Par Acrithène.
Dans les cours d’introduction à l’économie, le contrôle des loyers est souvent l’exemple canonique d’une politique stupide. La cause est à ce point entendue qu’une enquête de 1992 interrogeant plus d’un millier de professeurs faisait du contrôle des loyers l’objet du plus grand consensus au sein de la communauté des économistes. Seul un sur vingt estimait que ces contrôles ne dégradaient par la qualité des logements ni n’en réduisaient la quantité disponible (Alston et al, 1992).
Je vous ai décrit dans un billet précédent les conséquences théoriques des projets de madame Duflot. Mais notre ministre n’est pas la première démago que la Terre ait portée, et en dépit du bon sens, le contrôle des loyers a déjà existé un peu partout et depuis bien des années, de sorte que les économistes ont déjà eu l’occasion de tester empiriquement les prévisions de la théorie. Petite revue des effets observés…
Le contrôle des loyers dérègle-t-il l’allocation des logements ?
Lorsqu’on a la chance de disposer d’un appartement à prix régulé, on n’a guère envie d’en changer, quitte à accepter quelques désagréments. Par exemple, une famille dont l’enfant vient de quitter le foyer pourrait trouver normal de chercher un nouvel appartement plus petit afin de payer un loyer plus faible. Elle ferait, par exemple, l’échange avec une famille venant d’avoir un premier enfant.
Dans cet échange efficace, la différence de prix entre le petit appartement et le grand est essentielle. Cependant, si l’appartement plus grand est à prix régulé, la probabilité que l’échange se fasse est nettement réduite. Le couple sans enfant trouvera l’échange moins intéressant. Dans les termes d’un économiste, la distorsion des prix provoque une mauvaise allocation des ressources.
Glaeser et Luttmer (2003) prennent l’exemple de New York pour illustrer ce phénomène. Les statistiques montrent par exemple que la probabilité qu’un ménage sans enfant ait un appartement plus grand qu’un ménage avec enfant(s) est plus grande à New York que dans les villes où le marché est libre. Il est aussi plus probable à New York que dans les zones non-régulées qu’une personne n’ayant pas fini le lycée vive dans un appartement plus grand qu’un diplômé de l’Université. La manière dont les logements sont affectés y semble donc moins logique qu’ailleurs.
Similairement, l’analyse des données du recensement du New Jersey par Krol et Svorny (2005) montre que le contrôle des loyers accroît le temps de trajet entre le logement et le lieu de travail.
Disposer d’un logement régulé réduit-il la mobilité ?
Il existe deux raisons à la mauvaise allocation des logements.
D’abord, les individus cherchent en priorité des logements à bas prix, s’orientant vers ceux dont le prix est artificiellement bas alors qu’ils auraient fait des choix différents en l’absence de contrôle des prix.
La seconde est qu’une fois dans un appartement régulé, ils sont fortement incités à ne pas en changer.
Dans le cas de New York, Ault, Jackson et Saba (1994) montrent qu’à la fin des années 1960, le contrôle des prix a accru de 18 années le temps moyen entre deux déménagements, en comparaison des logements non contrôlés ! Au Danemark, Munch et Svarer (2002) trouvent un écart de plus de six années entre les 10 % des logements les plus contrôlés et les 10 % les plus libres.
La mobilité est aussi affectée par la hausse de la proportion des ménages propriétaires. En effet, le contrôle des loyers réduit l’intérêt financier de posséder un bien immobilier en location, mais peu l’avantage d’être propriétaire de son logement. Il est donc naturel que le contrôle des loyers transfère les biens du marché de la location vers celui des habitants propriétaires.
Ainsi, l’étude de la dérégulation de certaines zones de Boston par Sims (2007) fait apparaître que la probabilité qu’un logement soit en location est de 6 points de pourcentage inférieure lorsque les loyers sont contrôlés.
Comment cette réduction de mobilité impacte-t-elle le taux de chômage ?
Politiquement, l’accès à la propriété est généralement bien perçu. Cependant, en réduisant la mobilité des ménages, la propriété réduit l’efficacité du marché du travail. La distorsion créée par le contrôle des loyers peut donc affecter l’emploi.
Blanchflower et Oswald (2013) montrent ainsi qu’à travers le monde occidental, le taux de propriétaires est corrélé au taux de chômage. Par ailleurs, une analyse de long terme du marché américain confirme le phénomène. Un doublement du taux de propriété équivaut à un doublement du taux de chômage de long terme.
Dans un papier récent utilisant la dérégulation du marché immobilier finlandais au début des années 1990, Laamenen (2013) aboutit aux mêmes conclusions. La réforme finlandaise mettant fin au plafonnement des loyers a d’abord été appliquée à des régions test, ce qui permet aux régions dérégulées plus tardivement de servir d’échantillon de contrôle. A posteriori, l’existence de régions dérégulées plus tardivement permet en effet d’isoler l’effet du contrôle des loyers du reste des variations de l’économie finlandaise. Par cette méthode, Laanemen montre que :
- le taux de propriété a décru plus rapidement dans les régions dérégulées
- cette réduction du taux de propriété est associée à une baisse du taux de chômage
Quels sont les effets réels du contrôle des loyers sur les appartements concernés ?
Une méthode classique de contrôle des loyers consiste à laisser le premier loyer être librement déterminé, mais à limiter par la suite sa progression d’une année sur l’autre.
D’un point de vue théorique, le marché devrait pouvoir facilement contourner ce contrôle. Afin que le bien ait un rendement financier semblable à celui qu’il aurait eu en l’absence de contrôle, il suffit d’augmenter le loyer initial. Le locataire devrait accepter ce surplus de loyer immédiat, sachant qu’il est compensé par des loyers plus faibles dans le futur. Autrement dit, le contrôle devrait avoir davantage d’effet sur l’échéancier que sur la facture totale.
Nagy (1997) confirme cette hypothèse sur la base des données newyorkaises. Il observe que le loyer d’un nouveau locataire d’un appartement ainsi régulé paye un loyer supérieur à son homologue d’un appartement non régulé. En clair, il accepte un loyer désavantageux aujourd’hui parce qu’avantageux demain.
Le plafonnement strict semble plus difficile à contourner à court terme.
Existe-t-il un effet sur les loyers en principe non concernés ?
À long terme, le contrôle des loyers constitue un frein important aux investissements dans l’immobilier, et réduit donc l’offre future de logements, provoquant la hausse de leur prix et de leurs loyers. Ce phénomène s’applique aussi à la partie non contrôlée du marché, qui perçoit la partie contrôlée comme un précédent à de futures législations.
Les personnes profitant d’un loyer sous le prix de marché peuvent avoir l’impression de bénéficier du contrôle des prix, mais leur analyse peut négliger que le prix de marché serait peut-être sous le prix contrôlé si l’État n’avait pas découragé les investisseurs immobiliers. Early (2000) conclut ainsi des données sur New York du milieu des années 1990 : les locataires bénéficiant de loyers contrôlés auraient payé encore moins dans un marché libre n’ayant pas découragé la construction.
Par ailleurs, la présence de logements artificiellement bon marché accroît la demande, et une partie de cette demande supplémentaire se déverse sur le reste du marché, provoquant l’augmentation des loyers non contrôlés. Par exemple, deux étudiants hésitant à faire une co-location pourraient finalement décider de vivre chacun de leur côté s’ils ont accès à des loyers contrôlés. En l’absence de contrôle, le deuxième appartement aurait été occupé par une troisième personne. En présence de contrôle, cette troisième personne doit donc trouver un autre logement, si bien que la demande totale est désormais d’un appartement supplémentaire. Cette demande supplémentaire se déverse en grande partie sur les logements non régulés, provoquant la hausse de leurs loyers.
Caudill (1993), sur la base du contrôle en vigueur à New York en 1968, estime ainsi que les coûts des appartements non contrôlés auraient été environ un quart plus faible en l’absence de contrôle des loyers.
En utilisant les données de l’American Housing Survey entre 1984 et 1996, Early and Phelps (1999) estiment quant à eux que le contrôle a accru les loyers des logements non régulés d’en moyenne 85 dollars aux États-Unis (dollars de 1996).
Sims (2007) trouve dans les données newyorkaises une exception à cette règle générale. Lorsqu’un logement se trouve géographiquement proche des logements à loyers contrôlés, sa valeur peut souffrir de la dégradation générale du quartier.
Le contrôle des loyers dégrade-t-il la qualité de l’immobilier ?
Parce que le contrôle des loyers empêche les prix de récompenser correctement la qualité, de nombreuses études ont montré que les immeubles à loyers contrôlés avaient une probabilité plus forte d’être en mauvais état. L’effet a été observé à Cambridge MA. (Navarro, 1985), Boston (Sims, 2007), New York (Gyourko et Linneman, 1990)…
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