slogans anarchistes dans la rue, non plus que ne chargent
les policiers en croyant y voir des représentants tardifs de la SS. La
politique n’est pas que pure protestation morale ou parade de mode idéologique.
Non plus que mobilisation circonstancielle. Elle est moins festive qu’austère.
Cela consiste à s’engager durablement dans l’arène électorale pour exercer le
pouvoir. Si on le lit bien, Bouchard parle des jeunes entrepreneurs, des jeunes
avocats, des jeunes universitaires – de la jeune élite québécoise, finalement,
des «meilleurs esprits» de notre société. N’a-t-il pas intitulé son premier
chapitre «De l’importance d’avoir une carrière préalable» ?
L’étiquette
On s’engage toujours pour un parti, nous dit Bouchard.
Doit-on pour autant porter une étiquette? Il insiste : non. La gauche, la
droite, voilà des concepts qui semblent l’embêter et qui divisent
artificiellement ceux qui pourraient autrement se rassembler. Probablement
a-t-il raison. Mais à moitié seulement. Car l’action politique suppose une
certaine part de cohérence philosophique – cohérence à laquelle il ne se dérobe
pas, d’ailleurs. Et comment peut-on parler de Lucien Bouchard autrement qu’à la
manière d’un conservateur? Quelques exemples viennent à l’esprit :
Bouchard fait l’éloge de l’enracinement historique et se méfie du présentisme
(p.48). Il exécute sommairement la réforme scolaire et les «pédagogues» du
ministère – «je me félicite tous les jours d’avoir été formé à l’époque où les
pédagogues patentés ne sévissaient pas encore» (p.49). Il nous accuse d’ingratitude
envers les religieux catholiques qui ont fait le Québec (p.27). Il s’exaspère
contre la puissance de la bureaucratie qui entrave l’action politique et fait
l’éloge d’une certaine «robustesse collective quand vient le temps de prendre
une décision de développement» (p.55). Il se porte à la défense de la
démocratie parlementaire contre les excités portés sur la désobéissance civile
(p.56). Il rappelle l’importance du principe de réalité dans la gestion des
finances publiques. Et ainsi de suite.
Lucien Bouchard et la question nationale
Ce conservatisme a-t-il quelque chose à voir avec la
question nationale, à laquelle Bouchard n’échappe pas? Oui. Car Bouchard est le
grand héritier de ce qu’on pourrait appeler le conservatisme québécois. Sur le
fond des choses, Bouchard semble demeurer souverainiste (si on désigne ainsi
quelqu’un souhaitant qu’un jour, le peuple québécois devienne indépendant),
mais se désole de ce que le souverainisme officiel est devenu – la grande
coalition gauche-droite du PQ est morte, disait-il dans une entrevue à Alex
Castonguay de L’Actualité. Et le souverainisme s’est trop campé à gauche
pour rassembler vraiment les Québécois. Mais le nationalisme de Lucien Bouchard
demeure profond. Ne serait-ce parce qu’il sait que l’histoire d’un peuple pèse
sur son destin. Je le cite : «il y a quelques temps, je me suis mis à
relire l’histoire du Québec. J’ai pris pleine conscience du traumatisme que fut
la Conquête. Quand je pense que des historiens ont tenté, récemment, de nous
faire croire qu’elle n’a jamais eu lieu. Celle-là, je ne peux pas la digérer.
Je t’invite à relire le récit de cet épisode tragique de notre histoire dont on
ressent encore aujourd’hui les conséquences» (p.48). La bonne éducation
politique passe donc par l’éducation historique. Autrefois, c’était une
évidence. Aujourd’hui, c’est presque une hérésie.
Et pourtant, Bouchard n’a pas tort. Sa ligne de fond, c’est
la fidélité première au Québec. Qui ne saurait se laisser enfermer dans une
seule option sans d’un coup se stériliser. La polarisation
souverainiste-fédéraliste telle qu’elle prend forme en ce moment n’est pas à la
veille de se dénouer à l’avantage de l’indépendance, dit-il. Et pourtant,
«toute politique fondée sur le déni a peu de chances de réussite. La divergence
qui sépare souverainistes et fédéralistes au Québec est ancrée si profondément
dans le débat politique, et depuis si longtemps, qu’elle semble s’être intégrée
au paysage politique. […] De toute façon, quel que soit le parti au pouvoir au
Québec, il ne pourra faire autrement que de s’astreindre à un devoir de
vigilance et de défense à l’égard de toute tentative d’empiètement émanant
d’Ottawa. Sois certain que ces incursions se poursuivront» (p.113). Les
intérêts vitaux du Québec transcendent les partis.
Dans son entrevue à L’Actualité, Bouchard poussait
l’analyse plus loin : «Quelqu’un qui est en politique, surtout s’il forme
le gouvernement, va avoir de la difficulté à échapper à cette dichotomie-là.
C’est au cœur de notre débat depuis 40 ans. Ce serait un peu les limbes
constitutionnels. Or, la politique, ce n’est pas les limbes, c’est la réalité.
Il y a des positions à prendre. Il y a une dynamique entre le Québec et le
fédéral, c’est toujours une partie de bras de fer. Un premier ministre doit
gérer cette responsabilité. Est-ce que ça peut se faire en dehors de l’axe
souverainiste-fédéraliste ? Ou bien on accepte la fédération, ou bien on ne
l’accepte pas». Il y a là un réalisme politique qui ne limite pas les enjeux
politiques québécois à la seule obsession référendaire mais qui ne croit pas
nécessaire pour autant de discréditer la question nationale.
Mais Bouchard n’est pas un excité référendaire. Il sait le
coût de la défaite. Un peuple qui lutte pour son indépendance et échoue en paie
le prix. «Il serait irresponsable d’exposer le Québec à une autre défaite quand
on sait le prix qu’il a fallu payer au lendemain des échecs de 1980 et de 1995.
Le premier nous a valu le rapatriement forcé de la constitution, l’imposition
d’un droit de véto et la diminution des pouvoirs de l’Assemblée nationale.
Quant au second, il s’est soldé par la mise en place du verrou de la loi sur la
clarté» (p.110). On ajoutera avec Bouchard qu’une si importante défaite n’est
pas sans effets psychologiques graves sur la collectivité. Nous ne nous sommes
toujours pas remis de l’avortement référendaire, conclut Bouchard. Autrement
dit, le nationalisme, cette fidélité première au Québec d’abord, doit demeurer
la pierre d’assise du débat politique. Et demeure suffisamment large comme
référence pour accueillir ceux qui ne sont pas déjà convertis au souverainisme,
et plus encore, au souverainisme dans sa version péquiste.
Je m’aventure ici à l’extérieur du livre de Bouchard. Je
cartographierais à peu près ainsi l’espace politique québécois actuellement en
ce qui a trait à la question nationale. J’y vois quatre camps découpés
sans trop de précision: celui du 1) plus jamais! 2) celui du grand bof ! 3)
celui du pas maintenant 4) celui du Immédiatement. Les premiers sont au PLQ,
les seconds sont divisés entre le PLQ et la CAQ, les troisièmes entre la CAQ et
le PQ, et les derniers entre le PQ et les petits partis souverainistes. Le
nationalisme québécois est intimement fragmenté. Et une majorité référendaire
ne sera possible que lorsque les trois dernières catégories se rassembleront
politiquement. Cela n’est pas à la veille d’arriver. Je l’écrivais
dans Fin de cycle, l’essentiel, en ce moment, n’est pas de faire
l’indépendance mais de s’assurer qu’elle demeure possible. La chose est encore
plus vraie à la lumière des derniers résultats électoraux.
Le Québec n’est pas à la veille de son indépendance. Les
souverainistes le savent aussi. Cela ne veut pas dire qu’ils doivent
démissionner de leur option, mais qu’ils ne doivent pas tout mettre leurs œufs
dans le panier référendaire. Ils ne le font pas d’ailleurs. Mais une chose
demeure : tant que le grand parti du Québec d’abord ne sera pas de nouveau
rassemblé politiquement, le Québec n’ira nulle part. Tant que les
Québécois ne se mettront pas d’accord à nouveau sur une commune définition de
leur situation collective, de leur situation historique (ce qu’ils ne sont plus
capables de faire pour l’instant), ils n’avanceront pas. Nous sommes en attente
d’une nouvelle synthèse québécoise, d’un nouvel élan, de nouvelles raisons de
croire au Québec. Bouchard est persuadé, et répète à plusieurs moments,
d’ailleurs, que les Québécois sont en attente d’une nouvelle vision collective.
Pourrait-on dire d’une nouvelle Révolution tranquille? Reste, suggère-t-il
aussi, à ce que certains, les meilleurs, s’engagent en politique pour lui
permettre d’éclore.
«L’histoire du Québec, dit Bouchard, est une longue
chaine d’efforts, de joies, de revers, de dépassements personnels. Ton destin
s’inscrit dans le prolongement du parcours de ce peuple déterminé à survivre et
s’épanouir comme nation francophone en plein cœur d’un immense continent
anglophone. Plus tu fréquenteras notre histoire, plus tu constateras que, tout
au long de cet itinéraire, la solidarité politique s’est avérée cruciale»
(p.109). Cela nous ramène au grand homme. Bouchard en était un. Il en est
toujours un d’ailleurs. Dans un monde idéal, il reviendrait. Il donnerait ses
dernières années à la nation. Il arriverait comme à la manière d’un père
réconciliateur dans une nation divisée pour la rassembler, pour lui redonner
l’élan qui lui manque, pour montrer l’idéal au loin. Mais il ne reviendra pas.
Nous le savons depuis longtemps. Nous sommes des millions de Québécois, je
crois, à avoir de la difficulté à en faire vraiment le deuil. À tout le moins,
il vient de nous lire son testament. Je suis d’avis qu’il devrait inspirer les
Québécois à croire encore au Québec.
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