Malgré les nombreux exemples démontrant le contraire, il
existe toujours quelques irréductibles pour prétendre que le protectionnisme
favorise le développement économique.
Le protectionnisme sert surtout les politiciens populistes
et peu scrupuleux. Partout et toujours, il est populaire de prétendre protéger
des emplois, mais ce qui peut être vrai à court terme conduit inévitablement au
désastre à long terme.
Donc, il est toujours nécessaire de dénoncer le mirage du protectionnisme
pour contrer l’appel irrésistible des charlatans qui en font la promotion.
______________
Geoffroy Helgé
La plupart des économistes s’accordent sur le fait qu’il est
préférable pour un pays de s’ouvrir à l’économie mondiale plutôt que d’ériger des
barrières commerciales. En générant des gains de productivité associés à la division
du travail et à la spécialisation, le libre-échange augmente le niveau de vie des
habitants du pays qui l’adopte. Le protectionnisme, en revanche, affaiblit la concurrence
et tarit les incitations à innover.
Cependant, malgré le relatif consensus autour de cette question,
certains économistes hétérodoxes contestent ces conclusions. Le protectionnisme,
selon eux, ne serait pas aussi nuisible que le prétendent les économistes libre-échangistes.
Au contraire : en protégeant ses entreprises inexpérimentées de la concurrence mondiale,
un pays peut encourager l’industrialisation et la croissance économique.
Selon ces économistes, l’histoire économique américaine confirmerait
cette thèse. L’économiste coréen Ha-Joon Chang, l’un des principaux partisans du
protectionnisme aujourd’hui, affirme que « Les Etats-Unis, superstars économiques
de la fin du XIXe siècle, ont suivi des recettes politiques allant totalement à
l’encontre de l’orthodoxie néolibérale actuelle ». Jacques Sapir, héraut de la «
démondialisation » en France, affirme également que « les Etats-Unis doivent, dans
une très large mesure, leur expansion, après
la Guerre de Sécession, à un protectionnisme ombrageux doublé d’une forte intervention
publique ». Marc Rousset note sur son blog que « les Etats-Unis pratiquèrent un
protectionnisme virulent, avec des tarifs douaniers de l’ordre de 50%. C’est avec
cette stratégie qu’ils connurent le taux de croissance le plus élevé au monde et
accédèrent au leadership mondial ». [1]
Qu’en est-il ? Il est vrai qu’aux Etats-Unis, à la fin du XIXe
siècle, le droit de douane moyen appliqué aux produits manufacturés était l’un des
plus élevés au monde, autour de 40 ou 50% selon la plupart des estimations. Il est
vrai également que les Etats-Unis connurent pendant cette période une forte croissance
économique, rattrapant la Grande-Bretagne en termes de PIB réel par habitant.
Mais corrélation n’est pas causalité. Que des droits de douanes
élevés aient coïncidé avec une forte croissance n’implique pas qu’ils aient été
à l’origine de cette croissance. En réalité, il existe de bonnes raisons de penser
que le développement économique de la fin du XIXe siècle s’est produit en dépit
du protectionnisme.
Pour le comprendre, il faut revenir aux sources de la croissance
américaine durant cette période. Douglas Irwin, qui a étudié cette question dans
son article “Tariffs and Growth in Late Nineteenth Century America”, a montré que
la croissance était essentiellement tirée par l’accumulation du capital dans les
secteurs produisant des biens non échangeables internationalement, comme les chemins
de fer et l’industrie du bâtiment. Or, par définition, les secteurs produisant des
biens non échangeables ne sont pas concernés
par les droits de douanes. Par conséquent, le protectionnisme ne peut pas avoir
été à l’origine de la croissance.[2]
Irwin montre également que, non seulement le protectionnisme
n’a pas été à l’origine du développement économique, mais qu’il lui a été nuisible.
En renchérissant le prix des biens d’équipement importables(machines-outils, engins
à vapeur…), les droits de douanes ont comprimé l’investissement et l’accumulation
du capital, sources essentielles de la croissance de cette époque. Selon Bradford
De Long, « les effets nocifs des droits de douanes sur l’investissement étaient
extrêmement importants pour la croissance du XIXe siècle. Sur le long terme, une
réduction de la part de l’investissement réel dans le produit national de 2 à 4%
entraine une réduction du ratio capital-produit de 10 à 20% - et une réduction de
la productivité et du salaire réel de 5% ou plus. » [3]
Enfin, les protectionnistes oublient que les Etats-Unis représentaient
alors l’une des zones de libre échange intérieur les plus étendues de la planète.
En son sein, les mouvements de marchandises et de capitaux étaient libres ; des
entreprises y sont nées et s’y sont développées en l’absence de protection contre
les concurrents plus expérimentés. Comme le rappelle Gottfried Haberler, « un puissant
centre industriel a été établi en une courte période dans le Middle West américain,
sans aucune protection contre les industries établies des Etats de l’est, bien que
ces derniers bénéficiassent des avantages énumérés par [les partisans du protectionnisme
éducateur]. » [4]
En résumé, si les partisans du protectionnisme cherchent une
illustration pour appuyer leur thèse, ce n’est pas vers l’histoire économique des
Etats-Unis qu’ils doivent se tourner.
Notes
[1] Chang (Ha-Joon), 23 things they don’t tell you about capitalism,
2011
Sapir (Jacques), « Libre-échange, croissance et développement : quelques mythes de l’économie vulgaire », Revue du MAUSS, 2007/2 (n° 30)
Rousset (Marc), « Les Etats-Unis ont accédé par le protectionnisme au leadership mondial », 9 février2012
Sapir (Jacques), « Libre-échange, croissance et développement : quelques mythes de l’économie vulgaire », Revue du MAUSS, 2007/2 (n° 30)
Rousset (Marc), « Les Etats-Unis ont accédé par le protectionnisme au leadership mondial », 9 février2012
[2] Irwin
(Douglas), “Tariffs and growth in late nineteeth century America”, The World
Economy, Volume 24, 1, 2001
[3] Cité par Irwin, ibid.
[4] Haberler (Gottfried), International Economics, 1936, p.283
Aucun commentaire:
Publier un commentaire