Einstein avait décrit la thermodynamique comme « la seule science au contenu universel ». Au départ les scientifiques l’ont utilisée pour expliquer le fonctionnement des machines thermiques : lorsqu’on le laisse évoluer naturellement, un système fermé tend vers un état dit « d’équilibre thermodynamique » égalitaire, désordonné et irréversible associé à une perte totale de mouvement et d’information. L’équilibre thermodynamique peut être qualifié de « mort clinique » d’un système.
La société de croissance n’échappe pas à la règle. Elle se comporte comme une gigantesque structure dissipative
Pour lutter contre cette situation mortifère qui l’attendrait presque inéluctablement, la nature a imaginé le concept de « structure dissipative » théorisé par le physicien et chimiste belge Illya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977. Maintenue en permanence hors équilibre, ouverte, ordonnée mais inégalitaire, une structure dissipative puise dans le milieu extérieur (i.e. son environnement) des ressources matérielles et énergétiques, conserve de l’énergie de haute valeur (appelée énergie « libre ») pour assurer son fonctionnement propre et rejette dans ce même environnement des déchets de très faible valeur.
Prigogine démontra que tous les systèmes naturels inertes (galaxies, étoiles, planètes) mais aussi vivants, survivent de cette façon dans un univers qui cherche pourtant à tout instant à leur imposer l’équilibre thermodynamique. Le corps humain n’y échappe pas : vous mangez et vous respirez (flux d’énergie rentrant), vous bougez, vous pensez et vous maintenez votre température à 37°C (énergie libre) et vous rejetez dans l’environnement du CO2 et des excréments (flux de déchets sortant). Quant à l’équilibre thermodynamique du corps humain, il correspond tout simplement à la mort clinique : votre température retourne à celle de la pièce (égalitarisme), votre corps se disperse dans l’humus du sol (désordre) et vous perdez toute la richesse de vos mouvements et l’information de votre cerveau.
La société de croissance n’échappe pas à la règle. Elle se comporte comme une gigantesque structure dissipative consommant en entrée des ressources matérielles (minerais, humus du sol) et énergétiques (dont 83% d’énergies fossiles), produit de l’énergie libre sous forme de biens (richesse matérielle) et de services (richesse informative) et rejette dans l’environnement de multiples déchets dont le CO2 responsable de favoriser un réchauffement climatique. Il n’y a malheureusement pas de miracle : n’en déplaise aux écologistes, Sapiens ne peut perpétuer son développement qu’aux dépends de Gaïa.
Comme toute structure dissipative, la société de de croissance repose sur trois piliers. Le système doit être ouvert (ce qui en termes économiques se traduit par le libre-échange), ordonné (ce qui se traduit à la fois par l’effort, l’autorité et l’organisation) et enfin inégalitaire en promouvant notamment la sélection et la compétition.
La gauche dans son ensemble réfute bien évidemment toutes ces conclusions, considérant que « tout est culture et rien n’est nature »
On retrouve étonnamment dans le concept de structure dissipative toutes les valeurs de droite (libre-échange, effort, autorité, organisation, sélection, compétition) alors que l’équilibre thermodynamique recouvre toutes les valeurs de la gauche (critique du libre- échange et de la mondialisation, refus de la sélection et de la compétition, refus de l’autorité) dont le socle commun est profondément égalitariste. L’équilibre thermodynamique étant unique, il conduit à davantage de sectarisme alors que la structure dissipative couvrant une infinité d’états inégalitaires possibles est synonyme de pluralisme.
La gauche dans son ensemble réfute bien évidemment toutes ces conclusions, considérant que « tout est culture et rien n’est nature ». De très nombreux exemples démontrent pourtant de façon très claire que la production de richesse est indissociable d’inégalités et qu’imposer l’égalitarisme ne peut conduire qu’à la pauvreté absolue. Sans inégalités on arrête tous les flux qu’ils soient matériels, financiers ou informatifs. Ainsi imaginez un professeur au même niveau que ses élèves : il ne peut plus y avoir de flux d’information et, à terme, tout le monde convergera inexorablement vers la médiocrité. De même le partage du temps de travail est destructeur de richesses : les heures de travail prélevées à celui qui travaille ont une valeur bien supérieure aux heures données à celui qui ne travaille pas.
Passant par la création de richesses, la réduction de la pauvreté est indissociable d’ouverture, d’ordre et d’inégalités, trois des grandes valeurs libérales. Ceux qui considèrent que la pauvreté se combat en imposant l’égalitarisme se trompent. La mondialisation de l’économie en est un exemple patent. Gigantesque structure dissipative généralisant le capitalisme à l’ensemble de la planète, elle a été une source inédite de production de richesses (PIB mondial multiplié par trois en 20 ans), a sorti près d’un milliard d’êtres humains de la pauvreté et a réduit d’un facteur trois les inégalités entre les pays OCDE et les pays émergents.
Accepter la décroissance économique nous ferait inexorablement converger vers l’équilibre thermodynamique : une société égalitariste de pauvreté absolue pour tous. Les vrais décroissantistes comme Serge Latouche ou Pierre Rhabi revendiquent d’ailleurs le renoncement au développement et le retour vers des société vernaculaires primitives se contentant du minimum indispensable. Le prêtre fondateur Ivan Illich parle même d’une société « sans hôpitaux et sans écoles ».
Comme toute structure dissipative vivant aux dépends de son environnement, la société de croissance ne sera pas pour autant éternelle. Mais, loin d’être optimisée, elle a encore de beaux jours devant elle. Avec les meilleures technologies et les meilleurs comportements on pourrait faire aussi bien avec quatre fois moins. Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain.
La thermodynamique apparaît un peu comme le drame de la race humaine, le nivellement par le haut ne figurant malheureusement pas au catalogue de la nature. Comme l’écrivait très justement l’incomparable Winston Churchill : « Si le vice du capitalisme est l’inégale répartition de la richesse, la vertu du socialisme est l’égale répartition de la misère ». N’en déplaise aux climato-gauchistes « protégez vos riches et vous enrichirez vos pauvres » !
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