Il y a consensus qu’un jour dans le futur, les activités humaines auront dû cesser de charger l’atmosphère de gaz à effet de serre, ou que des méthodes de réabsorption devront compenser les émissions qui restent inévitables. Ce n’est qu’à propos de l’urgence à atteindre cette situation et des moyens à mettre en œuvre que ne règne aucun consensus.
Une des fixations des esprits s’opère sur l’empreinte carbone. C’est une mesure d’un péché originel commis par chacun, celui de vivre comme être humain et non comme une amibe. Il faudrait alors quantifier cette empreinte jusque dans ses moindres détails afin de mesurer la peine à infliger. Ainsi l’ouvrier mangeant du pain cuit dans un four à gaz et dont la motorisation explosive lui permet de se rendre au travail à l’usine de bicyclettes sera coupable de contribuer à un excès de CO2. Si les machines de cette usine tournent avec du courant électrique venant d’une centrale à charbon, le bilan des vélos empirera. Et comme les matériaux utilisés dans la construction du vélo proviennent de toutes sortes de processus de fabrication qui eux aussi sont de forts émetteurs de gaz à effet de serre, le vélo pourra être considéré comme un des pires outils de lutte contre le réchauffement climatique. Ne vaudrait-il donc mieux ne pas fabriquer des vélos et ne pas les utiliser ?
Supposons que ce même constructeur désire se donner bonne conscience en se fournissant exclusivement en aluminium provenant de Norvège, là où l’électrolyse est alimentée par du courant provenant de centrales hydrauliques. La quantité qu’il prélèvera de cette source décarbonée ne sera plus à disposition des autres utilisateurs d’aluminium qui devront se contenter de se fournir ailleurs, par exemple en Chine, là où le mix électrique est fait de technologies qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Serait-ce une décision climatiquement vertueuse ? En aucun cas puisque cela ne changera pas d’une molécule les émissions du monde.
Égoïsme écolo : sauve qui peut se le payer aux dépens des autres !
Cette même question se pose à propos de tous les artefacts que nous inventons, construisons et utilisons : éoliennes, voitures électriques, ordinateurs, jeux d’enfants, produits agricoles… la liste est aussi longue que le catalogue de la Fabrique Monde. Actuellement, cette usine utilise de l’énergie dont les 83% proviennent de sources fossiles. La réalité est bien une moyenne : toute activité humaine est chargée de ce fardeau carbonique qui se répartit de manière globale, sans aucune neutralité singulière. Avant que cette proportion ne passe à zéro, on pourra discutailler à merci de la sainteté relative d’un gadget par rapport à un autre, ou des résultats d’un pays par rapport à d’autres. Ces calculs et blâmes mutuels n’ont aucune importance puisqu’ils ne dépendent que de contextes isolés, de circonstances temporaires, ou de préemptions léonines de ressources dites « propres » aux dépens de concurrents démunis. Ils sont donc inutiles ou même illusoires comme le montre l’exemple de l’aluminium norvégien. Il y a bien trop de gens qui se préoccupent de cet inutile et de cet illusoire.
Bureaucratie écolo : emmernuyer tout le monde sans rien accomplir.
Il est superflu de discuter ici les diverses pistes à prendre pour annuler le carbone ; elles sont généralement connues et prennent du temps à se déployer ; elles doivent aussi être à la taille du problème. Pourtant, il manque encore la volonté d’accepter d’utiliser l’énergie nucléaire pour produire en priorité une électricité dont les besoins vont devoir doubler ou même tripler.
Irréalisme écolo : ignorer la solution adaptée aux dimensions du problème.
Bien des mesures engagées frénétiquement sont pourtant prématurées, comme la promotion à grands coups de subventions des véhicules électriques alors que la production du courant pour les charger est loin d’avoir résolu son problème carboné. Lorsque l’on en sera arrivé là, ces voitures seront déjà usées et bonnes à la casse. Il est aussi prématuré de privilégier des batteries au lithium dont les processus de recyclage en sont à leurs balbutiement. Le déploiement à grande échelle de solutions intermittentes (photovoltaïque et éolien) pour l’approvisionnement électrique pose aussi un problème de stockage qui devrait être d’abord résolu avant que le réseau déstabilisé ne déconnecte.
Incohérence écolo : précipiter des bêtises pour ne pas faire de bien.
Des mesures symboliques comme celle d’utiliser le vélo ou de taxer un carbone dûment comptabilisé dans tous les recoins du globe sont bien naïves car elles procurent l’illusion d’une contribution significative. Ce n’est simplement pas vrai, cette pusillanimité contribue plutôt au mythe de la micro-action et du geste virtuel prétendus salutaires pour une planète qui n’en a cure. C’est pourtant cela que les gouvernements mettent en place, des green deals hors sols visant à côté des cibles majeures tout en pompant les sous des contribuables.
Enfumage écolo : cacher la forêt par d’insignifiants buissons.
Si vraiment il régnait une volonté de changer l’influence que les activités humaines ont sur le climat, des actes de grande portée seraient déjà en cours, les détails pouvant suivre sans aucun besoin de comptabilité carbone. Par exemple, les technologies nucléaires modulaires devraient être un des éléments clés de l’aide au développement, celle où l’on transmet des outils et des savoir-faire concrets plutôt que des bons conseils. Pour les nombreuses industries de base qui, aujourd’hui, n’ont pas de solution décarbonée – acier, ciment, engrais azotés, matières plastiques et composites – il est nécessaire d’investir massivement dans la recherche et le développement et de leur fournir assez d’électricité ; c’est leur propre responsabilité mais elles ont aussi besoin de fertilisation par d’autres domaines de la science et de la technologie. Il en va de même pour les carburants synthétiques. Les nouvelles hautes technologies seront chimiques ou ne seront pas. Qui le sait, qui le dit, qui le fait ?
Obscurantisme écolo : précaution à tout prix.
Il y a bien sûr les pistes anti-prométhéennes, celles qui refusent le déploiement de l’ingéniosité humaine pour se réfugier dans un idéal dépourvu de matérialité consommatrice. Elles promettent la décroissance sobre et heureuse, le bonheur décapitalisé pour les générations futures. C’est en fait un néo-marxisme qui agglomère un écologisme forcené avec des luttes de multiples classes nouvelles et fantasmées. Une crise climatique sert de prétexte à ces agitateurs professionnels dont le CO2 sera le cadet de leurs soucis.
Mysticisme écolo : user d’une novlangue pour déconstruire sans rien construire.
En matière financière, tenir une comptabilité honnête et rigoureuse est une garantie de ne pas avoir un horizon assombri par des barreaux de cellule. Telle règle ne s’applique pour la comptabilité carbone qui fait raconter n’importe quoi au service d’un plaidoyer ou d’un autre. Ce sont des broutilles et des distractions, inutiles pour aborder les vrais gros sujets.
Si tu commences à compter et nommer, tu ne t’arrêteras jamais.
Tchouang-tseu (IVe siècle av. J.-C)
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