Par Johan Rivalland
L’écologie est un domaine gangrené par le poids du politique, de la démagogie, du militantisme outrancier et de l’idéologie. Difficile, trop souvent, de faire la part des choses entre ce qui relève du mythe, des préoccupations légitimes et fondées, de la bonne conscience achetée à bon compte, de la posture ou de l’imposture. Il s’agit d’une question sur laquelle il est devenu difficile de débattre, sous peine de se retrouver ostracisé. Sauf à être en phase avec ce qui, au sein de l’orthodoxie, a rang de vérité incontestable.
C’est pourquoi on peut être heureux lorsqu’on a affaire à un ouvrage d’universitaires et entrepreneurs actifs qui traite de la question de manière sérieuse et en dehors de la pure polémique intéressée. Il en existe évidemment d’autres – qui peuvent parfois défendre un point de vue différent du présent ouvrage de manière argumentée et avec une approche véritablement scientifique – mais rares sont ceux qui abordent la question sous l’angle de l’entreprise comme ici, et sans démagogie ou opportunisme.
Une préoccupation essentielle
Les trois auteurs – Max Falque, Jean-Pierre Chamoux et Erwan Queinnec – qui co-dirigent cet ouvrage aux nombreuses contributions, et dont les itinéraires personnels sont différents, ont pour point commun de travailler sur la question de l’écologie depuis très longtemps, ainsi que de se retrouver périodiquement afin de partager leurs réflexions au sein de l’ICREI (International Center for Research on Environmental Issues), dont sont issues les contributions à cet ouvrage.
Ce qu’ils mettent en exergue ici est en particulier le poids excessif des interventions des politiques publiques, au détriment des capacités d’innovation issues de la libre-entreprise et des initiatives de la société civile, dont le dynamisme est trop souvent ralenti ou découragé par le poids excessif de la technocratie et des excès de réglementation.
La politisation, l’idéologie et la bureaucratisation font trop souvent la preuve de leur inefficacité et d’effets pervers induits par l’inconséquence dont elles sont généralement synonymes. Or, ils montrent que c’est bien le progrès technique et la domestication de la nature qui, depuis de nombreux siècles, améliorent le bien-être et la condition humaine. Autrement dit, ce sont bien la plupart du temps des initiatives privées et des entrepreneurs qui ont permis notre développement, l’amélioration de nos conditions de vie et de notre espérance de vie. Et il en va de même aujourd’hui avec les préoccupations liées à l’environnement, qui demeurent tout à fait fondamentales : c’est avant tout l’énergie créatrice, l’imagination entrepreneuriale et les applications concrètes, parfois simples, qui permettent de déboucher sur des innovations vertueuses en matière de protection de l’environnement, plus que des règles lourdes et bureaucratiques.
La place des initiatives individuelles
L’ouvrage collectif est ainsi organisé en différentes parties.
La première est consacrée à des témoignages concrets d’entrepreneurs qui, de leur propre initiative, ont engagé des projets qui se sont révélés non seulement utiles mais parfois aussi salvateurs en matière d’écologie et de biodiversité. Tout en respectant les principes essentiels de la saine gestion qui préside à la durabilité de tels projets, à savoir l’indispensable rentabilité de toute entreprise qui, sans cela, ne peut perdurer.
Ces témoignages remettent notamment en cause l’anti-capitalisme et l’hostilité à la liberté économique qui président trop souvent les raisonnements (voire les motivations) des mouvements écologistes se prononçant en faveur des interventions régulatrices de l’État. Ainsi, la théorie des choix politiques trouve très fréquemment sa traduction dans des paralysies d’initiatives induites par le poids exorbitant de réglementations souvent absurdes ou décalées au regard des réalités du terrain, au point de mettre des bâtons dans les roues d’entrepreneurs de bonne volonté et à même de surmonter certains problèmes environnementaux, par excès de bonnes intentions, mais surtout de rigidité ou de dogmatisme. Les expériences concrètes relatées par différents intervenants au cours de différents chapitres le démontrent à merveille. Les croyances immodérées en les vertus de la gestion publique ont trop souvent pour effet d’empêcher l’innovation et de détruire les bonnes initiatives, y compris locales.
Comme le rappelle l’un des contributeurs, l’entrepreneuriat doit être ramené à sa juste valeur et être considéré davantage comme de l’initiative humaine, quelle qu’en soit l’échelle, qu’assimilé à des caricatures que certains ont en tête dès qu’ils entendent simplement le mot entreprise. Appuyé dans certains cas par des moyens de développement modestes, recourant parfois à de nouvelles méthodes, telles que la technologie blockchain, le financement en crowfunding, ou le recours à l’impression 3D, par exemple, comme le montre un autre contributeur. L’analyse en termes de contrat et de coûts de transaction est également préférée à celle d’externalités, qui cherchent trop souvent à justifier l’intervention des pouvoirs publics. La coopération semble, de surcroît, être un état d’esprit bien plus positif et constructif que ne l’est la vision purement conflictuelle et hostile au marché justifiant la demande d’intervention.
Écologie et droits de propriété
La deuxième partie aborde la question essentielle des droits de propriété, qui est non seulement un élément de stimulation, mais aussi un facteur fondamental dans la nécessité d’entretenir de manière très régulière, par exemple des terres, comme un patrimoine qui doit éviter de dépérir si l’on entend pouvoir les exploiter durablement. Avec une bien meilleure motivation et efficacité – là comme dans tant d’autres domaines – que s’il s’agit de terres sans propriétaire.
Les dégâts environnementaux y sont alors parfois catastrophiques, comme cela se trouve illustré par des exemples issus du continent africain, se traduisant par des gaspillages de ressources, des déforestations importantes ou des dégâts environnementaux conséquents là où des entrepreneurs auraient été en mesure de gérer plus consciencieusement et faire fructifier des ressources qui leur appartiendraient.
Les forêts du bassin du Congo constituent ainsi le deuxième plus vaste couvert forestier tropical de la planète après le Congo. La Chine y organise ce qui s’assimile à un véritable pillage de très grande ampleur (qui semble moins préoccuper les médias que lorsqu’il s’agit d’incriminer leurs cibles favorites habituelles), à travers des transactions souvent occultes, occasionnant de graves crises alimentaires. Robinson Tchapmegni montre qu’une gestion plus pérenne devra passer par la propriété foncière et le respect du droit.
Plus proche de nous, Thierry de L’Escaille s’appuie sur l’exemple de Vittel pour illustrer la manière dont il est possible d’organiser la coopération avec les propriétaires terriens en vue de mieux gérer les ressources (et pour Vittel, conserver son respect des normes lui assurant la reconnaissance comme eau de source), en jouant sur les incitations plutôt que sur la coercition, les premières intervenant davantage en amont tandis que la seconde arrive souvent a posteriori, lorsque les choses sont déjà détériorées. Des contrats gagnant-gagnant, en quelque sorte, qui établissent des résultats bien plus convaincants et durables que ne l’assure l’intervention publique, qui cherche à agir par la contrainte.
La capacité d’innovation du marché
La troisième partie s’attache à reconsidérer l’idée traditionnelle selon laquelle les pollutions et externalités négatives seraient la résultante de l’échec du marché, rendant nécessaires les mesures autoritaires (réglementations et taxations, en premier lieu). Il existe une autre manière de voir les choses : l’observation passée et présente montre qu’il existe un vrai marché issu du recyclage, que l’innovation et la concurrence sont à même de stimuler la recherche de perspectives différentes et bien plus efficaces que ne peuvent l’être les mesures coercitives.
Soutenir les projets nécessitant du temps et de lourds investissements est par exemple plus judicieux que d’établir des tas de normes et de morceler les interventions, ce qui met plutôt des bâtons dans les roues des entrepreneurs pleins d’idées et cherchant à innover en la matière. Là encore, de nombreux cas concrets permettent d’illustrer ces affirmations. En outre, les entrepreneurs verts ont besoin d’un environnement réglementaire stable et allégé compte-tenu des lourds investissements nécessaires que leur développement nécessite sur le long-terme. Ainsi que de nouveaux modes de financement aidant à faire face au risque et à l’incertitude spécifiques à ce type de projets.
Comme le montrent François Fracchini et Benjamin Michallet, les écologistes français ont sans doute eu tort de privilégier l’action politique à partir de 1974 et auraient été sans doute mieux avisés d’opter pour l’action par le bas, en investissant dans l’innovation et l’entrepreneuriat écologiquement responsable qui, lorsqu’ils réussissent, se diffusent ensuite jusqu’à devenir de nouvelles pratiques. Ce qui se serait certainement révélé plus efficace – comme ils nous le montrent à travers deux exemples concrets de succès entrepreneuriaux – que l’action par le haut lorsqu’on sait l’inertie dont fait la plupart du temps preuve la politique. Ce dont on peut juger, nous montrent-ils, à travers l’impuissance politique des ministres de l’Environnement, l’échec des projets gouvernementaux d’écotaxes depuis 2007, ou encore l’inapplication de nombreuses lois inscrites dans le Code de l’environnement.
Impuissance inhérente à l’instabilité politique et surtout aux stratégies du statu quo issues des réalités du marché politique telles que les analyse l’école des choix publics, la question écologique étant souvent une simple opportunité suscitant des postures en vue de gagner les élections, mais ne justifiant pas d’engager des coûts immédiats qui seraient trop démesurés au regard des hypothétiques gains généralement bien lointains et des pratiques bien ancrées, qui ne changent généralement pas via des actions par le haut, mais plutôt par le bas.
Faire preuve de pragmatisme plutôt que de moralisme
La quatrième partie, enfin, permet de poser les bases d’une réflexion plus pragmatique en matière de service public délégué, en ne décourageant pas les initiatives par les excès de moralisme qui aboutissent, par les excès de réglementation notamment, à empêcher l’activité profitable, base même de l’existence de l’entreprise privée, y compris dans le domaine de l’économie circulaire par exemple.
L’approche de Michel Marchesnay, entre autres auteurs, s’appuie sur l’histoire de la pensée économique pour mettre en exergue la place qu’a pu occuper et qu’occupe aujourd’hui l’entrepreneur en matière économique et sociale, souvent placé au centre des oppositions idéologiques entre les tenants de la liberté d’entreprendre et la décentralisation d’une part, et les interventionnistes et partisans de la réglementation d’autre part. Le développement récent d’un capitalisme de type entrepreneurial alliant innovation et protection entrepreneuriale étant susceptible de mieux intégrer la démarche entrepreneuriale dans la prise en considération du respect de l’environnement.
Restaurer la confiance en l’esprit entrepreneurial, qui a fait ses preuves
Analyses que prolonge Jean-Pierre Chamoux dans la conclusion de l’ouvrage, posant le cadre de cette nouvelle réflexion sur le rôle central que l’entrepreneur est désormais amené à occuper en matière d’écologie, puisqu’il n’est plus question d’ignorer la place majeure qu’il a occupée à la fois en matière de développement, mais aussi d’entretien du milieu naturel, au cours des derniers siècles, avec une efficacité bien supérieure à celle que peuvent prétendre avoir les pouvoir publics en la matière, dont nous aurions tort de croire qu’ils détiennent le monopole à travers la contrainte et la loi. La gestion efficace et économe des ressources, via la maîtrise du progrès technique, est en effet constitutive de l’esprit entrepreneurial, rejoignant en cela les préoccupations en matière de gestion des ressources.
Autrement dit, plus que l’action par le haut, c’est l’action humaine qui a permis et continue de permettre l’amélioration des conditions et le Bien commun. Et non une bureaucratie officiellement à la poursuite d’un intérêt général relativement abstrait et bien incertain, quand ce ne sont pas des organisations non gouvernementales s’arrogeant un pouvoir que n’approuve pas nécessairement la majorité silencieuse des individus ordinaires. Sous la forme de stéréotypes et d’un militantisme bien éloigné des réalités.
Et dont les sources sont anciennes :
« Dix ans avant la Révolution française, Rousseau, ce « Promeneur solitaire », se considérait, à la fin de sa vie, comme : « un être isolé qui ne désire ni ne craint rien de personne, qui parle aux autres pour eux et non pour lui (…) qui chérit trop ses frères pour ne pas trahir leurs vies ». Persuadé de sa mission révélée, notre philosophe des Lumières rêvait d’éradiquer les tares d’une société qu’il croyait pervertie par la déviance fondamentale des hommes civilisés : innocents et vertueux aux premiers temps du monde, il les voyait « pervertis par la science et les arts », par les conventions sociales, par la politesse et par son corollaire : l’hypocrisie ! Dans sa perspective rousseauiste, le penseur solitaire se révélait un écologiste avant l’heure, il avait donc une mission : souligner la perversion des mœurs, entraîner ses semblables à en prendre conscience et les engager à retrouver une vertu originale dont la civilisation, les sciences et les techniques les avaient écartés.
De même, l’écologiste militant accuse aujourd’hui la société industrielle de dévoyer ses semblables, de leur inspirer des comportements agressifs tant envers les autres hommes qu’envers le milieu naturel. Il estime subir des dommages du fait de l’industrie, alors que notre inspiration profonde nous porterait à vivre paisiblement au sein d’une Nature vertueuse, bienveillante et généreuse, ce que Jean Jacques résumait ainsi : « ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ». Déniant aussi bien le péché originel chrétien que l’hypothétique état sauvage, Rousseau dénonçait la propriété comme la mère des vices que sont le mensonge, la cupidité et la jalousie qu’il condamnait vertement. C’est au gouvernement, disait-il, qu’il revient de redresser la barre. L’État-providence avait ainsi trouvé par avance son prophète qui annonçait l’écologie militante !
Et c’est bien tout le mérite de cet ouvrage que de sortir de cette perversion militante au service de nombreux groupes d’intérêt, pour tenter de retrouver le sens de l’action sereine, constructive et efficace. Au service véritable de l’écologie et de l’individu.
Sous la direction de Max Falque, Jean-Pierre Chamoux et Erwan Queinnec, Écologie – La nature a besoin d’entrepreneurs, Éditions Libertés Numériques, novembre 2021, 332 pages.
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